Les organisations confrontées à des problèmes complexes ou des situations nouvelles doivent être capables de voir par-dessus les solutions anciennes ou toutes faites. Au-delà des outils et des pratiques, quelles sont les aptitudes qui favorisent la résolution créative de problèmes?

Les 50 dernières années ont amorcé une ère de changements rapides pour les organisations. Notamment du fait de l'accélération de la mondialisation, rappelle François-Bernard Malo, professeur titulaire au Département des relations industrielles de l’Université Laval. «D’un point de vue social et culturel, les sociétés sont plus hétérogènes que jamais. [...] D'un point de vue technologique, si on pense ne serait-ce qu’à ChatGPT, il devient de plus en plus difficile de savoir ce qu'est effectivement la réalité.»

Ces transformations, parce qu’elles contribuent à rendre le monde plus complexe, incitent les entreprises à faire preuve de créativité pour trouver des solutions originales à des défis nouveaux, poursuit l’enseignant. Qu’il s’agisse de développer un produit impliquant l’intelligence artificielle ou d’aménager un environnement de travail sécuritaire et inclusif.

Au-delà des outils, les habiletés

Le propre des solutions originales, c’est qu’elles ne coulent pas de source. Il faut, pour qu’elles émergent, offrir aux travailleurs des conditions favorables à leur créativité, explique Marine Agogué, professeure titulaire au Département de management à HEC Montréal. «Il s’agit de se donner du temps et des ressources pour ne pas juste prendre la première solution à laquelle on pense, mais explorer les différentes alternatives, faire émerger des options.»

Ces ressources sont multiples et passent par la mise en place de processus – tels que le design thinking – et d’outils[1], eux-mêmes régis par des règles que les individus doivent connaître pour les utiliser au mieux, souligne François-Bernard Malo.

Mais ce n’est pas tout. «Une fois que l'on connaît la pertinence de voir et de faire les choses autrement, encore faut-il posséder les capacités à le faire. C’est là qu’on tombe dans la notion des habiletés et des savoir-être», indique l’enseignant.

En haut de la liste des dispositions qui favorisent la créativité en résolution de problèmes, Marine Agogué place la curiosité. Celle d'aller chercher des pistes de solution qui sortent de notre champ d'expertise. «Cela implique d'être sensibilisé à ce qui se fait ailleurs, d'être ouvert à la nouveauté ou à des choses qu'on maîtrise moins», précise l’enseignante, qui soulève qu’une culture organisationnelle promouvant un climat psychologiquement sécuritaire favorise grandement cette ouverture auprès de ses employés.

Vient ensuite la flexibilité cognitive, soit la capacité à voir un problème sous différents angles. Une aptitude qui favorise notamment la pensée divergente, qui permet de générer différentes idées de manière spontanée et non organisée.

Marine Agogué identifie enfin la persévérance comme facteur de créativité. «On a souvent cette image de la créativité comme venant d'une inspiration quasi directe alors que ça demande de l'effort, des ressources cognitives et émotionnelles. C’est un processus qui nécessite que l’on persévère.»

À ces dispositions peuvent encore s’ajouter la tolérance à l'ambiguïté, le goût du risque, l'indépendance d'esprit, l'imagination ou encore la non-soumission aux figures d'autorité, entre autres, énumère François-Bernard Malo.

La créativité, ça s’acquiert?

Si la génétique joue un rôle dans le potentiel créatif des individus, celui-ci est aussi le produit de notre environnement et de nos expériences. C’est en tout cas ce que soutient Mark A. Runco, professeur à la Southern Oregon University, et l’un des leaders de la recherche sur la créativité. «Le potentiel créatif semble être influencé par les valeurs culturelles, les styles et les choix parentaux, les investissements dans les compétences créatives, y compris la pratique, et, bien sûr, l'éducation[2]

Cela suggère que la créativité est une capacité qui se construit et qu’il est possible d’apprendre à mobiliser. Marine Agogué la compare d’ailleurs à un muscle que l’on peut développer. «Certaines personnes ont un potentiel créatif plus développé que d’autres, mais on est tous capables d'être créatifs.»

La Factry, l’école des sciences de la créativité basée à Montréal, se dédie à l’enseignement des compétences créatives aux entreprises et aux individus. L’équipe pédagogique a notamment mis sur pied un modèle de 6 pratiques essentielles à maintenir la «posture créative.» «Quand on est enfant, on est dans une posture d'émerveillement, de curiosité, d'ouverture aux possibilités, mais à mesure de devoir rentrer dans des cases et se montrer performant, la créativité s’atrophie. [...] Ici, on aide les gens à s’y reconnecter», explique Joëlle Sarrailh, directrice de l’expérience pédagogique.

Tirer le meilleur parti des équipes

Pour résumer, une organisation qui souhaite trouver des solutions originales et utiles à des problèmes complexes gagne à mettre autour de la table des personnes qui maîtrisent les techniques et les outils de la créativité, tout en présentant des dispositions à celle-ci. Et ce, qu’elles soient naturelles ou acquises. «Cela implique un paquet de choses, et c’est ce qui rend la créativité et l'innovation si difficiles», souligne François-Bernard Malo.

Aussi, l'intégration d’un médiateur au sein des équipes créatives est un élément déterminant pour que la mayonnaise prenne, conclut Marine Agogué. «Les outils seuls ne permettent pas de gérer les comportements, de distribuer la parole, d'inviter quelqu'un qui est plus sur la réserve, de rebondir sur les idées des uns et des autres ou de les reformuler. Un facilitateur va organiser, structurer, accompagner et faire des liens entre les idées.


Notes

[1] François-Bernard Malo propose une liste d’outils de base et d’outils avancés dans son ouvrage MALO, François-Bernard; MALO Annie, 2022, La créativité et la résolution des problèmes humains complexes en contexte organisationnel, Presses de l’Université Laval.

[2] RUNCO, Mark A. (2023) Research Interests. Mark A. Runco. Disponible sur : https://www.markrunco.com/research (consulté le : 28 mai 2024)