Alors que la crise sanitaire a amené les gens à consommer davantage sur le Web, les dirigeants d’entreprises se questionnent tous – ou devraient le faire! – sur l’expérience utilisateur qu’ils offrent à leurs clients avec leurs produits et leurs services numériques. Que doit-on comprendre concrètement de l’expérience utilisateur, véritable buzzword sur toutes nos lèvres?

En évoquant l’expérience utilisateur, on peut avoir envie de rêver, de vivre quelque chose de surprenant, d’amusant, de transformateur. Mais dans la réalité, c’est souvent beaucoup plus terre-à-terre aux yeux de Pierre-Majorique Léger, professeur titulaire au Département de technologies de l’information de HEC Montréal.

«Prenons l’exemple du domaine des assurances, dit-il. La nature du produit ne sera jamais excitante et on n’essayera pas d’amuser les gens en développant une application. Ce qu’on veut, c’est que les gens utilisent et réutilisent le produit ou le service numérique développé. Et ce n’est pas quelque chose de facile à faire, parce qu’il faut comprendre le contexte d’utilisation.»

Le professeur, aussi codirecteur du Tech3Lab, un laboratoire de recherche appliquée dans le domaine de l’expérience utilisateur, nous ramène alors à la Seconde Guerre mondiale. «À l’époque, on ne parlait pas d’expérience utilisateur, mais de facteur humain en ingénierie, précise-t-il. Le domaine étudiait des événements critiques et des accidents, dans le domaine de l’aviation notamment, liés à l’utilisation de la technologie par l’humain.»

Créer un système qui s’adapte à l’humain

C’est facile de blâmer l’humain qui n’arrive pas à utiliser la technologie. Mais si on blâmait plutôt les développeurs qui n’ont pas conçu la technologie pour l’humain qui l’utiliserait? «On ne veut pas que l’utilisateur ait à s’adapter aux contraintes du système, on veut que le système s’adapte aux contraintes de l’utilisateur et à son contexte», explique Sylvain Sénécal, professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal.

Il donne l’exemple d’une application d’un fournisseur de services de transport en commun. «L’utilisateur est potentiellement debout, dehors, sous la pluie, ou les mains gelées pendant l’hiver, indique M. Sénécal. Si on n’a pas ce contexte en tête dès le début du développement de l’application, il y a bien des risques que nous passions à côté.»

Pierre-Majorique Léger souligne que pour concevoir un produit qui offrira une bonne expérience utilisateur, il faut aller voir sur le terrain la personne qui l’utilisera pour comprendre ce qu’elle vit réellement et l’amener au centre de la conception afin de pouvoir vraiment répondre à ses besoins.

Et bien sûr, cela n’est jamais statique. «Un site Web, par exemple, ne devrait jamais avoir une grande refonte après six ans, mais toujours de petites améliorations, une section à la fois, parce que sinon, vous aurez un bon site Web un an et un mauvais les cinq autres années», affirme Jean-François Renaud, cofondateur de la firme d’experts en stratégie numérique Adviso et formateur en commerce électronique à HEC Montréal.

Plus qu’une interface numérique

Jusqu’à tout récemment, on parlait d’utilisabilité pour décrire comment la personne interagissait avec le système. «On voulait savoir si le site Web qu’on avait créé était utilisable, si l’interaction humain-machine était intéressante», explique Sylvain Sénécal, lui aussi codirecteur du Tech3Lab. Puis, l’utilisabilité a migré vers le concept plus large d’expérience utilisateur. «Par exemple, si on implante un nouveau système dans une organisation, l’employé sera stressé, parce qu’il anticipera le changement avant de commencer à l’utiliser, illustre M. Sénécal. Cela se passe avant même que la personne utilise le système, mais c’est inclus dans l’expérience utilisateur.»

Pour bien évaluer l’expérience, il faut aussi regarder comment la personne se sent après l’utilisation. «Parce que c’est là qu’elle parlera à d’autres de son expérience», ajoute Sylvain Sénécal.

Ainsi, en se concentrant sur les réels besoins de l’utilisateur pour développer et améliorer un produit ou un service, l’organisation mettra toutes les chances de son côté pour offrir une expérience utilisateur positive. Et c’est ce qui fait la différence au niveau de la compétitivité de l’entreprise d’après Camille Grange, professeure agrégée au Département de technologies de l’information à HEC Montréal : «C’est notamment ce qui déterminera si l’entreprise restera en affaires ou pas.»