Le leadership au féminin est un concept qui a fait couler beaucoup d’encre au cours des années. Mais comment se définit-il et s’exerce-t-il? Deux femmes faisant partie de générations différentes nous présentent leur vision de cet enjeu.  

Présidente-directrice générale du Réseau des Femmes d’affaires du Québec (RFAQ) depuis 2010, Ruth Vachon n’a jamais eu froid aux yeux. Dans les années 1980, elle a quitté un emploi chez Alcan pour fonder sa propre entreprise. «À l’époque, c’était beaucoup plus rare qu’aujourd’hui de voir des femmes se lancer en affaires», se rappelle-t-elle. Ruth Vachon a aussi déjà décliné une offre assortie d'un salaire de… 75 000 $. «J’ai remercié la personne pour sa confiance, mais je savais que si on me proposait ce montant, c’est que je devais valoir deux fois plus!»

Une attitude qui teinte son regard sur la question du leadership au féminin. «Il y a 35 ans, on ne se préoccupait pas autant de ces questions, si bien que les naïves comme moi se disaient que c’était du pareil au même.» Bref, assumer son leadership a toujours été «naturel» pour Ruth Vachon, mais elle s’est vite aperçue que ce n’était pas nécessairement le cas pour toutes les femmes. Aider les entrepreneures à développer cet aspect de leur personnalité fait d’ailleurs partie de la mission du RFAQ, qui regroupe aujourd’hui plus de 2000 membres.

Savoir rallier les troupes

Qu’est-ce que le leadership? Pour Ruth Vachon, c’est entre autres l’art de mobiliser. «Être un leader, c’est être capable de s’élever pour voir l’ensemble des défis et des opportunités, être capable de rallier les gens autour d’une cause, et ce, d’une façon positive.» Une définition qui rejoint directement celle de Marina Pavlovic Rivas. Alors qu’elle n’avait pas trente ans, la spécialiste des sciences des données a cofondé Eli Health, une jeune pousse technologique en santé des femmes. «Selon moi, le leadership, c'est le fait de réussir à mobiliser un groupe, des ressources vers une mission. C'est donc primordial de savoir faire valoir l’importance de cette mission.»

Celle d’Eli Health : redonner du contrôle aux femmes sur leur santé. En effet, l’entreprise fondée en 2019 a développé un dispositif permettant de mesurer quotidiennement son taux d’hormone à la maison. Grâce à l’intelligence artificielle, les utilisatrices peuvent ensuite recevoir des informations précises sur leur cycle menstruel, leur ovulation, etc. Une méthode de contraception non invasive, mais pas seulement, souligne la jeune femme. «Cela permet aussi d’aller beaucoup plus loin parce que les hormones sont au cœur de plusieurs transitions, de la puberté à la ménopause. C’est vraiment ce qui a modelé notre mission, soit le fait de mettre les données hormonales entre les mains des femmes durant  toutes les étapes de leur vie.»

La formule semble fonctionner, alors que la start-up se classe déjà parmi les leaders dans son secteur. Un article de Forbes publié en 2021 présentait même Eli Health comme l’une des entreprises qui allaient redessiner la santé des femmes grâce à la technologie. «Ça peut paraître fou puisque c’est un enjeu qui touche la moitié de la population, cela reste pourtant un domaine où il y a très peu de joueurs», explique Marina Pavlovic Rivas. L’entreprise qu’elle a fondée avec son conjoint, Thomas Cortina, a déjà réussi à lever 3 M$ en capital de risque, ajoute-t-elle. Ce qui n’était pas gagné alors que le monde des technologies encore très masculin.

Pour y arriver, il faut oser. «Il ne faut pas hésiter à se lancer, même si on n’a pas toutes les qualifications qu’on pense qu’on devrait avoir, conseille-t-elle. Il y a assez de personnes qui vont nous dire non dans la vie, sans qu’on s’ajuste nous-mêmes à cette liste.» C’est d’ailleurs en s’exerçant – et en agrandissant son réseau – qu’on peut développer son leadership, estime Ruth Vachon.

Gérer au féminin : une force

Si on parle souvent des obstacles qui se dressent devant les femmes – bonjour plafond de verre –, les façons de gérer habituellement associées au genre féminin peuvent aussi être un atout. «C’est sûr que je n’étais pas là pour en témoigner, mais j’ai l’impression que c’est plus assumé aujourd’hui, constate Marina Pavlovic Rivas. Certaines caractéristiques considérées comme féminines sont très utiles pour exercer son leadership, comme le côté humain, l’écoute ou l’empathie. C’est très bénéfique. Aujourd’hui, je pense que c’est plutôt perçu comme une force.»

Ainsi, son entreprise a opté pour un mode de gestion collaboratif, avec peu de hiérarchie et beaucoup de transparence. Cela permet à chaque membre de l’équipe composée d’une quinzaine d'employés provenant de différents horizons – comme la médecine, l’administration des affaires ou la biologie moléculaire – de mettre leurs forces en commun pour bâtir Eli Health. «Chaque personne a une perspective unique, explique la femme d’affaires. Il faut donc lui laisser la place et la liberté de s’exprimer.» L’entraide est aussi au rendez-vous, souligne-t-elle. «Nous sommes capables d’atteindre des objectifs ambitieux sans sacrifier l’aspect humain.»

Un avantage certain dans le contexte actuel, observe Ruth Vachon, alors que l’environnement est favorable à ce type de gestion. «Quand tu assumes tes valeurs, tes chances de réussite sont beaucoup plus élevées. Et aujourd’hui, je vois de plus en plus de femmes aller dans ce sens. Elles ne fondent pas leur entreprise parce qu’elles veulent devenir millionnaires, mais parce qu’elles veulent exprimer leurs talents et redonner à la communauté.» Une quête de sens qui s’accorde aussi aux principes des jeunes générations.

Un nouveau pas vers la diversité

Alors que la pandémie a mis à l’avant-plan la question du bien-être au boulot, que les jeunes générations cherchent à concilier travail et valeurs, et que la pénurie de main-d’œuvre fait rage, il faut maintenant miser sur une plus grande «féminisation du leadership», pense Ruth Vachon. Autrement dit, il faut humaniser les organisations, «en faisant appel à un leadership plus inclusif, en diversifiant les genres et la culture.»

«En réponse au déséquilibre actuel», la PDG a d’ailleurs cofondé en 2020 l’Alliance pour la féminisation du leadership avec Danièle Bergeron de la Société des leaders de marques et avec Élisabeth Deschênes de ZA Cabinet d’architecture de marques et communication. Ce nouveau réseau, qui compte déjà 160 membres y compris quelques hommes, tente de distiller des valeurs plus égalitaires, plus justes et plus inclusives dans les organisations. Une approche qui n’est d’ailleurs pas réservée qu’aux femmes!