On ne peut pas plaire à tout le monde, dit l’adage. Mais lorsqu’un gestionnaire déçoit la personne qu’il supervise, cela peut entraîner le désengagement du collaborateur, voire de l’équipe. Comment l’employé peut-il surmonter sa déception et le gestionnaire, s'adapter à la situation?

Les raisons d'être déçu de son gestionnaire sont au moins aussi nombreuses que les exigences listées dans sa description de poste.

La compétence technique du superviseur, qui ne peut être trop éloignée du cœur de métier de son équipe, est le premier élément donné par Pénélope Codello, professeure agrégée au Département de management de HEC Montréal. «Il n’est pas obligé d'être le meilleur techniquement, mais un gestionnaire qui ne comprend pas ce que font ses équipes, ça ne marche pas.»

Au-delà des savoir-faire, l’enseignante souligne la nécessité pour le gestionnaire d'être capable d'avoir une bonne lecture politique de son environnement dans le but de soutenir ses équipes. «Quelqu'un qui n'est pas capable de comprendre ce qu’il se passe entre les gens, quels sont leurs enjeux et ceux du département vis-à-vis de l'entreprise, peut être très décevant.»

D’autres compétences relationnelles telles que l’empathie peuvent entrer en ligne de compte. Mais aussi celle de communiquer clairement ce que l’on attend de ses collaborateurs ou de ne pas les laisser dans le flou lors d’une éventuelle transformation organisationnelle. «La gestion du changement a un impact sur le travail [des employés], sa charge et leur qualité de vie au travail. Elle peut donc occasionner beaucoup de frustration et de déception», soulève Ghislaine Labelle, psychologue organisationnelle, CRHA et médiatrice accréditée pour le Groupe Conseil SCO. 

La professionnelle mentionne également les promotions qui échappent à certains collaborateurs et les évaluations de rendement qui ne sont pas toujours aussi positives qu’ils peuvent l'espérer. «Là aussi, cela génère de la colère et de la frustration. Surtout lorsque le processus ne se tient qu’une fois par année et qu'il n’y a pas eu d’autre rétroaction.»

La proximité superviseur-subordonné, un danger?

Pour Marie-Colombe Afota, professeure adjointe à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, le nerf de la guerre se trouve dans le niveau de proximité existant entre le gestionnaire et son subordonné.

L’enseignante souligne que les recherches des 50 dernières années tendent à montrer qu’entretenir une relation proche avec ses employés est la clé d’un bon leadership. «Un employé proche, et même très proche de son chef, connaît mieux ses attentes et va pouvoir partager davantage avec lui professionnellement, ce qui peut servir la qualité du travail.»

Mais elle ajoute que cette idée comporte un paradoxe : parce que la proximité augmente les attentes de l’employé vis-à-vis du comportement du superviseur, le risque qu’il les déçoive augmente également. En effet, tout ce qui va être perçu par le collaborateur comme une «rupture du contrat» ou du fonctionnement de la relation de proximité peut engendrer sa déception, soulève la chercheuse. «Si les employés se retrouvent dans une réunion, que des personnes importantes de l'entreprise les attaquent et que leur manager ne prend pas leur défense, ce sera pour certains une énorme déception», donne-t-elle en exemple.

Que peut faire le gestionnaire?

La chercheuse identifie trois leviers que le superviseur peut activer pour aider un collaborateur à dépasser sa déception. Cette émotion étant bien souvent masquée, le gestionnaire doit d’abord savoir faire preuve d’empathie afin de la détecter. Cela peut impliquer que le gestionnaire aille chercher la rétroaction de l’employé vis-à-vis de son comportement.

Ensuite, s’il se rend compte qu’il a déçu, le superviseur gagne à reconnaître la situation, l'émotion négative du travailleur, mais aussi à lui expliquer les circonstances de son comportement ou de sa décision. «Ça peut notamment permettre d'expliquer qu'il n’en est peut-être pas à 100% responsable, que tout un tas de facteurs a mené à ce comportement qui a déçu.»

Il s’agit enfin, si cela se justifie, de s’excuser auprès du collaborateur.

En ouvrant ainsi la possibilité d'une rétroaction (feedback) à l’employé, le gestionnaire accepte que cette pratique soit bilatérale. Et pour porter pleinement ses fruits, la rétroaction dans les deux sens doit pouvoir s'étendre aux sujets opérationnels, soutient Ghislaine Labelle. «Les employés voient parfois plus large que le gestionnaire. En gestion de projet, par exemple, ils peuvent faire état de risques ou d'éléments auxquels ils sont confrontés au quotidien et qui n’ont pas été repérés.»

Peu de gestionnaires encouragent pourtant la possibilité de débattre et d’exprimer son désaccord, selon une enquête menée par le réseau d’audit PwC en 2023. En effet, seuls 33% des employés interrogés ont déclaré relever cette disposition chez leur supérieur hiérarchique.

Garder des attentes réalistes

Pour autant, les gestionnaires ne portent pas seuls la responsabilité de répondre aux attentes de leurs équipes. Les employés doivent également pouvoir les gérer en les communiquant, mais aussi en les gardant réalistes, poursuit Ghislaine Labelle.

Ce travail est particulièrement nécessaire lorsque les attentes sont d’ordre affectif, selon Pénélope Codello. «S’il n’y a pas d’affinités avec le superviseur, mais que la personne est compétente, tout le monde devrait être suffisamment mature et responsable pour travailler avec elle», et ce, même si la dimension affective reste importante au travail, concède l’enseignante.

Ou pour le dire avec les mots de Marie-Colombe Afota : «ce que plaide la recherche, c'est que la proximité, c'est bien… jusqu'à un certain point.»