Requalification des talents : une priorité de gouvernance souvent oubliée
2025-02-24

French
https://www.revuegestion.ca/requalification-des-talents-une-priorite-de-gouvernance-souvent-oubliee
2025-02-18
Requalification des talents : une priorité de gouvernance souvent oubliée
Stratégie , Technologie , Gouvernance

L’intelligence artificielle (IA) et l’automatisation transforment rapidement le monde du travail. Pourtant, la requalification des employés et des gestionnaires demeure absente des priorités des conseils d’administration (CA), tous secteurs confondus. Si les dirigeants continuent d’ignorer cet enjeu stratégique, les organisations risquent non seulement de perdre en compétitivité, mais aussi de se retrouver incapables de s’adapter aux bouleversements économiques et technologiques à venir.
L’intelligence artificielle et l’automatisation redéfinissent les compétences essentielles au sein des organisations. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), d’ici 2030, un milliard de personnes devront être requalifiées pour suivre le rythme des transformations du marché du travail. Au Québec, cela concerne 1,3 million de travailleurs, soit 30 % de la population active; des chiffres qui prouvent une fois de plus qu’il est urgent d’agir.
Si certains commencent à reconnaître l’importance de la requalification des talents, le sujet reste trop souvent en marge des réflexions stratégiques des CA et des comités de direction. Une enquête menée par le Collège des administrateurs de sociétés de l’Université Laval montre que l’IA et l’évolution des compétences ne figurent pas encore parmi les priorités de discussions en lien avec la gouvernance. Pourtant, cette transformation a des répercussions sur l’ensemble de l’organisation, des employés aux gestionnaires en passant par les administrateurs eux-mêmes, qui doivent aussi actualiser leurs compétences pour accompagner ces changements.
Comment expliquer que cet enjeu, néanmoins déterminant pour la compétitivité des organisations, soit encore cantonné aux ressources humaines plutôt qu’intégré aux priorités de la gouvernance stratégique?
La gestion des compétences a longtemps été considérée comme un domaine réservé aux ressources humaines. Toutefois, dans un contexte où 57 % des entreprises canadiennes ont déjà intégré (ou prévoient le faire) des technologies liées à l’IA, selon un sondage de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), cette approche est devenue insuffisante. Or, ce même sondage mentionne que 53 % des organisations ne disposent toujours pas de politiques claires pour encadrer l’usage de l’IA et gérer ses répercussions sur les compétences.
Sans une stratégie de requalification proactive, les organisations risquent de subir la transformation technologique au lieu de la maîtriser. Il est donc essentiel que les conseils d’administration s’emparent de ce sujet et l’intègrent à leurs réflexions sur la pérennité et la compétitivité.
Le rôle clé des conseils d’administration et des comités consultatifs
Un conseil d’administration a la responsabilité de s’interroger sur les décisions stratégiques de l’organisation. Malgré cela, l’enquête du Collège des administrateurs de sociétés de l’Université Laval révèle que l’IA et la requalification des talents sont généralement absentes des ordres du jour des CA, ce qui est somme toute préoccupant.
Les administrateurs devraient impérativement poser ces trois questions clés :
- Quels sont les besoins en compétences pour soutenir la transformation numérique de notre organisation?
- Quel budget est consacré à la formation continue et à l’adaptation des compétences?
- Avons-nous des indicateurs de suivi pour mesurer l’incidence des efforts de requalification?
Par ailleurs, en période de restriction budgétaire, les dirigeants ont tendance à couper en priorité dans les budgets de formation et d’innovation. Or c’est là une erreur stratégique. Les conseils d’administration ont un rôle crucial à jouer pour remettre en question ces décisions et veiller à ce que les investissements en développement des compétences ne soient pas sacrifiés au profit de la rentabilité à court terme.
Requalification et productivité : un levier de performance
Le Canada affiche un retard de productivité par rapport à plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourtant, l’IA représente une occasion inégalée d’améliorer l’efficacité organisationnelle, mais uniquement si elle est accompagnée d’une requalification adaptée.
Il ne s’agit pas seulement de former la main-d’œuvre à l’utilisation de nouveaux outils. La productivité repose sur l’harmonisation entre la technologie et le capital humain. Les organisations qui réussiront à tirer parti de l’IA seront celles qui auront investi dans les compétences de fusion (en anglais : fusion skills), un équilibre entre expertise technologique et compétences humaines (éthique, pensée critique, créativité).
Agir maintenant
Devant ce constat, les CA doivent prendre des mesures immédiates :
1 - Intégrer la requalification dans la planification stratégique en évaluant les compétences critiques et en cernant les écarts à combler.
2 - Développer une gouvernance proactive sur l’IA et l’avenir des compétences en mettant en place des indicateurs permettant de mesurer la portée des transformations technologiques.
3 - Encourager une culture d’apprentissage continu en valorisant la formation et la montée en compétences comme levier de résilience et de compétitivité.
Les entreprises, organisations publiques et organismes à but non lucratif (OBNL) qui ignorent ces enjeux risquent d’accumuler un retard difficile à rattraper.
La requalification, une priorité de gouvernance
L’IA bouleverse le monde du travail. Or les organisations qui ne se préparent pas aujourd’hui perdront en compétitivité demain. La requalification des employés et des gestionnaires ne peut plus être perçue comme une responsabilité des ressources humaines; elle doit s’imposer comme une priorité stratégique au sein des conseils d’administration.
Les administrateurs doivent remettre en question les décisions qui réduisent les budgets de formation et d’innovation, car c’est précisément dans ces périodes de transition que ces investissements s’avèrent les plus déterminants.
L’avenir appartient aux organisations qui sont capables d’anticiper ces transformations et de faire de la requalification un véritable levier de compétitivité.
Stratégie , Technologie , Gouvernance