Ruth Vachon : ne craindre aucun obstacle
2025-03-08

French
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2025-03-17
Ruth Vachon : ne craindre aucun obstacle
Leadership , Management

Photo : Maude Chauvin
De l’Ouest canadien à la France, de l’Australie à l’Asie, Ruth Vachon sillonne le monde pour ouvrir des portes. Pour cette entrepreneure accomplie qui a racheté un organisme moribond il y a une quinzaine d’années et lui a insufflé un dynamisme incontestable, sa mission est simple : déblayer les obstacles du chemin des femmes en affaires. Portrait d’une rassembleuse à l’énergie inépuisable.
Ruth Vachon possède une confiance innée en la vie. Sa mère se plaisait à répéter qu’elle avait appris à dire «Je suis capable» avant de dire « maman». Cette détermination et son tempérament fonceur l’ont guidée tout le long de son parcours. Très jeune, elle a quitté la «terre à patates» familiale pour prouver que les filles, elles aussi, pouvaient poursuivre des études. Plus tard, cette même assurance l’a amenée à quitter un poste enviable chez Alcan, l’un des employeurs les plus prisés du Saguenay, où les salaires étaient parmi les meilleurs. «Quand je suis partie de l’entreprise, les gens étaient scandalisés. Moi, je ne pouvais plus supporter d’entendre chaque matin des employés dire “Un jour de moins avant la retraite”!»
Une fois la page de cette expérience tournée, Ruth Vachon démarre une entreprise dans le domaine de l’organisation d’événements, puis une deuxième dans la distribution de produits dérivés. Elle y laisse sa marque grâce à des concepts originaux, en faisant par exemple éclater un immense ballon contenant des centaines d’autres plus petits pour surprendre les participants lors d’une cérémonie.
Son talent est rapidement reconnu et elle est nommée à deux reprises «Femme d’affaires de l’année». Puis, un jour qu’elle est assise dans son bureau, elle se dit : «Je vends des ballons, je suis une vendeuse d’air. Désormais, ce que j’aimerais vendre, c’est de l’humain.»
Rebâtir un organisme, une étape à la fois
Après s’être départie de son centre de distribution, la femme d’affaires se consacre quelque temps au redressement d’entreprises, travaillant étroitement avec des équipes de vente. C’est alors qu’elle entend dire que la propriétaire du Réseau des femmes d’affaires du Québec (RFAQ) cherche à vendre son organisation. Elle l’acquiert, sans savoir qu’elle vient de mettre la main sur une vraie boîte de Pandore…
Ce qu’elle pensait être une entreprise à remettre sur pied lui pose en fait un défi colossal : les mauvaises surprises financières se multiplient, et deux ans après la crise économique de 2008, les femmes d’affaires et les dirigeantes désertent le RFAQ. «À un certain moment, tu appelles ton comptable et tu lui dis : “On joue au cowboy ou on ferme l’écurie ?” La pente à gravir était vertigineuse.» Puis, il y a un déclic, celui qui donnera une véritable mission à l’entrepreneure.
«Un jour, le bureau de la ministre Christine St-Pierre me contacte. Elle désire me parler d’une nouvelle initiative, WEConnect, un programme destiné aux minorités et aux femmes. J’ai vite compris le potentiel de ce projet pour le RFAQ. Nous avons alors entièrement revu notre stratégie», raconte Ruth Vachon. En quelques années, des comités régionaux voient le jour, des projets mobilisateurs de développement économique et en entrepreneuriat prennent forme, et des partenariats solides, notamment avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, sont établis. Un contact à la fois, la dirigeante crée un carnet d’adresses influent et un réseau serré, ici, à l’international et à travers la francophonie. Elle sait par expérience ce qu’il y a de sécurisant à faire des affaires dans sa langue maternelle.
En plus de favoriser les contacts entre femmes, le RFAQ tisse des liens avec de grandes entreprises pour que les entrepreneures obtiennent des contrats. Selon Ruth Vachon, un des freins qui s’imposent aux femmes en affaires, c’est leur difficulté à sortir de leur bulle pour se bâtir un réseau où elles réussiront à vendre leurs produits ou leurs services. «Cette capacité à agir sur le terrain demeure difficile, parce que les femmes manquent de ressources et ne se sentent jamais assez prêtes, précise-t-elle. Nous devenons alors cet accompagnateur qui les aide à développer concrètement leur entreprise. Nous ouvrons les portes des marchés pour que les femmes puissent percer.»
La réalité des femmes entrepreneures
Depuis qu’elle a repris les rênes du RFAQ il y a une quinzaine d’années, Ruth Vachon observe avec fierté le chemin parcouru. Le Réseau est devenu une véritable plateforme de leadership où les entrepreneures acquièrent les outils nécessaires pour se préparer et réussir. «Parfois, à la fin d’une année, je rencontre des femmes que nous avons accompagnées durant quelques mois, et leur évolution est tout simplement remarquable. Lors de missions commerciales, les gens leur disent souvent : “Pour être préparées comme ça, vous devez venir du Québec !” Pour moi, c’est le plus beau des compliments.»
Malgré des progrès certains, de nombreux défis subsistent pour les entrepreneures, notamment sur le plan du financement, de l’accès aux marchés et de l’équité dans les postes de haut niveau. Si davantage d’entreprises sont détenues par des femmes, elles ne représentent encore que 18% de l’ensemble des organisations et affichent un taux de survie plus faible dans les premières années suivant leur création1.
«À ce jour, seulement 1% des achats annuels des grandes chaînes d’approvisionnement est fait chez des fournisseurs issus de groupes sous-représentés, y compris les femmes, souligne Ruth Vachon. Ce à quoi je travaille, c’est à une meilleure intégration des entreprises féminines. Le jour où les femmes se présenteront devant leur banquier avec un carnet de commandes rempli, les marges de crédit ne seront plus un sujet de débat. Et le jour où il y aura un meilleur équilibre dans l’accès au financement, les statistiques changeront.»
Loin de se décourager devant les obstacles, Ruth Vachon y voit un encouragement à continuer. Récemment lancé, le projet Maïa vise justement à développer des partenariats entre les grandes organisations et les entrepreneures canadiennes. Pour faciliter les interactions, Maïa offre un plan de formation gratuit étape par étape et accessible, qui s’adresse tant aux femmes qu’aux entreprises. «On doit être en mesure de servir des milliers de femmes! C’est une responsabilité qui incombe à tout le monde; les grandes entreprises et les personnes qui les dirigent, peu importe leur genre, doivent avoir le réflexe de se tourner vers les femmes quand elles ont un contrat à accorder.»
Les 3 choses qui ont changé ma carrièrePartir Partir. Partir de chez moi, quitter ma famille sans aucun soutien financier pour aller étudier. Partir d’Alcan, pour lancer mon entreprise en événementiel. Partir du Saguenay pour établir mon centre de distribution à Boucherville, parce que les Purolator de ce monde n’étaient pas aussi largement déployés qu’aujourd’hui. C’est vrai que j’arrivais en terrain inconnu où personne ne me connaissait. C’était déstabilisant et exigeant, mais c’est comme ça qu’on se dépasse. Endosser une mission J’ai acheté le RFAQ et je l’ai sorti de son marasme financier. C’était difficile et j’ai persévéré, parce que j’avais trouvé une cause que j’étais prête à défendre entièrement. Ensuite, après l’avoir remis sur pied, j’ai décidé de redonner le réseau aux femmes et d’en faire un organisme à but non lucratif, parce qu’il est plus grand que nature! J’ai rendu aux femmes ce qui aurait toujours dû leur appartenir. Trouver l’équilibre Être entrepreneure, c’est créer ses propres règles. Quand mes filles étaient jeunes, j’avais établi la «règle de 5 heures» : à partir de cette heure-là, elles pouvaient m’appeler et me déranger pour n’importe quoi. Ma famille est ma priorité et j’ai son soutien inconditionnel. |
Un leadership qui rayonne
Ruth Vachon est reconnue pour son énergie débordante. Son secret? Déployer cette ardeur au bon endroit, auprès des bonnes personnes, en tirant le meilleur de chacun. Elle avoue d’ailleurs tenir deux listes : celle des gens avec qui elle souhaite collaborer et celle des personnes auprès de qui l’effort à consentir sera trop important. «Parce que consacrer du temps aux mauvaises personnes nous prive d’occasions de bâtir des relations avec les bonnes personnes», explique-t-elle.
Ruth Vachon a souvent mis sa philosophie à l’épreuve, mais une décision marquante illustre parfaitement la force de ses convictions. En reprenant la tête du RFAQ en pleine crise financière, elle a refusé une offre importante d’un investisseur dont les valeurs ne correspondaient pas aux siennes. «Je lui ai dit : “Merci pour votre confiance, mais je ne peux pas accepter”. J’étais au bord des larmes, je n’avais plus un sou!» Quelques semaines plus tard, trois organismes l’ont approchée pour devenir des partenaires fidèles, précisant que son intégrité avait été déterminante dans leur choix. Ce partage de valeurs communes nourrit la confiance mutuelle et facilite l’avancement des projets.
Pour bâtir ses équipes et ses partenariats, la femme d’affaires privilégie des collaborateurs uniques, honnêtes dans ce qu’ils sont et engagés. «C’est plus que de l’authenticité : j’invite chacun à révéler le meilleur de lui-même. Pour qu’une équipe prenne plaisir à collaborer, il faut placer les gens là où ils sont le plus compétents, où ils sont motivés, pour éviter une perte d’énergie inutile. À mes employées, je demande où elles ont envie de faire une différence. Je leur dis qu’elles ne feront peut-être pas toujours ce qu’elles aiment, mais que le jour où les tâches qu’elles n’aiment pas dépasseront 20%, on se reparlera, parce que cela signifiera qu’elles ne sont pas à la bonne place. Mon objectif n’est jamais de leur mettre de la pression, mais de les faire briller.»
Dans la tête de Ruth VachonQuelle est la première chose que vous faites le matin? Je m’entraîne. Et j’écoute toujours quelque chose de motivant. Je suis une femme qui exerce un leadership positif. Je tiens un journal. Pas tous les jours, mais je note régulièrement mes réflexions. C’est une manière de se comprendre soi-même et de mieux comprendre les autres. Avec qui rêvez-vous de prendre un café? Je ne bois pas de café, mais j’aime bien le thé. J’aime le partager avec des personnes inspirantes qui ont des idées surprenantes, qui incarnent leurs valeurs et qui savent en parler avec sincérité. Bref, des gens qui ont quelque chose de motivant à me raconter! La chose la plus dure qu’on vous ait dite? Hum… Je ne sais pas. Mais je m’en suis certainement servi pour apprendre et avancer. Pour moi, tout est une occasion d’apprentissage. Quand quelque chose bloque, je me demande ce que je n’ai pas vu, quelle opportunité j’ai manquée. Alors, quelle est la chose la plus belle qu’on vous ait dite? Ça, je m’en souviens ! Il y en a deux. Une dame a déjà dit de moi : « Ruth Vachon, c’est une force de la nature.» Et une autre m’a déjà dit : «Ruth Vachon, merci d’exister.» Ces deux phrases m’ont profondément émue et marquée. Où vous voyez-vous dans cinq ans? J’aurai laissé la direction générale pour endosser le rôle où je suis la meilleure : celui de développeuse de longue haleine. Et c’est en train de se faire! J’ai ciblé la bonne candidate et nous nous sommes donné quelques mois pour effectuer la transition. Je lui ai dit : «Il faut que tu apprennes à être directrice générale, car tu ne l’as jamais été. Et moi, je dois apprendre à cesser de l’être, parce que je l’ai toujours été!» C’est ce qui va me permettre de me libérer du temps pour agir là où je fais réellement une différence. Pour le reste, je n’ai jamais peur de ce qui s’en vient, j’anticipe le beau. Votre cause est celle des femmes. Vous décrivez-vous comme féministe? Pas nécessairement. J’ai réussi à ma façon, en étant simplement moi-même, avec mon assurance, mes couleurs vives, mon franc-parler et mon désir de rencontrer des gens. Votre principal conseil à une jeune entrepreneure? Tout ce que tu fais est un moyen pris pour évoluer et te rendre ailleurs. Vois la vie comme un moyen, pas comme une finalité. C’est une excellente manière de dédramatiser les choses. |
Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion
Note
1 - Selon un rapport de 2023 sur l’état de l’entrepreneuriat féminin au Canada du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat.
Leadership , Management