L’investissement responsable est à la mode. Il s’agit d’une approche d’investissement qui inclut dans les critères d’analyse ce qu’on désigne comme les facteurs ESG. Mais, dans la vraie vie, est-ce que ça marche? Nous avons posé cette question, et quelques autres, à Grégoire Baillargeon, cochef, BMO Marchés des capitaux, Québec et président désigné, BMO Groupe financier, Québec.

Grégoire Baillargeon

Grégoire Baillargeon, cochef, BMO Marchés des capitaux, Québec et président désigné, BMO Groupe financier, Québec.

Qu’est-ce que ça veut dire l’investissement responsable dans le quotidien d’un banquier?

G. B. : C’est la mise en place des différents outils de financement, qu’il s’agisse d’équité, de prêts bancaires ou d’obligations dans une perspective qui n’est pas seulement financière, mais qui est beaucoup plus large. L’investissement responsable nous amène à considérer de façon rigoureuse et mesurable les enjeux environnementaux, les enjeux sociaux et les enjeux de saine gouvernance. À partir du moment où on colle une lentille ESG sur des outils financiers, on se met vraiment dans une approche d’investissement durable. C’est une tendance lourde dans l’ensemble des marchés des capitaux.

Est-ce qu’une banque pourrait refuser d’investir dans un projet même très rentable parce que l’entreprise en cause aurait un mauvais bilan ESG?

G. B. : Absolument. Chez BMO, c’est clairement un critère de qualification. C’est une orientation en toutes lettres dans les politiques stratégiques de la banque. On se conçoit comme un acteur économique d’importance et nous désirons utiliser à bon escient cette relation de confiance avec les acteurs économiques pour les influencer positivement dans la gestion des enjeux de durabilité. Lorsqu’on finance une entreprise, on s’attend à ce qu’elle ait la même lentille de durabilité que nous et on s’attend à ce que le capital qu’on amène contribue à améliorer encore son bilan.

Est-ce que ça marche? En d’autres mots, ce pouvoir d’influence fait-il bouger l’aiguille dans le bon sens?

G. B. : C’est indéniable que ça marche et ça marche de plus en plus ! Le système se raffine sans cesse. Avec le temps, on a développé des méthodes qui permettent de mesurer les aspects ESG dans des entreprises de tous les secteurs. Quand on conclut un financement, on convient des objectifs à atteindre et si les objectifs sont atteints, certains des paramètres de nos prêts peuvent être bonifiés. Le but, c’est d’encourager les entreprises à faire mieux. Nous croyons que la finance durable peut promouvoir la valeur à long terme des entreprises et soutenir une économie résiliente. Chez BMO, nous avons lancé en 2021 l’Institut pour le climat, dont un des rôles est d’aider les plus petites entreprises à faire leur bilan environnemental pour profiter elles aussi de l’apport de partenaires guidés par des pratiques d’investissement responsable.

Le mouvement prend de l’ampleur, mais est-ce assez fort pour atteindre les objectifs de décarbonation?

G. B. : Si l’ensemble des acteurs agissent avec sérieux, on va y arriver. J’y crois fortement. BMO, par exemple, qui s’est engagé à atteindre la carboneutralité en 2050, mesure ses émissions jusqu’au niveau 3, c’est-à-dire jusqu’aux émissions des entreprises qu’on finance, qui devront donc elles aussi être net zéro émission. On est la première banque à prendre un tel engagement publiquement. Si les autres fournisseurs de capitaux font pareil, le mouvement de décarbonation sera immense et profondément transformateur. Notre stratégie de partenariat avec nos clients se concentre sur le soutien aux efforts de décarbonation plutôt que sur un désinvestissement radical. La stratégie de la chaise vide ne fait pas avancer les choses.

On a vu dans les derniers mois une forte volatilité de l’économie : poussée de l’inflation, défaillances dans l’approvisionnement, tensions géopolitiques. Est-ce que ça peut contrecarrer le mouvement de décarbonation de l’économie?

G. B. : Ça va déranger à court terme. Il y a des impératifs de crise qui peuvent nécessiter une attention urgente des entreprises, mais la tendance lourde ne sera pas affectée. Le défi climatique et de durabilité va rester prioritaire. C’est un enjeu planétaire incontournable.

Quelles sont les embûches qui demeurent?

G. B. : Il reste des progrès à faire sur les critères de mesure, sur la transparence, sur comment on mesure l’ensemble des impacts et sur comment on communique ces informations. Il faut des standards de comptabilisation et de divulgation internationaux pour pouvoir se comparer avec précision et préserver la confiance des acteurs économiques. C’est de la diplomatie autant que de la finance. Il y a eu des avancées très importantes dans les dernières années. Mais on ne peut pas encore affirmer qu’on a un langage commun, c’est-à-dire les mêmes règles de divulgation et les mêmes méthodes de comptabilisation des impacts à travers le monde.

Les banques sont en action, les gouvernements sont en action, beaucoup d’entreprises sont en action, mais qu’en est-il des petits épargnants? Est-ce que ces derniers peuvent faire une différence dans ce mouvement d’investissement responsable?

G. B. : Certainement! Les petits épargnants sont la plus grande force du marché des capitaux. Tous les gestionnaires de fonds, ultimement, gèrent l’argent d’individus. Alors chacun d’entre nous, par nos valeurs et nos choix, on devient un agent de changement. On peut simplement faire des virements et demander du rendement, mais on peut aussi dire qu’on veut du rendement généré de façon éclairée, qu’on souhaite choisir nos véhicules de placement et donner nos directives. Et c’est ce qu’on voit. BMO a toute une gamme de produits, de services, de conseil d'investissement et de prêt écologiques. La demande est forte pour l’investissement responsable. Les fonds durables grandissent rapidement. Le pouvoir combiné des petits épargnants est énorme; c’est même la clé de la réussite.