Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

Les entreprises élaborent différentes stratégies de communication dans les réseaux sociaux. À cet égard, le ton qu’elles emploient a son importance : elles peuvent par exemple adopter une approche humaine ou au contraire s’orienter vers une formule plus institutionnelle. Laquelle est la plus appropriée? Et surtout, comment l’utiliser à bon escient?

La popularité grandissante des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter n’est plus à démontrer. Ceux-ci ont d’ailleurs permis d’ouvrir de nouveaux horizons, tant pour les consommateurs que pour les entreprises.

Ainsi, des modèles d’affaires inédits ont fait leur apparition, de même que les notions de marques en ligne et de commerce social, c’est-à-dire l’utilisation des réseaux sociaux pour faire du commerce en ligne. La croissance fulgurante des dépenses consacrées à la publicité dans les réseaux sociaux – qui ont connu une augmentation de 20,8% en 2018 aux États-Unis alors qu’elles avaient progressé de seulement 8,9 % en 20131 – montre à quel point leur caractère incontournable s’est consolidé dans les activités marketing des entreprises. D’ailleurs, le nombre d’utilisateurs de réseaux sociaux devrait dépasser les trois milliards d’ici 20212.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi l’étude des stratégies à utiliser sur ces plateformes est un enjeu crucial pour les entreprises soucieuses de se démarquer de leurs concurrentes. Or, de nombreuses questions subsistent quant à la meilleure façon dont les marques pourraient se présenter et communiquer avec leurs consommateurs potentiels dans ces environnements. Les entreprises devraient-elles adopter un ton plus familier ou, inversement, maintenir une certaine distance?

Pour y voir un peu plus clair, nous avons réalisé une étude3 qui nous a permis de mieux comprendre les grands enjeux dans ce domaine. Quatre expériences ont été réalisées auprès d’environ 1000 participants au moyen de pages Facebook fictives d’un hôtel et d’un restaurant. Les participants devaient réserver une chambre dans le premier et une table dans le second, et ce, dans des contextes différents : soit pour leurs loisirs personnels, soit dans un but bien précis (voyage d’affaires ou repas d’anniversaire). Ces expériences ont permis de dresser des constats parfois surprenants.

Ton humain ou ton institutionnel ?

Lorsqu’il est question de communiquer avec les consommateurs dans les réseaux sociaux, les entreprises adoptent différents tons. On distingue d’ailleurs deux courants opposés. Tout d’abord, les entreprises peuvent adopter un ton neutre et strictement institutionnel. La page Facebook de la société de cartes de crédit Visa, par exemple, mise sur un style formel avec le texte suivant : « Bonjour. Merci de votre intérêt pour la carte Visa. Toutes les cartes Visa sont émises par les institutions financières de nos clients. Chacune d’entre elles a ses propres politiques d’émission et de frais. »

De son côté, Mastercard a opté pour une approche plus informelle et plus humaine sur sa page Facebook : « Salut ! Avez-vous une Mastercard ? Si oui, nous avons une petite #Surprise pour vous. Nous espérons que vous passez une excellente longue fin de semaine. » Dans ce cas-ci, on vise manifestement à reproduire le ton d’une conversation avec un ami pour créer un sentiment de proximité et ainsi contrer la perception selon laquelle la marque est une entité lointaine et abstraite. Le ton humain se définit non seulement par le choix des mots mais aussi grâce à des éléments graphiques comme des émoticônes ou même des avatars.

Dans les réseaux sociaux, le ton utilisé par une entreprise est très important lorsque les consommateurs connaissent peu la marque ou s’ils en sont à leurs premiers contacts avec celle-ci. Le ton jouerait même un rôle central pour accroître la confiance envers l’entreprise, ce qui aurait également une influence déterminante sur la suite de la relation avec la marque et sur les comportements d’achat à venir. Toutefois, le fonctionnement de ce mécanisme comporte encore plusieurs paramètres inconnus et certaines questions subsistent. Par exemple, les objectifs des consommateurs ont-ils une influence sur l’interaction avec l’entreprise?


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Objectifs et perception du risque

Toute activité de consommation a un but hédoniste ou un but utilitaire. Le premier découle des bienfaits émotionnels générés par l’expérience de consommation : acheter un billet d’avion, des vêtements ou des billets de concert, faire une réservation dans un restaurant ou dans un hôtel, s’inscrire à des cours de danse, etc. Par opposition, on peut poursuivre un objectif utilitaire lors de l’achat de services financiers, de services de nettoyage à domicile ou de matériel technologique, lorsqu’on fait réparer sa voiture, etc. en résumé, les utilitaristes cherchent à combler des besoins rationnels et évaluent les produits disponibles en fonction des qualités objectives que ceux-ci présentent, alors que les hédonistes accordent la priorité aux qualités subjectives et purement reliées au plaisir.

Par définition, une marque qui utilise un ton humain dans ses activités marketing transmet davantage d’émotions à ses interlocuteurs – et crée donc une plus grande valeur hédonique chez eux – qu’une marque qui se montre plus impersonnelle. D’ailleurs, ce ton semble particulièrement judicieux lorsqu’il s’agit de produits à valeur hédonique, mais il l’est moins si le but du consommateur est strictement d’ordre utilitaire.

Cependant, l’objectif visé n’explique pas tout : la perception du risque pèse également dans la balance. Pour réduire le risque, le consommateur a tendance à se cantonner à des options qui lui sont familières et à éviter celles qui s’éloignent de ce qu’il connaît bien. Il fonde également ses décisions d’achat sur des critères rationnels. Dans ces conditions, le recours inhabituel à un ton plus humain dans des secteurs d’activité qui ne sont pas reconnus pour en faire usage peut accroître le sentiment de risque chez lui.

De plus, notre étude a démontré qu’un ton empreint d’humanité ne suffit pas à changer la donne lorsque les commentaires négatifs de personnes insatisfaites abondent sur le site internet d’une entreprise. Le consommateur ne veut pas être ami avec des représentants de l’entreprise : lorsqu’il a un problème, il souhaite qu’on le règle vite et bien, un point c’est tout!

L’« implication situationnelle » est reliée à la perception du risque. Cette implication peut se définir comme l’importance d’un achat spécifique pour le consommateur ou encore comme l’effet du produit ou du service acheté sur son bien-être. Par exemple, le consommateur devra vivre avec les conséquences négatives d’un mauvais choix éventuel. Or, le recours à un ton humain lorsque la perception du risque et l’implication situationnelle sont élevées réduit manifestement les intentions d’achat. En revanche, toujours dans un contexte d’implication situationnelle élevée, un ton plus institutionnel tendrait à réduire la perception du risque et à accroître les intentions d’achat.


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Des leçons à tirer

Quelles leçons pratiques les gestionnaires peuvent-ils retenir de ces conclusions? Il n’existe pas de réponse simple ; tout dépend des produits ou des services offerts par l’entreprise. S’ils ont une forte valeur hédonique – et ce, dans un contexte de perception du risque et d’implication situationnelle faibles –, un ton humain sera approprié. Les agences de voyages, les librairies, les clubs sportifs, etc., gagneront à adopter cette approche.

Toutefois, si la perception du risque et l’implication situationnelle sont faibles, le choix d’un ton institutionnel ou humain aura peu d’importance dans le cas de produits ou de services de type utilitaire. Les services d’entreprise à entreprise (comptabilité, technologie, sécurité, nettoyage, etc.) satisfont à cette condition.

En revanche, on déconseille de recourir à un ton humain lorsque les produits ou services sont généralement associés à une perception de risque élevé et à une implication situationnelle forte. Les services financiers, les services médicaux et le courtage immobilier présentent ces caractéristiques. En effet, acheter une maison, engager un planificateur financier ou embaucher une infirmière, par exemple, sont des décisions lourdes de sens et de conséquences. En ce sens, le choix d’un ton humain par Mastercard n’est pas nécessairement une bonne idée.

Dans de telles circonstances, un ton institutionnel et le maintien d’une certaine distance avec le consommateur sont indispensables. En effet, celui-ci comprend d’instinct que la proximité et le côté humain peuvent déboucher sur un plus grand risque d’erreurs.

Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste


Notes

1 eMarketer, « US digital ad spending share 2018 », consulté le 10 janvier 2019

2 Statista, « Number of social media users worldwide from 2010 to 2021 (in billions) », 2019

3 Hübner Barcelos, R., Dantas, D. C., et Sénécal, S., « Watch your tone – How a brand’s tone of voice on social media influences consumer response », Journal of interactive Marketing, vol. 41, février 2018, p. 60-80