Le groupe Reitmans, fondé en 1926 par Herman et Sarah Reitman et géré aujourd’hui par leur petit-fils, Stephen, est un des piliers de l’industrie du vêtement au Canada. Présent d’un océan à l’autre, il fait partie intégrante du quotidien des femmes depuis des décennies.

Ces dernières années, l’entreprise a connu des hauts et des bas, et l’accumulation des mauvaises nouvelles, exacerbées par les conséquences de la crise de la COVID-19, a fini par pousser Reitmans à prendre des décisions difficiles et passablement drastiques : suppression de 1 400 emplois et fermetures des bannières Thyme Maternité et Addition Elle. Bien que le coup de hache fut attendu, l’ampleur des coupes en a surpris plusieurs, notamment les consommatrices fidèles aux enseignes sacrifiées. Alors, comment en est-on arrivé là?

Depuis une quinzaine d’années, le commerce de détail est en ébullition et les changements y sont non seulement nombreux mais également profonds, ceux-ci touchant à la nature même de ses activités et de son modèle d’affaires. Mi-figue, mi-raisin, cette période pour Reitmans était plombée par des résultats financiers insatisfaisants. La divulgation des derniers résultats, particulièrement décevants, et surtout la dégringolade historique de son titre en bourse a sonné l’urgence de la situation. Après la fermeture de près de 400 magasins depuis dix ans, des choix importants étaient à faire à court et moyen terme pour redresser la barre et redonner confiance aux clients et investisseurs. L’entreprise a pourtant entrepris au fil des ans des changements importants pour s’adapter à la nouvelle réalité du commerce et des consommateurs. L’entreprise a ainsi fermé trois bannières au cours des dernières années, tout en déployant des efforts sur le plan du commerce électronique et en tentant des percées aux États-Unis, sans grand succès. Il y a eu entre autres la bannière Cassis (destinée à une clientèle plus âgée) qui souffrait d’un positionnement flou, Smart Set qui ressemblait souvent à la bannière principale Reitmans et qui présentait des problèmes de style et des lacunes au niveau de son branding, et la fermeture des magasins Hyba (vêtements de sport pour femmes) en mars 2018, qui ne présentait pas de véritable différenciation comparativement aux autres joueurs du même marché, pourtant en plein essor.

Il faut comprendre que dans la vie d’une grande entreprise avec de multiples marques, un des défis importants représente la distribution des ressources à travers les différentes divisions, ainsi que la recherche de certaines synergies pour optimiser celle-ci. Toutes les grandes entreprises ont à prendre ce type de décisions d’affaires à l’instar d’Aldo. C’est ainsi que les décisions d’élaguer certaines bannières ont permis d’investir dans la marque RW&CO et de la repositionner clairement sur le marché. Aujourd’hui, elle se veut la vache à lait de la compagnie.

Parallèlement, Reitmans a continué de faire le ménage en procédant à la fermeture des magasins les moins rentables. Avec la baisse des fréquentations dans les centres commerciaux, surtout les moins prestigieux, l’augmentation des ventes en ligne ainsi qu’une pression plus grandissante pour consommer moins, on constate que le nombre de magasins moins rentables augmente avec le temps. La tendance de réduire le nombre de magasins physiques est d’ailleurs généralisée dans le commerce de détail.

Pour la bannière Thyme Maternité, destinée à une clientèle bien précise, la question de la pertinence d’avoir ses propres magasins s’est posée. Théoriquement, dans un contexte où on veut privilégier l’expérience en magasin, il aurait été intéressant de réduire le nombre de magasins tout en choisissant d’en conserver quelques-uns, stratégiquement situés, pour offrir un environnement spécifique à une clientèle qui l’est tout autant. Contrairement à Hyba, dont le rapatriement dans les magasins de la bannière Reitmans s’est fait de façon plus naturelle, opter pour la même stratégie avec des vêtements de maternité pourrait s’avérer plus difficile.

Finalement, il était temps pour Reitmans de s’attaquer de front au dilemme de ses magasins destinés aux tailles fortes, qui se pose depuis longtemps. Jadis négligé, ce marché connaît une véritable croissance et suscite logiquement l’appétit des grandes chaînes. Compte tenu des derniers résultats de vente assez décevants de ces deux bannières (2019-2020), il était  urgent de se questionner sur la pertinence de maintenir en vie deux enseignes de tailles plus. Malgré l’effort important que l’entreprise a consenti pour différencier clairement les deux bannières, leur coexistence posait problème dans un contexte d’une offre concurrente plus large à laquelle s’ajoute une baisse de fréquentation des lieux physiques. D’ailleurs, la direction avoue avoir fait de « graves erreurs en voulant faire des changements », notamment en essayant d’attirer plus de clientèle vers Addition Elle au détriment de Penningtons.

Jeremy H. Reitman et ses cadres n’ont probablement pas misé sur le bon cheval. La clientèle d’Addition Elle est plus volatile et influencée par la mode et peut entre autres trouver son bonheur dans les chaînes de la fast fashion, alors que celle de Penningtons est plus âgée mais beaucoup plus fidèle. D’ailleurs, cette dernière s'est classée en 2017 première, pour la deuxième année de suite, de l'indice Wow d’expérience client parmi les 173 magasins sondés par la maison de sondage Léger pour le journal Les Affaires. Le choix s’est donc porté sur la bannière Penningtons, mettant ainsi fin à une forme de cannibalisation entre les deux enseignes.

Pour finir avec cette autopsie, il est incontournable d’évoquer un élément non négligeable pour comprendre les décisions de Reitmans, à savoir la pression qu’exercent les actionnaires et qui explique assurément certains choix faits par la compagnie, des choix qui n’auraient pas été forcément les mêmes dans d’autres circonstances.

Reitmans aura donc un nouveau visage et une structure amincie, fin prête pour affronter les défis que propose aujourd’hui le commerce de détail, avec trois bannières bien distinctes dans son coffre à outils : 1) RW&CO pour les jeunes hommes et femmes de carrière qui cherchent une destination pour des vêtements sophistiqués et polyvalents pour un style de vie urbain et fonctionnel; 2) Reitmans pour la femme « ordinaire », assumant plusieurs rôles et cherchant un one stop destination, et dont l’attachement de bon nombre de Canadiennes à cette marque jouera en sa faveur, et 3) Penningtons , une destination tailles fortes avec un branding léché et inclusif.

En revanche, Reitmans a un dernier défi à relever, un défi de taille pour éviter que l’ensemble du paquebot sombre tel le Titanic, à savoir sa stratégie numérique. Relativement en retard par rapport à certains de ses concurrents, notamment en raison de la taille de ses activités et la diversité de ses bannières. De fait, les actions de rattrapage ne suffiront plus. Il s’agit maintenant d’investir massivement pour mettre en place une véritable stratégie omnicanal permettant de mieux servir les clients à travers différentes plateformes connectées entre elles. L’entreprise aura beaucoup de mal à retrouver une bonne rentabilité, si elle échoue dans un tel exercice.

Les défis sont donc importants pour les dirigeants de Reitmans afin de ramener l’entreprise à bon port, et espérer fêter leurs 100 ans d’existence en 2026 dans une meilleure posture.