Pour plusieurs, reconnaissance rime avec récompense. Toutefois, ce n’est que la pointe de l’iceberg, surtout en contexte d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI). Comment s’assurer de reconnaître la contribution de chaque personne à sa juste valeur et d’être équitable envers tout le monde?

Selon Jean-Pierre Brun, professeur associé au Département de management de l’Université Laval et consultant pour Empreinte humaine, la reconnaissance prend plusieurs formes et permet de souligner les efforts, les résultats ou encore l’investissement du travailleur. «Mais quand on parle d’EDI, cela touche plutôt à la reconnaissance existentielle, c’est-à-dire le fait de reconnaître une personne pour ses caractéristiques personnelles, peu importe son titre d’emploi, son statut ou son ancienneté dans l’entreprise», nuance-t-il.

Pour Fran Delhoume, analyste en EDI à URelles (un cabinet-conseil spécialisé dans ce type de démarche), cela est même carrément essentiel. «Tu peux me donner toutes les tapes dans le dos que tu veux, si je ne me sens pas incluse comme personne, je ne vais pas me sentir reconnue pour autant», résume-t-elle.

Pareille marque de reconnaissance se joue donc plutôt sur le respect des différences que sur l’organisation de journées spéciales, comme l’explique Jean-Pierre Brun. «En fait, il faut que la personne se sente considérée, qu’elle ne soit pas victime de préjugés par rapport à sa réalité ou limitée dans sa progression», souligne-t-il, ce qui passe par l’écoute et la mise en place d’actions concrètes : «Il faut vraiment que ce soit intégré dans les pratiques de travail et de gestion

Par exemple, Fran Delhoume soulève que les milieux de travail qui sont adaptés aux personnes neurodivergentes se font rares. «Une personne autiste qui ne regarde personne dans les yeux ou qui est trop franche pourrait être exclue d’emblée et perçue comme un mauvais joueur d’équipe juste parce qu’elle a un langage différent», illustre-t-elle. Pour reconnaître la réalité de ces gens, il y aurait moyen de sensibiliser ses collègues, mais également de proposer des espaces de retrait, de permettre le travail à distance pour certaines tâches qui demandent de la concentration ou de normaliser l’utilisation de coquilles permettant la réduction du bruit. Des exemples comme ceux-là pourraient s’appliquer à tous ceux qui celles qui sortent de la norme pour différentes raisons telles que l’origine ou l’identité de genre.  

De l’avis de Jean-Pierre Brun, il peut aussi se révéler intéressant d’offrir la possibilité aux personnes issues de la diversité de témoigner de ce qu’elles vivent, une façon de susciter une réflexion dans l’organisation. «En général, les gens ne sont pas conscients de ce que les autres vivent, par exemple une personne handicapée, et sont bienveillants. C’est pourquoi il faut sensibiliser les autres employés aux iniquités, un peu comme on l’a fait pour le harcèlement psychologique et sexuel.»

Pratiques équitables

Il n’est pas toujours simple d’évaluer si ses propres pratiques de reconnaissance sont réellement équitables pour tout un chacun, peu importe le sexe, l’origine, l’âge, l’identité ou d’autres facteurs. En effet, certaines situations peuvent passer sous le radar des gestionnaires. Pour éviter de discriminer certaines personnes sans le savoir, il faut donc se connecter à leur réalité et les écouter, selon Jean-Pierre Brun : «Parfois, elles ressentent certaines choses qu’on ne perçoit pas parce qu’elles ont accumulé beaucoup dans leur vie et sont plus sensibles à ces dimensions.» Le professeur suggère aussi de procéder à un audit RH pour avoir un portrait réel de la situation en matière de promotion de carrière, de représentation et de diversité dans les différentes instances de l’organisation.

Pour éviter le favoritisme, les critères de reconnaissance doivent également être clairs et transparents, de l’avis de Fran Delhoume. «Il faut aussi se demander s’ils sont porteurs de biais, insiste-t-elle. Par exemple, si je fais évoluer les personnes qui travaillent tard parce que je trouve qu’elles se donnent, je suis en train de discriminer celles qui ont des enfants à charge ou qui sont proches aidantes.» Chaque entreprise doit donc décider de ses propres façons d’évaluer la performance, que ce soit en mesurant l’atteinte des objectifs, en se penchant sur l’acquisition de nouvelles compétences ou en focalisant sur la diminution des erreurs.

Pour éviter de créer un sentiment d’injustice, la communication est aussi de mise, selon Sébastien Arcand, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal. «Quand une organisation développe une approche en équité, diversité et inclusion, il faut mettre cartes sur table, tranche-t-il. Car si son équipe n’est pas sensibilisée à ces questions et que les politiques d’EDI de l’entreprise ne sont pas clairement énoncées, cela peut donner une impression de favoritisme. » Il faut donc s’assurer de reconnaître – dans la mesure du possible – la réalité de tout le monde, en prenant en compte des facteurs plus humains.

Cela ne veut pas dire que les gestionnaires doivent accepter d’emblée toutes les demandes. En effet, si l’ouverture est de mise, il importe aussi de s’assurer que les différents aménagements – un horaire flexible, des congés, la possibilité de faire du télétravail ou d’autres options – sont raisonnables et qu’ils n’auront pas trop de répercussions sur les autres, comme le fait remarquer Sébastien Arcand. Pour faire le tri, il vaut donc mieux se référer avant tout aux exigences de l’organisation et penser ensuite aux besoins des employés. «L’entreprise, ce n’est pas une famille; c’est une équipe de travail. On ne peut pas tout faire», conclut Jean-Pierre Brun.