Alors que le télétravail se conjugue avec la pénurie de main-d’œuvre, la conjoncture a fait exploser les horaires. Une flexibilité appréciée des travailleurs, mais qui peut devenir un véritable casse-tête pour les gestionnaires. Mode d’emploi.

«Actuellement, nous sommes en train de réinventer le monde du travail en le recentrant sur l’humain», observe Paméla Bérubé, CRHA, vice-présidente et cofondatrice de Go RH, une firme de consultation en ressources humaines. Un changement qui passe par la flexibilité, que ce soit en offrant des conditions modulables via la rémunération globale, des congés à la carte ou des horaires éclatés.

Une tendance qui s’est accélérée sous l’effet de la pandémie et de la pénurie de main-d’œuvre, affirme Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des CRHA. «La bataille ne se livre pas seulement sur les salaires, mais aussi sur cette latitude qui est très importante pour les travailleurs.» Si bien que les entreprises qui n’embrassent pas ce changement risquent d’être moins attractives dans cette guerre des talents, note-t-elle.

Même les organisations par définition moins flexibles – dans des secteurs comme le commerce au détail ou l’industrie manufacturière – cherchent des façons créatives de s’y mettre, souligne Paméla Bérubé. Offrir un horaire d’été, créer de petites équipes qui peuvent s’échanger des quarts de travail ou ajouter une banque de congés bien-être font partie des solutions qui existent, énumère-t-elle. «J’ai même vu que certaines chaînes de restauration utilisaient des applications pour partager leurs ressources humaines, raconte-t-elle. Quand une personne doit s’absenter, elle peut être remplacée par un employé d’un autre restaurant de la chaîne.»

«Est-ce qu’on a vraiment besoin d’avoir quelqu’un, du lundi au vendredi, de 9 à 5? Est-ce qu’on pourrait partager ces responsabilités entre plusieurs personnes? La flexibilité a amené les entreprises à revoir leur organisation de travail et à être plus agiles», analyse Manon Poirier. D’autres ont transformé certains postes pour permettre de prendre une longue pause en hiver, donne-t-elle en exemple. Une façon de conserver les employés expérimentés qui veulent passer la saison froide dans le Sud.

Se connecter sur les besoins

«Certains clients m’appellent parce qu’ils veulent attirer et retenir les employés, mais ils ne savent plus où donner de la tête, constate Paméla Bérubé. Mon premier conseil, c’est d’aller à la source pour comprendre quel est le portrait des besoins actuels dans leurs équipes de travail. Car il faut trouver sa propre culture de flexibilité.» Demander l’avis des troupes agit aussi sur la mobilisation, soulève Manon Poirier.

«Il n’y a pas de recette gagnante, sinon, tout le monde l’aurait adoptée», renchérit Geneviève Provencher, fondatrice de Flow ressources humaines, un site de recherche d’emplois misant sur la flexibilité. Lancée en 2019, l’entreprise a depuis ajouté des services de consultation en ressources humaines pour aider les organisations à franchir ce pas. En plus des horaires, il faut aussi repenser son style de gestion, ses communications et même son environnement de travail, souligne la fondatrice. «Ça peut avoir l’air d’une montagne pour certains, mais ceux qui se donnent le droit d’essayer des choses, tout en prenant régulièrement le pouls de leurs équipes, réussissent généralement», remarque-t-elle.

En effet, entre les travailleurs qui sont complètement libres et ceux qui doivent «puncher», il existe une multitude de possibilités à explorer. «C’est important d’y aller pas à pas et de se réajuster au besoin, soutient Paméla Bérubé. On peut se demander si cela répond réellement aux besoins et si la productivité est toujours au rendez-vous. Il faut se donner le droit de cesser de faire certaines choses si elles ne fonctionnent pas, de changer d’idée en cours de route.»

Le casse-tête des horaires

Pour éviter de s’y perdre, il faut encadrer la flexibilité, mentionne Geneviève Provencher. Par exemple, les employés peuvent-ils travailler de la maison, du chalet ou d’un autre pays? L’objectif, c’est de ne pas avoir à négocier individuellement les conditions de chacun. «Plus c’est clair, plus c’est facile à gérer et plus c’est fluide», résume-t-elle.

Plusieurs organisations fixent aussi certains moments où toute l’équipe sera disponible, entre 10 h et 15 h, par exemple. «Ainsi, tout le monde peut gérer son horaire, tout en assurant une certaine constance», explique Geneviève Provencher. D’autres opteront plutôt pour une semaine compressée ou pour un «horaire agile», en déterminant deux jours dans la semaine où il est possible de s’absenter quelques heures, ajoute-t-elle. La personne reprend ensuite son temps pendant la semaine, au moment qui lui convient le mieux.

Geneviève Provencher conseille aussi de baliser les communications. «Même si les gens savent qu’ils n’ont pas besoin de répondre, ça peut être dérangeant de recevoir un courriel en dehors des heures de bureau, note-t-elle. Je travaille très tôt le matin, alors je programme l’envoi de messages pour plus tard. On évite aussi les conversations sur Teams à l’extérieur des heures de travail. Et en cas d’urgence, on utilise les textos.» Un modus operandi à déterminer en équipe.

Bref, la flexibilité touche certes les horaires, mais plusieurs autres aspects de la vie au travail, comme le sentiment d’appartenance et la connexion avec son employeur, soulève Manon Poirier. Cependant, malgré les efforts, le jeu en vaut la chandelle. «Ça provoque des effets très positifs. Par exemple, les employés qui ont cette latitude, qui sont mobilisés et heureux, seront plus innovants et créatifs, précise-t-elle. L’expérience et les recherches l’ont démontré.» C’est donc une formule gagnant-gagnant.