Illustration : Sébastien Thibault

La prévention, la gestion et la résolution de conflits se trouvent au cœur des responsabilités des gestionnaires. Chacune exige une intervention rapide mais délicate, afin d’éviter que la situation n’empire et n’affecte le fonctionnement de l’organisation.

Marie-Noëlle Gagnon, cheffe de la direction Talent du Groupe Cirque du Soleil, en convient rapidement : les conflits font partie du quotidien des gestionnaires. Heureusement, ce ne sont pas toujours des affrontements majeurs. Le plus souvent, il s’agit de légères tensions au sein des équipes ou entre elles.

La gestionnaire ajoute que ce n’est pas nécessairement négatif. «Il est sain d’avoir certains désaccords, avance-t-elle. Confronter les points de vue stimule la créativité et permet d’envisager les choses sous plusieurs angles. En fait, si les gens se sentent à l’aise d’exprimer des opinions divergentes, c’est plutôt bon signe.»

Certains conflits peuvent toutefois devenir des problèmes. Les gestionnaires doivent apprendre à identifier les signes, souvent subtils, d’une situation qui dégénère. «Ils doivent se montrer particulièrement attentifs aux changements, même mineurs, dans le comportement d’une personne ou le fonctionnement d’une équipe», conseille Marie-Noëlle Gagnon.

Par exemple, un travailleur qui s’exprimait beaucoup se mure dans le silence, son langage corporel est plus négatif, le ton de ses interventions ou de ses courriels devient moins amical, etc. L’avènement du télétravail permet en outre à certains individus de rester plus souvent chez eux parce qu’ils se sentent moins à l’aise au bureau.

D’autres variations inquiétantes devraient sonner l’alarme : diminution de la collaboration et des communications, détérioration du climat de travail et de la cohésion, baisse de la productivité, hausse du taux de roulement des employés...

Dossier – Conflits au travail : faut-il à tout prix les éviter?

Éviter les faux pas

Né de la fusion de SSQ et de La Capitale, l’assureur Beneva s’affaire depuis trois ans à intégrer deux cultures organisationnelles. Les risques de friction dans ce type de contexte sont majeurs. «Dès le départ, nous avons accordé une grande importance à la prévention et à la résolution des conflits», souligne Pascale Côté, vice-présidente, Partenariat au leadership.

Chaque secteur d’activité de Beneva compte sur des partenaires en gestion des ressources humaines qui conseillent les gestionnaires quand un contentieux émerge. L’entreprise mise également sur une ressource dédiée à la gestion des conflits. Cette personne, qui possède plus de dix années d’expérience dans ce domaine, agit comme un acteur neutre et objectif lorsque des tensions nécessitent une intervention plus poussée. Elle peut être interpellée en tout temps.

Pour bien désamorcer une querelle, on doit surtout s’abstenir de commettre certaines erreurs. «L’une des plus fréquentes consiste à éviter un conflit ou à en minimiser l’importance en espérant qu’il disparaisse de lui-même, souligne Pascale Côté. Il risque plutôt de dégénérer.»

Les gestionnaires doivent également se garder de prendre position, même lorsqu’ils partagent davantage les idées ou les valeurs d’une des parties en désaccord. Leur rôle n’est pas de devenir des acteurs de la mésentente. La neutralité et la confidentialité représentent aussi des conditions très importantes dans la résolution de conflits. Chez Beneva, les employés peuvent écrire à une personne dédiée par l’entremise d’une adresse courriel dont la confidentialité est garantie

«Le gestionnaire ne doit pas non plus céder à la tentation d’imposer des solutions de manière autoritaire, conseille Pascale Côté. La consultation et la collaboration sont néces- saires pour augmenter les chances de succès.» Elle ajoute que les émotions occupent souvent une place importante dans un conflit, et qu’on doit en tenir compte.

Favoriser une communication bienveillante

Le gestionnaire doit donc s’efforcer de recueillir le plus d’information possible sur les tenants et les aboutissants du conflit, afin de bien comprendre ce qui est en jeu. «L’idée n’est pas de désigner des coupables, de proclamer la victoire d’une personne sur une autre ou de juger les intentions, prévient Lyne Lamothe, cheffe de la direction, Talent et culture, chez Previan.

Au contraire, on doit dépersonnaliser le débat et mettre l’accent sur la situation.»

On doit donc favoriser une bonne communication entre les parties. Comment y arriver? Selon Lyne Lamothe, le rôle du gestionnaire consiste d’abord à pratiquer l’écoute active. Cette technique, créée par le psychologue américain Carl Rogers (1902-1987), implique de reformuler les propos de son interlocuteur et de questionner ce dernier régulièrement, pour lui montrer qu’on l’écoute et pour s’assurer qu’on le comprend bien.

Le gestionnaire doit par ailleurs accueillir les idées, les opinions et les perspectives de toutes les parties. «Ce n’est pas toujours facile, en particulier lorsqu’une personne confronte certaines de nos valeurs, mais il est important de développer cette forme d’empathie», estime Lyne Lamothe.

Quand vient le temps de parler, elle conseille de rester concis, clair et direct, même si on aurait parfois tendance à tourner autour du pot ou à adoucir son propos. Enfin, on doit se montrer très réceptif aux commentaires. «Ce qui brise en premier lors d’un conflit, c’est la communication, ajoute Lyne Lamothe. Il est donc très important d’afficher une ouverture aux propos des autres.»

Affronter des conflits plus complexes

Le gestionnaire doit aussi comprendre que tous les conflits ne présentent pas le même degré de complexité. Les trois dirigeantes interrogées dans le cadre de cet article s’entendent pour dire que ceux qui découlent d’une confrontation de valeurs sont particulièrement épineux et difficiles à régler.

Ces chocs sont ancrés dans notre façon de voir le monde et de concevoir les relations entre les personnes ou notre rapport au travail. Ils peuvent provenir d’une disparité culturelle, entre des gens de diverses origines ou simplement entre des individus qui ont été élevés de manières très différentes.

«Parfois, ce n’est juste pas possible de régler ce type de conflit, car on ne peut pas changer complètement une personne, souligne Lyne Lamothe. Si les valeurs d’un salarié divergent considérablement de celles des autres employés, il devra se demander s’il travaille dans la bonne organisation.» C’est pour cela, ajoute-t-elle, qu’il est si important de valider la correspondance entre les valeurs du candidat et celles de l’entreprise lors du processus d’embauche.

Le conflit de personnalités peut aussi s’avérer complexe à gérer. Il exige que chaque partie fasse un effort pour comprendre la réalité de l’autre. «Parfois, il suffit d’apprendre à se connaître et à mieux communiquer», indique Marie-Noëlle Gagnon. C’est notamment le cas entre gens de différentes générations, quand certains multiplient les messages textes alors que d’autres préféreraient pouvoir discuter en personne.

Dans certains cas, le gestionnaire peut se retrouver lui-même dans une situation de tension avec un ou plusieurs membres de son équipe et doit d’abord effectuer un examen de conscience. A-t-il mal réagi à un commentaire parce qu’il passait une mauvaise journée ou qu’il était fatigué? La tension peut-elle découler d’un préjugé, même inconscient, envers une personne? A-t-il lui-même commis une erreur qui explique la frustration que certains ressentent envers lui? «La connaissance de soi et l’humilité de reconnaître ses fautes comptent beaucoup dans ces situations», souligne Marie-Noëlle Gagnon.

Peu importe le type de différend, on ne peut généralement pas se contenter d’une seule intervention, même si elle semble avoir résolu le problème. «Le gestionnaire doit effectuer un suivi régulier pour s’assurer que tout le monde respecte les solutions trouvées et qu’elles s’avèrent efficaces, précise Pascale Côté. Sinon, le conflit peut ressurgir rapidement, voire empirer.»

Article publié dans l’édition Été 2024 de Gestion