Et si l'innovation culturelle passait aussi par la création de partenariats originaux avec des industries étrangères à la sienne ?

Découverte et rencontrée lors du premier Forum Culture + Numérique tenu à Shawinigan, la start-up Black Artick qui se spécialise en réalité augmentée l'a bien compris. L'entreprise a mis au point une application permettant aux commis de mieux distinguer la fraîcheur des fruits et des légumes. Grâce à elle, les employés peuvent désormais savoir si un fruit ou un légume est mûr ou non. Résultat pour les propriétaires de supermarchés, un chiffre d'affaires qui bondit de 40 %.

Réalité augmentée

Le terme paraît sorcier, mais il n'en est rien. La réalité augmentée signifie simplement l'acte « d'apporter une information nouvelle au monde qui nous entoure grâce à la technologie », explique d'emblée Lionel Guillaume, président de Black Artick, une start-up spécialisée dans la réalité immersive pour la culture, le tourisme et le marketing. De multiples applications permettent aujourd'hui de visiter des lieux touristiques de façon immersive. Autrefois, il y avait les fameux casques d'écoute. En ce moment, nos appareils intelligents donnent un second souffle aux visites muséales en y ajoutant une couche de réalité à l'expérience. La réalité augmentée peut vous faire voir par exemple un château comme il était il y a cinq siècles en superposant la partie du monument manquante au bon endroit grâce à l'écran de votre téléphone intelligent.

Là où Black Artick innove, c'est dans l'utilisation de cette technologie. « Grâce à la réalité augmentée, nos clients, propriétaires de supermarchés, ont réussi à mieux former leurs commis. Leurs employés savent désormais exactement à quel moment un fruit ou un légume doit être consommé. De plus, ceux-ci peuvent le découper pour optimiser ce produit », explique Lionel Guillaume à la tête de la start-up. Non seulement le client est satisfait d'acheter des fruits et légumes parfaitement mûrs et goûteux, mais l'empreinte environnementale des clients de Black Artick s'est nettement améliorée puisque la nourriture jetée aux ordures se fait de plus en plus rare. Qui plus est, les employés qui apprennent avec ces technologies sont davantage motivés à rentrer au boulot. « Nous avons constaté un meilleur taux de rétention dans les compagnies faisant appel à la réalité augmentée », s'enchante-t-il.

Innover pour attirer les talents

« La technologie pose un défi de ressources humaines, de processus, de produits et de chaîne de valeurs », lance Sylvain Carle qui dit en boutade vouloir être reconnu comme étant le « Hubert Reeves du numérique ». Le cas de Black Artick démontre avec force que ces défis peuvent être surmontés. Il pourrait en effet s'agir d'une piste de solution pour certains joueurs plus petits de l'industrie du jeu vidéo et du cinéma qui peinent à tirer leur épingle du jeu après de fort belles années. Depuis que les monstres du divertissement ont choisi de s'installer dans la province, plusieurs PME d'ici subissent les contrecoups de l'arrivée de ces mastodontes du numérique et cherchent une façon de se sortir du marasme.

« Nous formons nos employés et dès qu'ils sont excellents, ils nous abandonnent pour une multinationale qui offre de meilleures conditions salariales que nous ! C'est dur, très dur en ce moment! », confesse une patronne préférant garder l'anonymat. Que faire alors pour retenir ces talents prometteurs au sein des entreprises québécoises ? Peut-être qu'à l'image de Black Artick une diversification de leurs activités serait féconde ?  « Le numérique détourne notre attention en ce moment, estime pour sa part Sylvain Carle. Or, les gestionnaires doivent saisir l'ampleur du changement organisationnel provoqué par la culture numérique. Les dirigeants d'entreprises doivent avoir la "compétence interactive" », c'est-à-dire être prêts à intégrer de nouvelles informations pour prendre de meilleures décisions, l'innovation viendra naturellement ensuite.

Bien sûr, les gestionnaires ne peuvent pas tout savoir. D'où l'importance de bien s'entourer à la fois de natifs du numérique et de gens prêts à apprendre. « Une entreprise innovante aujourd'hui n'en est pas une qui a toutes les réponses, mais qui se pose des questions », insiste l'associé de Real Ventures qui a aussi été consultant auprès des plus grandes boîtes québécoises. « Une prise de conscience doit se faire. De nombreuses entreprises ne sont pas encore rendues au bord du précipice », constate Suzanne Gouin, gestionnaire et administratrice aguerrie. « Software is eating the world », aime dire Sylvain Carle, citant Marc Andreessen, l'inventeur du premier navigateur web. « Le système du XXe n'est pas favorable au numérique parce qu'il a pris forme à une autre époque, dans un autre contexte », renchérit-il. Aux entreprises culturelles de se servir du numérique pour sortir de leur zone de confort, l'innovation pourrait s'y trouver.