Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

Réformer le travail pour sauver la planète

Marie-Claude Ducas est journaliste et auteure.

Pourquoi ne changeons-nous pas nos habitudes afin d’être des citoyens plus respectueux de l’environnement ? Souvent par manque de temps. Et pourquoi sommes-nous toujours si pressés ? À cause de la pression que nous subissons au travail. Pour pouvoir changer nos comportements sur le plan environnemental, il faut d’abord transformer en profondeur le milieu du travail.

Avec les conséquences du réchauffement climatique que nous pouvons observer, on en vient à se dire que l’environnement est le seul sujet qui compte vraiment.


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Pensons-y un peu : si on voit le nombre de morts et de malades augmenter, les sécheresses se multiplier et des populations entières déserter des territoires condamnés à être submergés par les océans, à quoi pourront bien rimer les programmes politiques, les plans d’affaires et les méthodes de gestion qu’on essaiera de mettre en œuvre ?

Les préoccupations environnementales se sont enfin imposées dans le débat public. Elles sont aussi en train de s’introduire dans nos moindres gestes et dans chacune de nos décisions au quotidien. Mais pour l’instant, hélas, ces changements ne contribuent pas beaucoup à faire progresser les choses.

Nous nous retrouvons paralysés sans trop savoir quoi faire, comment vivre, quels comportements modifier et contre quoi protester. Lesquelles de nos actions sont les plus dommageables pour la planète ? Les déplacements en voiture ? En avion ? Le transport de marchandises ? L’agriculture à grande échelle ? Il y a lieu de s’interroger sur ce que nous pouvons faire.

Que ce soit dans les médias, dans les réseaux sociaux ou dans nos conversations, nous sommes littéralement inondés de suggestions : abandonner la voiture, moins voyager en avion, recycler, remplacer une foule de produits jetables par des produits lavables, apporter nos sacs lorsqu’on va faire des emplettes, fournir nos propres contenants à l’épicerie pour éviter le suremballage, remplacer les nettoyants chimiques par diverses solutions plus naturelles, cuisiner davantage et réduire au maximum le gaspillage alimentaire.

Cette énumération a de quoi nous fatiguer juste à la lire... Peut-on même espérer trouver le temps de mettre en pratique ne serait-ce que quelques-unes des idées proposées? Nous sommes tous trop pressés. Pressés de reconduire nos enfants à l’école ou à la garderie.

Pressés de nous rendre au travail en affrontant les bouchons de circulation (pour être à l’heure compte tenu des horaires rigides qu’on impose encore à bien des gens, pour ne pas manquer la réunion X ou la présentation Y à laquelle on n’a pas le choix d’assister si on ne veut pas s’attirer des regards réprobateurs).

Pressés de rentrer à la maison en affrontant de nouveau le trafic. Pressés de faire le souper puis de s’atteler aux devoirs. Et, une fois que les enfants sont couchés, on est pressés de lire nos courriels. Alors, non, on ne renonce pas à l’économie de temps que permet souvent, malgré tout, l’usage de la voiture.

Oui, on consomme encore des aliments emballés et préparés. On utilise des produits jetables parce que c’est moins long et moins compliqué... et parce que c’est ce qu’on offre partout. On change nos appareils électroniques et électriques dès qu’ils ne fonctionnent pas, parce qu’on n’a pas le temps de les faire réparer et parce que faire réparer coûte souvent plus cher que d’acheter du neuf.

Devant tous ces problèmes, il faudrait aussi des actions collectives : boycotter les entreprises particulièrement fautives, faire pression sur les gouvernements pour qu’ils imposent des normes. Mais pour faire cela, il faut d’abord s’informer. Quelles entreprises cibler ? Que réclamer aux gouvernements ? Encore une fois, il faudrait prendre le temps nécessaire. Mais nous sommes trop peu nombreux à nous astreindre à cette tâche.

Et que se passe-t-il quand nous pouvons enfin arrêter de courir pour souffler un peu ? Nous cherchons un peu de réconfort... en nous jetant encore plus dans la consommation.

La frénésie du travail

Mais qu’est-ce qui nous fait tant courir ? Nos jobs ! Nous sommes tous coincés dans cet engrenage dont nous cherchons désespérément à nous dégager. La conciliation travail-famille arrive constamment au premier plan des préoccupations des travailleurs dans les sondages. Les reportages sur des gens qui ont tout laissé tomber pour changer de rythme de vie font rêver.

On dénonce de plus en plus la façon dont on a longtemps glorifié les gens hyper-occupés. On passe notre temps à ironiser sur ces réunions interminables au cours desquelles on aborde des questions qui auraient pu être réglées par courriel, tout simplement. Dans une chronique précédente, nous avions parlé du fait qu’un nombre incroyable de gens trouvent eux-mêmes leur travail parfaitement inutile, voire nuisible pour la société1. Tout ça donne à réfléchir.

Bientôt, on n’aura plus le choix : il faudra s’attaquer à l’organisation du travail. Il est aberrant, par exemple, que le télétravail et les horaires flexibles ne soient pas encore la norme, alors qu’il serait parfaitement possible d’en faire des pratiques courantes dans un grand nombre de milieux de travail.


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Et puis, il faudra en venir à des remises en question plus fondamentales. Quelle est l’utilité de ce que la plupart d’entre nous faisons au quotidien? Voulons- nous toujours travailler autant? Notre  contribution à la société ne devrait-elle pas se faire autrement? Tout cela n’est pas facile.

Nous nous définissons énormément par notre travail, et ce genre de remise en question fait peur. Cela dit, il y a un changement qu’on peut faire en faveur de l’environnement et qui pourrait représenter dans nos vies autre chose qu’un sacrifice : moins consommer tout en vivant mieux, vivre tout aussi confortablement tout en étant moins stressés... Qui voudrait  s’opposer à un tel changement?


Note

1 Ducas, M.-C., « Comment justifiez-vous votre existence? », Gestion HEC Montréal, vol. 43, n° 4, hiver 2019, p. 14-15.