Au Québec, la pénurie de main-d’œuvre s’étend désormais à l’ensemble des secteurs d’activité économique et à un très grand nombre d’emplois. Les entreprises lorgnent donc au-delà des frontières du Québec pour dénicher des travailleurs.

En août dernier, le président du Conseil du patronat (CPQ), Karl Blackburn, soutenait que le Québec devait trouver 1,4 million de travailleurs d’ici 2030, en raison d’une décroissance de la population active. L’économiste Pierre Fortin croit plutôt que c’est la vitalité de l’économie québécoise qui crée une rareté de la main-d’œuvre et non un recul de la population active. Pour les entreprises, le résultat demeure le même : elles manquent de bras et de cerveaux.

Malgré tout, la question de l’immigration reste délicate au Québec, où elle menace de bousculer un fragile équilibre démographique entre francophones et anglophones. Alors que le gouvernement fédéral compte attirer 500 000 résidents permanents par année d’ici 2025, Québec conserve pour l’instant son seuil de 50 000, tout en cherchant de nouvelles voies pour augmenter l’immigration francophone.

«Ce seuil québécois demeure bas et les entreprises se demandent comment elles surmonteront leur manque de main-d’œuvre dans ce contexte», souligne Caroline Boyce, chargée de cours en ressources humaines à HEC Montréal et spécialiste de l’acquisition de talents.

La limite de 50 000 nouveaux arrivants ne concerne que les résidences permanentes. Des dizaines de milliers de travailleurs internationaux sont plutôt détenteurs de permis de travail temporaire. «Ils peuvent désormais représenter jusqu’à 20 % des salariés d’une entreprise, contre 10 % auparavant», précise Caroline Boyce. Dans certains secteurs comme la construction, la fabrication d’aliments et les hôpitaux, cette limite a même été rehaussée à 30 %.

Par ailleurs, la liste des postes admissibles à un traitement simplifié s’allonge. Cette approche permet à l’employeur de recruter à l’international sans montrer de preuves d’effort de recrutement au Québec dans sa demande d’évaluation de l’impact sur le marché du travail, ce qui raccourcit grandement les délais.

Même les étudiants internationaux sont mis à profit. «Ils pourront travailler plus de 20 heures par semaine hors campus, au moins jusqu’en 2023», spécifie Caroline Boyce.

Des stratégies variées

«Les entreprises québécoises usent de trois approches principales pour combler leurs besoins de main-d’œuvre avec des travailleurs d’autres pays : l’ouverture de filiales, l’impartition et le recrutement international», détaille Maud Pinard Fréchette, directrice Parcours international de l’agence de recrutement Sourcinc.

L’installation d’une filiale à l’étranger reste assez complexe et demeure plutôt le fait de grandes entreprises. L’impartition, pour sa part, gagne en popularité, notamment en raison du télétravail, qui permet d’avoir des employés un peu partout. Cette approche consiste à utiliser les services d’une entité locale, laquelle embauche et rémunère elle-même les candidats.

«Bien sûr, on doit payer l’agence, mais cela évite de devoir s’occuper des démarches d’immigration et de la relocalisation du travailleur et élimine la lourdeur fiscale associée à l’emploi direct d’un télétravailleur à l’étranger», explique Maud Pinard Fréchette.

La forme la plus fréquente reste toutefois le bon vieux recrutement à l’international de travailleurs que l’on accueille ensuite ici. D’autant que cueillir des légumes ou souder une pièce de métal se fait assez mal à distance. Certaines entreprises, généralement de grande taille, misent sur des experts à l’interne pour gérer ces projets. D’autres collaborent plutôt avec des agences externes.

Un dédale administratif

Maud Pinard Fréchette admet que le recrutement international présente des défis. «Les employeurs doivent s’y retrouver entre les programmes, qui comportent beaucoup de critères, de démarches, de possibilités d’exemption et de délais très variés et qui changent souvent», illustre-t-elle. La démarche peut prendre une ampleur très différente selon le poste pour lequel on recrute (secteur d’activité, qualification exigée, salaire proposé, etc.) et le profil du candidat (pays d’origine, âge, maîtrise de la langue française, etc.). 

Les règles de certains États peuvent aussi compliquer des processus. Par exemple, le gouvernement des Philippines interdit désormais aux agences de recruter elles-mêmes sur place, afin de réduire les risques de traite humaine. L’embauche doit découler d’une entente entre les deux gouvernements, ce qui multiplie les intervenants dans ces dossiers.

Récemment, les délais pour obtenir les permis se sont allongés, pour différentes raisons. L’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, dont les cas sont traités en priorité, a retardé l’étude de demandes de permis de travail. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) accorde aussi la priorité aux travailleurs des secteurs jugés essentiels, ce qui peut ralentir les démarches pour les autres.

Jouer du coude

Par ailleurs, les entreprises doivent affronter une concurrence de plus en plus forte pour les travailleurs internationaux. «Toutes les grandes villes recherchent les meilleurs talents et plusieurs pays vivent des pénuries de main-d’œuvre», prévient Stéphane Paquet, PDG de Montréal International. Cet organisme appuie les entreprises montréalaises qui recrutent à l’étranger, en ciblant des candidats, en organisant des périodes d’entrevues et des missions internationales et en offrant un accès à des consultants et des avocats spécialisés en immigration.

Selon Stéphane Paquet, la pandémie a généré une nouvelle tendance très forte : les démarches hybrides. Avec certains effets positifs inattendus. «Nous avons réalisé des missions virtuelles dans des régions où nous ne serions peut-être pas allés en personne, comme l’Afrique francophone, ce qui nous a permis d’explorer des potentiels intéressants», souligne-t-il.

Montréal possède quelques atouts appréciables pour affronter la concurrence internationale, dont son statut de grande ville francophone d’Amérique du Nord. Les partisans du CF Montréal se souviendront qu’en 2015, la mégavedette du soccer Didier Drogba avait snobé le Fire de Chicago – qui détenait ses droits dans la MLS –, parce qu’il souhaitait jouer dans une ville francophone. Ce qui a fait de lui un travailleur étranger temporaire très populaire chez nous!

Les entreprises ont elles-mêmes un rôle majeur à jouer pour convaincre leurs candidats. «Elles doivent comprendre les motivations des travailleurs pour savoir quoi mettre de l’avant, conseille Stéphane Paquet. Certains rêvent d’un meilleur emploi, alors que d’autres cherchent plutôt une nouvelle ville où s’installer.» L’entreprise doit donc devenir habile à présenter ses conditions de travail, mais également d’autres avantages comme le coût de la vie relativement bas du Québec ou ses attraits naturels et culturels, par exemple.

Cette année, plus de 200 entreprises ont eu recours aux services de recrutement à l’étranger de Montréal International, contre 155 en 2021. «La situation démographique au Québec accélère cette tendance et nous devrions voir aussi de plus en plus de PME recruter à l’extérieur du Québec», estime Stéphane Paquet.