À 31 ans, cette jeune Américaine à Paris est la directrice de la Halle Freyssinet, présentée comme le plus grand incubateur numérique du monde et qui ouvrira ses portes fin 2016. Après avoir conseillé des start-ups dans la Silicon Valley puis à Londres, elle s’emploie aujourd’hui à promouvoir l’entrepreneuriat français de haute technologie auprès des entrepreneurs et des investisseurs étrangers. Rencontre avec celle que Business Insider avait classée en 2013 parmi les 30 femmes de moins de 30 ans qui comptent dans les nouvelles technologies. John Chambers, le patron de Cisco, numéro 1 mondial des réseaux, a annoncé fin 2015 qu’il doublait ses investissements en France en faveur des start-ups. Vous-même avez quitté la Silicon Valley pour Paris. La France aurait-elle enfin le vent en poupe?


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Cisco a investi dans deux fonds renommés, IDInvest et Partech, et a réalisé d’autres investissements en France sans passer par un fonds tiers. C’est un très bon signe. D’autant qu’il n’est pas seul à être séduit par l’écosystème local! Comme John Chambers, je crois effectivement que la France devient de plus en plus attrayante. Le pays a beaucoup changé depuis mon arrivée en 2009. À l’époque, on avait peu de fonds, aucun accélérateur et très peu de start-ups. Aujourd’hui, il ne manque pas d’argent, surtout en amorçage des projets, et on commence à voir apparaître des fonds de développement et de très nombreux programmes d’accompagnement. Résultat : le nombre de start-ups a décollé et, point intéressant, de plus en plus d’entre elles sont techniquement très avancées. La France a décidé de devenir une « République numérique » selon le terme officiel, et s’en donne les moyens. Elle a également commencé à penser à sa stratégie d’acquisition de talents étrangers, un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et les premiers dispositifs se mettent en place. Franchement, c’est très prometteur.

« La French Tech », cette bannière sous laquelle le gouvernement a décidé de promouvoir à l’étranger l’écosystème haute technologie commence-t-elle à porter ses fruits? Les entrepreneurs étrangers ne disent plus qu’il est impossible de lever de l’argent... Certes, tout n’est pas parfait. Il faudrait pouvoir encore réduire les freins administratifs et créer plus d’avantages fiscaux pour les entrepreneurs et les investisseurs. Mais il me semble que l’on avance dans le bon sens. À l’inverse, les programmes pour attirer et accueillir les étrangers commencent aussi à prendre forme — surtout avec le French Tech Ticket, ce programme lancé en 2015 pour accueillir une cinquantaine d’entrepreneurs étrangers, avec à la clé des bourses, du mentorat, un bureau dans un incubateur parisien, etc. J’ai eu l’occasion récemment de rencontrer les candidats sélectionnés. Ils viennent d’Inde, d’Israël, des États-Unis, de Chine, d’Argentine… et leurs projets sont impressionnants : des robots architectes ou des purificateurs d’eau à base de diamants, par exemple. C’est juste dingue! Cela dit, malgré ces débuts prometteurs, ces programmes sont encore perfectibles, car la France n’est pas si facile que ça pour les jeunes entrepreneurs. Il va falloir les aider à réseauter, à comprendre les règles, la culture... C’est pourquoi je travaille actuellement avec le réseau French Tech pour amorcer un projet dans ce sens. Mais il est encore trop tôt pour le dévoiler…

La Halle Freyssinet - 1 000 start-ups -, qui sera inaugurée dans moins d’un an, et dont vous êtes directrice, s’inscrit dans la stratégie de développement numérique de l’État français. Mais c’est une initiative privée, celle du patron de Free, Xavier Niel… En partenariat avec la Ville de Paris, cofinancé par la Caisse des dépôts et consignations et par Xavier Niel, l’incubateur, qui devrait accueillir 1 000 start-ups fera partie de l’écosystème de la French Tech et de la République numérique. Mais c’est grâce à la vision et à la volonté de cet entrepreneur formidable que le projet a cette envergure. La Halle Freyssinet sera véritablement un endroit unique au monde et pas juste grâce à sa taille (plus de 34 000 m2). L’initiative a pour objectif de permettre le développement d’une nouvelle génération d’entreprises dont la France a besoin pour renforcer sa compétitivité dans un secteur clé. Dans cette ancienne halle du XIXe siècle totalement repensée, les entrepreneurs trouveront des espaces réservés comme des espaces de travail partagés, un atelier de fabrication numérique (fablab), un grand auditorium, des salles de réunions pour trois à six personnes, de larges espaces de travail, un immense bar restaurant ouvert jour et nuit, autant de lieux de rencontres, d’échange et de liberté.


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Vous organisez aussi des « Failcon », des conférences consacrées à l’échec entrepreneurial. Car, contrairement aux Nord-Américains, les Français préfèrent parler de leurs réussites plutôt que de leurs échecs… Nous avions déjà essayé de faire témoigner des entrepreneurs français de leurs échecs, mais cela n’avait pas du tout fonctionné! J’ai donc décidé d’importer le modèle des « Failcon » américains. Nous avons imposé la langue anglaise (ce qui, paradoxalement, peut faciliter les choses pour les Français), mis les participants face à d’autres intervenants étrangers (les différences culturelles permettent de relativiser) et on les a obligés à raconter l’histoire personnelle d’un échec. Et là, ça a marché! D’autant que nous avons obtenu le soutien de Fleur Pellerin, qui était alors ministre de l’Économie numérique et cela a déclenché une série de propositions de participations et de commandites! J’avais sous-estimé le poids de la politique en France…

En créant l’association Girls in Tech, c’est un autre défi que vous avez décidé de relever, celui de la mixité dans les nouvelles technologies. Voyez-vous du progrès dans ce domaine? J’ai monté cette association en France et en Grande-Bretagne et je pilote aujourd’hui le réseau en Europe. J’ai l’impression que l’écosystème commence à prendre conscience du problème, surtout en France, où j’ai constaté beaucoup de progrès! Je peux vous donner l’exemple de la Lady Pitch Night, une compétition pour les start-ups fondées par les femmes, que nous avons lancée en France en 2011. Cet évènement couvre aujourd’hui toute l’Europe. En 2012, nous avons reçu 50 candidatures de 11 pays différents (incluant la Lettonie, la Grèce et la Hongrie) et on était très contents. Mais en 2015, nous avons reçu plus de 300 candidatures de presque 30 pays — et cela concerne uniquement les start-ups ayant moins de 3 ans! Si aujourd’hui environ 30 % des start-ups technologiques sont fondées par des femmes, seuls 10 % environ des métiers techniques, comme l’ingénierie, sont féminisés. Il reste encore à fournir beaucoup d’efforts pour sensibiliser les jeunes filles et les orienter vers ces branches professionnelles.