Vos prochains concurrents ne sont peut-être pas ceux à qui vous pensez le plus spontanément. De nombreuses marques, pourtant traditionnellement dominantes dans leur industrie, l’apprennent aujourd’hui à leurs dépens! Il y a quelques semaines, avec différents acteurs québécois du monde universitaire, des arts et des affaires, j’ai eu l’heureux privilège de participer à la seconde édition de Creative Bangkok, une initiative efficacement soutenue par le nouveau réseau des écoles de créativité et d’innovation du Pôle Mosaic.

Sur un plan commercial, chaussés de nos lunettes de gestionnaires curieux, une des choses qui nous a le plus surpris dans cette ville en plein développement est l’essor pris par de nombreuses marques locales. Plus encore, les ambitions mondiales sans équivoque exprimées en matière de marques par beaucoup de nos interlocuteurs thaïs nous ont souvent frappés. Bien sûr, sur les murs de cette ville tentaculaire, comme dans ses centres commerciaux les plus luxueux, les grandes marques occidentales, de consommation courante ou de luxe, sont encore omniprésentes. Ce que nous avons compris, c’est que cette apparence pouvait être trompeuse. Derrière cet affichage de façade se dessine en effet une tout autre dynamique. Et ce serait prendre un grand risque, je crois, que de l’omettre. Dès 2010, The Economist dans un dossier spécial intitulé « The World Turned Upside Down » décrivait avec beaucoup d’à-propos la progressive émergence des marques du Sud. Depuis, le mouvement n’a fait que s’accélérer et nous sommes sans doute à présent au bord d’un point de bascule dont les conséquences seront, n’en doutons pas, majeures.

Nous vivons en somme aujourd’hui ce que nous avons pu observer dans le dernier quart du XXe siècle avec l’émergence des marques japonaises, sur des catégories aussi variées que celles de l’automobile, de l’électronique ou des cosmétiques. Depuis une quinzaine d’années, on assiste à un même phénomène avec la montée spectaculaire de marques sud-coréennes, y compris dans le domaine culturel1. À l’horizon, c’est donc un mouvement majeur qui se profile pour l’ensemble de nos marques. Pour l’instant, la « marque Thaïlande » se résume dans la tête de la plupart de nos contemporains au nom d’un pays idyllique, d’une ligne aérienne de qualité et d’un sport de combat. Demain, selon toute probabilité, il en sera tout autrement. Et ce qui vaut pour ce pays vaut pour bien d’autres, en Inde ou en Asie, comme en Amérique du Sud, et, un jour, en Afrique. Bien sûr, la plupart d’entre nous avons entendu parler de la saga Red Bull. Une marque née il y a longtemps sur le marché thaïlandais, d’abord à destination des chauffeurs routiers du royaume de Siam. L’emblème des deux taureaux rouges en a été repris et a depuis envahi nos tablettes. Même si cette marque est toujours de propriété en partie thaïlandaise, l’expression d’un de nos interlocuteurs en dit long sur le sentiment des gens d’affaires de Bangkok à ce sujet : « Plus jamais Red Bull! » Ce que nous signifient aujourd’hui ces femmes et hommes d’affaires de Bangkok, c’est que la prochaine marque de ce type à naitre en Thaïlande y connaitra aussi son envol stratégique international, non en Autriche ou ailleurs.

Au-delà de la simple propriété financière, c’est après tout la capacité de décision et d’influence sur le développement de la marque qui prime.  Un avertissement clair pour celles et ceux qui pourraient être tentés de considérer que les marchés en développement ne sont destinés qu’à produire à bas coût nos produits, ou ne représentent que de nouveaux débouchés commerciaux ouverts et lucratifs. Ces marchés ont une tout autre ambition et ils ont bien compris qu’innovation, marque forte, croissance soutenue et profitabilité élevée vont de pair. Voici une réalité, une nouvelle donne, que nous devrons bientôt prendre en compte. Les marques de l’avenir, à l’échelle mondiale comme à l’échelle locale, seront aussi des marques créées au Sud à destination du monde entier. La chose peut-être la plus fascinante lorsque l’on s’intéresse aux marques est qu’elles constituent de formidables révélateurs, presque des « précipités chimiques », du jeu des forces présentes et futures qui conditionnent le développement de nos marchés.En voilà un autre exemple!


1. Lire à ce sujet notre article « Les dollars de la diaspora »