Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

La crise du coronavirus a permis de mettre en évidence des talents cachés ou des groupes de personnes jusqu’alors restés dans l’ombre. Sur la ligne de front en ces temps difficiles, les préposés aux bénéficiaires, les commis d’épicerie et les camionneurs ont gagné l’estime de tout le monde. Dans une organisation, comment reconnaître la force tranquille qui sommeille en certains des employés ?

D’un point de vue organisationnel, on parle de talents pour désigner des personnes jugées essentielles au succès d’une organisation ou qui y occupent un poste clé. En fait, les talents sont constitués de plusieurs bassins de personnes, notamment la cohorte des individus à haut potentiel qui seront éventuellement appelés à prendre la relève de la direction ainsi que les membres du personnel qui détiennent un savoir pratique vital et qui sont à trois ans de la retraite. Chaque bassin requiert un plan d’action qui lui est propre.


LIRE AUSSI : « Le télétravail et les défis qu’il pose »


La capacité d’une organisation à attirer et à retenir ces gens est considérée comme un avantage concurrentiel à long terme par les dirigeants. Au cours des dernières années, c’est aussi devenu une de leurs principales préoccupations alors qu’une pénurie de main-d’œuvre compétente sur le marché du travail menaçait la poursuite des activités et la réalisation des plans de croissance.

Or, l’hiver dernier, la COVID-19 a frappé et a tout chamboulé. D’un seul coup, la recherche de candidats externes a été remise à plus tard. Mais pourquoi ne profite-t-on pas de ce moment d’arrêt pour explorer et mettre à profit les talents déjà présents dans l’organisation? Le fait de pouvoir miser sur un vaste bassin de talents internes en plus des talents externes présente le double avantage d’assurer la présence d’une relève de qualité à tous les niveaux hiérarchiques sur un horizon de deux à cinq ans et de contribuer à la rétention des membres clés du personnel1.

La crise révélatrice de talents

Repérer et développer les talents est une responsabilité fondamentale pour la direction, mais c’est aussi un processus délicat et complexe. Les exercices annuels de détection des talents ne servent souvent qu’à découvrir la relève potentielle aux postes de direction, mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous. En effet, les recherches montrent que plus de 40 % des gens désignés comme ayant un fort potentiel n’ont pas leur place dans ce groupe, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’étoffe pour progresser jusqu’à un poste de direction2.

L’adversité étant le test absolu en matière de leadership, la situation actuelle semble propice aux jugements éclairés en ce qui a trait à la qualité des talents dans une organisation. Toutes les personnes qui ont la responsabilité de découvrir et de cultiver les talents devraient être attentives et accepter de se laisser surprendre par les employés dont le nom ne figure pas déjà sur leur liste mais qui montrent un courage inattendu lors d’une prise de décision difficile ou dans la gestion de situations urgentes.

Malheureusement, peu d’organisations prennent vraiment la peine de rechercher systématiquement les talents cachés ailleurs qu’aux niveaux hiérarchiques supérieurs. Il existe pourtant des façons simples et efficaces de s’y prendre. Mais avant de les recenser, il est important de comprendre pourquoi certaines personnes n’apparaissent pas à l’écran radar des équipes de direction.

Pourquoi certains talents sont-ils peu visibles ?

Les raisons pour lesquelles certains talents demeurent méconnus alors que d’autres en viennent à briller de tous leurs feux sont nombreuses. En voici quelques-unes :

Un choix assumé. Rester à l’écart est parfois un choix volontaire. Se mettre en avant au travail n’est peut-être pas une bonne idée lorsqu’on a une jeune famille ou quand notre situation personnelle est perturbée (séparation, parents vieillissants, etc.). Le manque d’ambition, une faible confiance en soi et la peur de l’échec peuvent aussi mener un individu à hésiter et à rester en retrait. Il y a aussi un prix à payer pour faire partie d’un bassin de talents (développement accéléré, grande mobilité, pression accrue, charge de travail élevée, etc.). Or, ces sacrifices sont incompatibles avec l’équilibre de vie que certaines personnes souhaitent atteindre.

Des défaillances dans la gestion des talents. Le fait de n’avoir pas été en mesure de découvrir un employé exceptionnel met en lumière des lacunes dans le processus de détection des talents. Accorde-t-on une importance exagérée à la performance dans l’évaluation du potentiel des employés ? Les parcours professionnels atypiques sont-ils sous-estimés ? Des préjugés liés à l’origine ethnique, au genre ou à l’âge pénalisent-ils certaines personnes? Il ne faut pas exclure la possibilité qu’un patron incompétent ne s’intéresse qu’à ses candidats préférés ou mette tout en œuvre pour que ses bons employés restent dans l’ombre afin d’éviter de les perdre au profit d’un autre secteur de l’entreprise.

Une recherche de talents passive. La découverte des personnes talentueuses exige de creuser profondément afin de dénicher les talents oubliés. Cela représente beaucoup de travail, surtout si la taille et la dispersion géographique de l’organisation sont imposantes. Il est alors tentant de se contenter d’attendre que la crème du personnel se hisse naturellement au sommet et s’impose d’elle-même.

Peu importe la raison pour laquelle on laisse certains talents dans l’ombre, ce phénomène suscite presque toujours de l’insatisfaction et de la déception, ce qui mène à des départs volontaires d’employés qui auraient pu contribuer au succès de l’organisation. Lorsqu’on veut vraiment dénicher tous les talents prometteurs, il faut prendre les devants et mettre en œuvre des stratégies proactives3.

Septe façons de faire émerger les talents cachés

1 – Soyez attentifs aux bons coups

Derrière un projet réussi, une innovation féconde ou une initiative prometteuse, il y a toujours des gens qui se sont dépassés. Demandez à les rencontrer et notez les noms de ceux qui vous semblent inspirants. Intéressez-vous à leur histoire ou, mieux encore, demandez qu’on organise une foire des bons coups : ils seront tous réunis au même endroit.

2 – Gardez le contact avec les candidats remarqués qui décident de se retirer

Il est important de respecter ce choix. Toutefois, cela n’empêche pas d’avoir une discussion franche et ouverte sur le fait qu’on a décelé un potentiel de développement chez ces personnes et que, une fois le moment venu ou lorsque les conditions favorables seront réunies, elles auront l’occasion de se faire valoir.

3 – Invitez les talents cachés à se révéler au grand jour

L’option la plus simple consiste à inviter les personnes intéressées à sortir de leur zone de confort et à communiquer avec une personne clé dans leur service. Lorsqu’on souhaite faire émerger ceux qui hésitent à se manifester, il faut parfois offrir un incitatif, par exemple la possibilité de participer à un concours (un prix des leaders émergents, notamment), l’invitation à proposer un projet ou une idée, voire l’occasion d’agir comme formateur.

4 – Sollicitez directement certaines personnes dans des groupes cibles

Le processus annuel de prospection des talents conduit généralement à la sélection de 5 % des membres du personnel jugés à haut potentiel. Il reste donc un vaste bassin de talents à explorer. Il importe alors de demander à tous les responsables d’une équipe ou d’un projet d’intensifier et de diversifier leurs efforts de recherche en entreprenant des démarches auprès de certaines personnes qui font partie de groupes cibles (par exemple les femmes), qui ont des profils atypiques (les innovateurs) ou qui sont généralement peu nombreuses à être appelées à occuper de hautes fonctions (les membres des minorités ethnoculturelles).

5 – Analysez les données sur les employés

Une approche complémentaire à celle qui précède consiste à puiser dans les données sur le personnel, notamment en ce qui a trait aux formations en cours, aux diplômes obtenus, à l’expérience accumulée à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, aux langues écrites et parlées, etc., pour établir des listes de candidats qui possèdent les profils recherchés.

6 – Demandez aux collègues de révéler les talents cachés

Le potentiel d’une personne est souvent plus apparent aux yeux de ses collègues qu’à ceux des gestionnaires. Les contacts rapprochés au quotidien font en sorte que les collègues peuvent facilement détecter ceux qui font preuve de leadership et qui sont susceptibles d’inspirer les gens autour d’eux. Un sondage du type « Qui sont nos influenceurs positifs? » constitue une façon originale de dresser une liste de candidats oubliés qu’il faut absolument rencontrer.

7 – Animez la communauté des leaders émergents

Pour les entreprises qui désirent aller plus loin, il est important de créer un réseau de talents dès que possible. Très peu d’organisations ont mis sur pied un programme de développement destiné aux jeunes professionnels enthousiastes au début de leur carrière. Il n’y a pas de meilleure façon de repérer les talents bruts qui seront appelés à devenir les leaders de demain.


LIRE AUSSI : « Nos forces et celles des autres : comment en optimiser l'usage au travail ? »


Dans ce contexte de l’après-COVID-19, les organisations doivent plus que jamais mobiliser tous les talents déjà à leur disposition à l’interne. Elles auront bientôt besoin de personnes qui pensent différemment et qui n’occupent pas nécessairement des postes de gestionnaire à l’heure actuelle. Un grand nombre d’entre elles demeurent invisibles pour le moment. C’est donc maintenant qu’il faut les repérer, leur donner le goût de se dépasser et l’espace nécessaire pour le faire, développer leur potentiel et les soutenir dans leur progression.


Notes

1 Harris, S., et Schwartz, J., « Why competing for new talent is a mistake » (article en ligne), Harvard Business Review, 5 février 2020.

2 Zenger. J., et Folkman, J., « Companies are bad at identifying high-potential employees » (article en ligne), Harvard Business Review, 20 février 2017.

3 Lane, K., Larmaraud, A., et Yeuh, E., « Finding hidden leaders » (article en ligne), McKinsey Quarterly, 4 janvier 2017.