Article publié dans l'édition Printemps 2022 de Gestion

Au cours des dernières années, le taux de roulement parmi les hauts dirigeants a augmenté considérablement. À la clé, davantage d’occasions offertes à des aspirants PDG d’accéder pour la première fois à ce poste convoité. Mais comment réussir son entrée en fonction lorsqu’on n’a jamais endossé ce rôle?

Lorsqu’on devient PDG pour la première fois, tout change. On passe d’une situation où on était constamment supervisé et dirigé par un supérieur à un poste qui nous place tout en haut de la pyramide. Pour certains, la transition est brutale et parfois même douloureuse, alors que d’autres y accèdent en douceur. On peut donc s’interroger sur les éléments distinctifs qui contribuent à une entrée en fonction réussie.

À leur arrivée en poste, nombreux sont les nouveaux PDG qui constatent qu’ils avaient largement surestimé leur degré de préparation. S’ils évaluaient leur niveau de confort à plus de 7 sur 10 aux premiers jours de leur mandat, ils ne l’estimaient plus qu’à 3,5 sur 10 six mois plus tard!

Dossier Devenir PDG

Savoir-faire et savoir-être

Chausser les souliers d’un PDG comporte une notion non seulement de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. Le premier touche la performance opérationnelle, alors que le second a trait à l’expérience acquise et aux habiletés personnelles développées au fil du temps. Or, ces dernières revêtent une importance cruciale pour qui souhaite endosser le rôle du plus haut dirigeant. De plus, l’équilibre personnel et la santé mentale du PDG auront nécessairement des répercussions sur ses actions. C’est pourquoi il est crucial de mesurer le niveau d’engagement requis pour assumer une telle fonction et d’évaluer sa capacité d’y faire face.

La meilleure façon de réussir son passage vers le sommet de la hiérarchie consiste donc à se doter des compétences opérationnelles adéquates et à acquérir un solide savoir-faire (doing), tout en adaptant son savoir-être (being) aux besoins de la fonction.

Or, s’il est aisé de déterminer les connaissances techniques à acquérir et les formations à suivre, le travail à effectuer sur le savoir-être est moins facile à cerner. Concrètement, quels aspects spécifiques les nouveaux candidats à un poste de PDG devraient-ils améliorer? Sur quels points de vulnérabilité devraient-ils travailler en priorité?

Après avoir étudié la littérature scientifique portant sur le sujet et effectué des entrevues sur le terrain, nous avons fait plusieurs constats. La personne qui accède au poste de PDG pour la première fois fait systématiquement face à des problèmes variés, et ce, quel que soit son niveau de préparation. Certes, le conseil d’administration peut l’aider à s’adapter à sa nouvelle situation et à bien saisir les exigences des différentes parties prenantes. Et les membres de la haute direction peuvent aussi faciliter la transition d’un point de vue technique et stratégique. Toutefois, la relation du nouveau PDG avec son équipe changera considérablement lorsqu’il prendra les commandes de l’organisation.

Le nouveau venu peut aussi se sentir très seul et très isolé au moment de prendre des décisions difficiles. En outre, il devient l’ambassadeur et l’image de l’entreprise. Sa vie personnelle sera également bouleversée, de même que le niveau des défis auxquels il sera exposé, alors que sa confiance en lui sera faussée et peut-être même surévaluée. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’apport positif du coaching, tant professionnel que personnel. À la lumière de cette analyse, cinq éléments clés sont ressortis très clairement.

1. L’adaptation à une nouvelle normalité

Se retrouver propulsé au plus haut échelon d’une entreprise transforme la vie personnelle d’un PDG, et ceux qui endossent ce rôle pour la première fois ont le sentiment de devoir en faire davantage pour affirmer leurs compétences dès le départ. Ils ont tendance à se montrer constamment disponibles, sacrifiant les moments passés en famille. À cela s’ajoutent les longues heures à consacrer au travail, le stress, l’anxiété, voire l’insomnie et les problèmes de santé physique et mentale générés par des responsabilités écrasantes.

Comment s’adapter à cette nouvelle réalité? Les PDG utilisent différents moyens, comme l’exercice physique, le yoga, la méditation, une alimentation plus saine et du temps pour soi ou pour sa famille. Autant de méthodes qui aident à retrouver et à maintenir un équilibre relatif entre vie personnelle et vie professionnelle. Avoir conscience qu’une nouvelle réalité s’impose constitue déjà le début de la solution.

2. L’importance de s’adjoindre un coach

Bien que cela puisse sembler contradictoire au premier abord, les leaders ont aussi besoin de soutien. Ils doivent autant écouter et recevoir des conseils que décider et diriger. Il existe différentes sources de soutien : famille, amis, proches. De l’aide professionnelle comme du coaching peut aussi leur être profitable, particulièrement pour les aider à s’adapter à leur nouveau rôle et à améliorer leur savoir-être.

Pour devenir le leader dont l’organisation a besoin, le nouveau PDG devra nécessairement se perfectionner, s’adapter et grandir, en plus de s’approprier la vision de l’entreprise. En ce sens, faire appel à un coach peut faciliter cette démarche, car celui-ci contribuera à révéler les grandes lignes de la personnalité du PDG et à accroître sa confiance tout en l’aidant à garder le cap, malgré l’incertitude et les périodes de turbulences.

De l’avis des PDG interrogés sur la question, le coaching s’avère particulièrement utile pour remédier à des difficultés ponctuelles, tant sur le plan du savoir-faire que du savoir-être. La plupart d’entre eux ont d’ailleurs plus d’un coach – un pour le travail et un autre pour des questions plus personnelles – qui les accompagnent pendant plusieurs années. Certains ont aussi eu recours à leurs services pour préparer leur candidature au poste de PDG.

3. Un rôle d’ambassadeur et de modèle

Lorsqu’ils accèdent au poste tant convoité après avoir assumé différentes fonctions au sein de l’organisation, la plupart des nouveaux PDG disent qu’ils perçoivent un changement dans le regard de leurs collègues. Des relations jusque-là amicales peuvent se transformer en contacts hostiles. Leurs paroles et leurs actions sont scrutées, soupesées, décortiquées, critiquées.

De nombreux PDG ont aussi le sentiment de devoir désormais assumer un rôle de modèle, ce qui tend à modifier leur manière de s’adresser aux autres, de communiquer avec les médias et d’interagir avec les membres du conseil d’administration, les représentants des syndicats, les partenaires, etc.

Le PDG devient aussi un véritable ambassadeur de l’entreprise. Il se retrouve sous le feu des projecteurs, ce qui l’oblige à mesurer avec soin ses paroles et les gestes qu’il pose. C’est à lui que revient la responsabilité finale des succès et des échecs de l’entreprise. Le PDG représente l’organisation auprès des employés, du conseil, des actionnaires, mais aussi des consommateurs. Nombre d’entre eux sont devenus de véritables icônes, leur nom étant intimement lié à la marque. Pensons, par exemple, à Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Steve Jobs et Elon Musk, pour ne nommer que ceux-là.

À ce lourd fardeau s’ajoute aussi un paradoxe : alors que l’organisation souhaite avoir un leader authentique à sa tête, le PDG peut-il réellement demeurer lui-même en tant qu’ambassadeur? Ici, il faut se rappeler que l’authenticité sera mise au service de l’entreprise, le nouveau dirigeant devant en épouser la cause et la vision. Le grand patron doit donc s’attendre à devoir faire des compromis, voire quelques contorsions, pour répondre aux attentes.

4. Les relations avec le conseil d’administration

Bon nombre de chercheurs se sont intéressés à l’attitude que le PDG doit adopter par rapport au conseil d’administration, avec lequel il partage certaines responsabilités. Pour un PDG, le conseil d’administration a une importance considérable, car une relation constructive avec ses membres lui permettra au besoin de trouver des appuis et d’être rassuré sur la pertinence de ses décisions. Cet aspect critique a été particulièrement souligné par les hauts dirigeants qui ont été recrutés en dehors de l’organisation. De leur côté, les candidats issus de l’interne disaient qu’ils avaient des relations pacifiques avec le conseil. Pour un nouveau patron, il ne faut donc pas se mettre en porte-à-faux avec le conseil, sachant que les frictions et les conflits nuisent à la bonne conduite des affaires.

Une fois arrivé en fonction, le PDG pourrait évidemment remercier certains administrateurs. Quelques-uns des hauts dirigeants interrogés nous ont d’ailleurs mentionné qu’ils avaient détecté dès leur processus d’embauche quels administrateurs devraient être remplacés, faisant parfois de cette constatation une condition sine qua non pour accepter le poste.

Il est également possible d’instaurer des règles dans le cadre des discussions et des échanges entre le PDG et le conseil. Des recherches révèlent d’ailleurs que les autocrates ont plus de chances de réussir à établir les règles du jeu que les leaders plus consensuels et plus consultatifs.

5. L’apprentissage en continu

Dernier élément et non le moindre : les recherches montrent que l’apprentissage et la formation continue représentent une zone de vulnérabilité marquée chez les nouveaux PDG. Ces derniers doivent faire preuve d’humilité, admettre qu’ils ne savent pas tout et consulter leurs équipes. Et surtout, ils doivent se rappeler qu’ils sont désormais à la tête d’une entreprise et non plus d’un secteur. En ce sens, ils doivent apprendre à gérer à un autre niveau.

Au bout du compte, lorsqu'ils parviennent à combiner ces différents éléments avec doigté, les nouveaux PDG mettent toutes les chances de leur côté pour intégrer harmonieusement une fonction exigeante, certes, mais très convoitée.