Comme le suggère l’expression, il faut que « les bottines suivent les babines », que les actions soient cohérentes avec les paroles: orienter les pas de quelqu’un dans une mauvaise direction le mènera au fond du précipice rapidement.

Un beau parleur ne fait pas avancer, d’où l’expression « grand parleur, p’tit faiseur ». Ce manque de cohérence entre actions et paroles se paye cher en affaires en perte de réputation et de légitimité de même qu’en leadership, ce qui occasionne une perte de crédibilité et d’engagement. Comme le disait Adam Smith, en affaires, la confiance, c’est sacré. On parle aujourd’hui beaucoup d’éthique en entreprise ainsi que de responsabilités économiques, sociales et environnementales des gestionnaires. Mais, dans nos temps de récession, de compressions dans les dépenses, voire d’austérité, comment rester intègre? Comment résister à des phénomènes de mode, où pour paraître éthique, il semble plus facile de discourir dans des rapports élogieux, ou de publiciser à grands frais des donations philanthropiques, ou encore de se réfugier derrière la notion d’une « bonne gouvernance », défendue par des avocats et des beaux parleurs? Nos sondages, basés sur des diagnostics rigoureux des pratiques éthiques utilisées en entreprise, sont éloquents: les gestionnaires et les professionnels ne sont pas dupes. Quand on leur demande d’évaluer l’efficacité de différentes pratiques par rapport à leur importance en termes de formation ou de budgets, ils les rangent en trois catégories:

  1. Des pratiques cohérentes, en termes d’efficacité et d’utilisation;
  2. Des pratiques sous-utilisées, jugées très efficaces, mais peu développées; et
  3. Des pratiques surutilisées, c’est-à-dire très à la mode dans leur entreprise, mais peu efficaces, voire nuisibles en éthique.

Les pratiques cohérentes incluent le leadership, les valeurs, l’utilisation d’un code de déontologie, des critères d’embauche équitables ou la réalisation d’audits sociaux et environnementaux. Ces résultats sont sans grandes surprises. Les pratiques sous-utilisées, pour leur part, sont beaucoup plus intéressantes à décortiquer. Elles peuvent donner des idées innovantes et inspirantes. C’est le cas du mentorat et du coaching, outils essentiels pour le développement moral des décideurs, mais encore peu utilisés en organisation. Il en est de même, pour la mise sur pied d’un comité d’éthique ou encore la mise en place d’un service consacré à l’éthique. Actuellement, seul un petit nombre d’entreprises ont un tel comité pour éclairer les décideurs sur des enjeux complexes et un service pour organiser leurs activités. Peu d’efforts sont aussi déployés pour inclure tous les employés dans les politiques et les activités éthiques ou pour intégrer des critères éthiques dans l’évaluation de rendement des employés et des dirigeants. On sait pourtant que la sensibilité éthique et le comportement moral se développent s’ils sont, entre autres, réellement pris en compte dans la carrière des personnes.


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Encore plus surprenantes sont les pratiques surutilisées. Ces pratiques sont fort à la mode en entreprise bien que jugées peu efficaces ou même nuisibles en éthique. C’est le cas notamment des dons philanthropiques, de la mention de normes internationales ou de la publication de rapports sociaux ou environnementaux. Ces pratiques discrétionnaires sont parfois associées à des tentatives de manipulation de l’opinion publique. Aussi, malgré l’effet de mode actuel sur les vertus d’une gouvernance renforcée, les gestionnaires jugent peu efficace sa contribution en éthique, et encore moins le recours à des avocats, parfois perçus comme défendant surtout les intérêts des dirigeants. Ces trois catégories de pratiques en éthique d’entreprise sont précieuses. Elles permettent de déterminer celles qui sont jugées les plus efficaces et les plus cohérentes, celles qui sont actuellement sous-utilisées et celles qui font l’objet d’effets de mode. Ces trois catégories suggèrent aussi que les gestionnaires et les professionnels ne sont pas dupes. Ils savent faire la différence entre « les bottines et les babines ». Le public aussi.

De toute évidence, la première étape dans le développement d’un programme efficace en éthique d’entreprise consiste à effectuer un diagnostic rigoureux de ses pratiques et de les rendre cohérentes. Thierry C. Pauchant est professeur titulaire à HEC Montréal et directeur de la Chaire de management éthique. Cet article a été rédigé avec Joé Martineau Ph.D., associée de recherche à la Chaire de management éthique, d’après les réponses de 441 gestionnaires québécois à un questionnaire-sondage sur les pratiques d’éthique utilisées dans leur entreprise. Pour les détails, voir sa thèse de doctorat « Pratiques de gestion de l’éthique organisationnelle : états des lieux et taxonomie », 2014.