Les enseignements du plus célèbre de nos fabulistes, Jean de La Fontaine, semblent à des années-lumière de la réalité de notre monde contemporain, où tout bouge et tout se transforme à la vitesse de l'éclair. N'exige-t-on pas de nos employés, et peut-être de nous-mêmes également, d'être dynamiques, motivés, proactifs, énergiques et de viser haut et loin?

Dans un monde où l'instantanéité est reine et où tout doit être accessible ici et maintenant, le lièvre est à l'honneur et la tortue ronge son frein... Pourtant, en matière de cheminement de carrière, la patience pourrait bien être une vertu, une chose qu'avait bien comprise François Rabelais lorsqu'il énonçait que : « Tout vient à point qui sait attendre. » Certains pourraient en effet peut-être rêver de suivre le même parcours que l'acteur Michael J. Fox dans The Secret of My Success (1987) et de passer de commis au courrier à la haute direction d'une prospère entreprise en l'espace de quelques semaines! Mais la réalité, on le devine bien, est tout autre!


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En fait, aux dires de Karen Firestone, présidente de la firme Aureus Asset Management, l'atteinte à pas de tortue des sommets de l'entreprise ou de l'organisation pourrait s'avérer davantage gratifiante pour les individus concernés (lire son article « Taking Longer to Reach the Top Has Its Benefits », sur le site Internet de la Harvard Business Review). La dirigeante d'entreprise a en effet voulu savoir si les membres de la haute direction connaissaient, à un point ou un autre de leur ascension professionnelle, un ralentissement ou une période de surplace. La réponse à sa question s'est avérée affirmative, mais avec une nuance : presque toutes les femmes rapportaient avoir connu un tel ralentissement, alors que près de la moitié des hommes avaient vécu la même chose. Il y a là une différence notable, qui est essentiellement due à la maternité pour les femmes, alors que les hommes ont invoqué le changement d'emploi ou une période de chômage.

De prime abord, ces données, tirées par l'auteur d'un échantillon relativement restreint de 45 dirigeantes et dirigeants d'entreprise, faut-il signaler, peuvent paraître désolantes, notamment pour les femmes. Toutefois, il y a de quoi se rassurer! Une étude récente1, forte d'un échantillonnage de 4 730 femmes, a démontré que si les femmes étaient, au chapitre de l'ascension professionnelle, en effet pénalisées par la maternité, l'impact de cette dernière tendait à s'effacer au fil des ans, et même à disparaître à l'aube de la cinquantaine. En somme, comme l'affirme Karen Firestone : « While it took the parents longer to get to where they wanted to be, they did get there eventually ».

Bref, rien ne servirait de courir, il faut évidemment partir à point et, surtout, savoir doser intelligemment ses efforts. De fait, les dirigeants interviewés par l'auteure ont presque unanimement déclaré qu'un rythme d'ascension moins élevé avait été bénéfique, ne serait-ce que dans la perspective d'éviter l'épuisement professionnel, qui peut surgir si sournoisement! Jean de La Fontaine aurait été en total accord avec cette philosophie, lui qui nous rappelle, de son lointain XVIIe siècle, que « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage »...


Note

1. Joan R. Kahn, Javier Garcia-Manglano et Suzanne M. Bianchi (2014) « The Motherhood Penalty at Midlife: Long-Term Effects of Children on Women's Careers ». Journal of Marriage and Family, 76(1), pp. 56-72.