Quand le stress s’invite chez les femmes leaders
2025-03-09

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2025-03-05
Quand le stress s’invite chez les femmes leaders
Management , Ressources humaines

Les femmes leaders font face à un paradoxe épuisant : diriger avec autorité les fait qualifier de «dures», tandis qu'un style plus empathique les fait paraître «inefficaces». Comment naviguer dans ce double standard sans s'épuiser?
Encore aujourd’hui, les femmes en position de pouvoir sont soumises à un double standard encore trop souvent bien ancré, note Émilie Genin, professeure titulaire à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal. Une source de stress, puisqu’elles doivent sans cesse être vigilantes. «Les femmes doivent marcher sur cette très mince ligne qui consiste à ne pas trop transgresser les stéréotypes féminins, et ce, dans tous leurs comportements, que ce soit leur façon de s’habiller ou d’offrir de la rétroaction», souligne-t-elle.
Une réalité d’ailleurs visible dans le milieu universitaire, où les professeures sont systématiquement moins bien évaluées que leurs homologues masculins par leurs élèves, qui s’attendent à être maternés par elles, montrent plusieurs études. «C’est aussi le cas chez les employés qui s’attendent à une approche plus douce de la part d’une gestionnaire», constate la professeure. Résultat : jongler avec ces attentes augmente le stress, et finit par devenir épuisant.
Double rôle
À cette pression s’ajoute celle de la conciliation travail-famille, l’un des principaux facteurs de stress pour les femmes leaders, selon Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et fondatrice de la chaire BMO en diversité et gouvernance. «Dans une étude menée sur le secteur de la finance, nous avons étudié pourquoi si peu de femmes accédaient à des positions de leaders et l’équilibre entre carrière et vie personnelle arrivait en tête de liste», explique-t-elle.
Une réalité qui touche aussi les femmes tout en haut de l’échelle, pense Émilie Genin. «Une femme dirigeante ne s’occupera pas nécessairement elle-même des tâches ménagères. Toutefois, c’est généralement elle qui s’assure que la gardienne aille chercher son enfant à l’école pour l’amener à son cours de musique ou que la personne qui fait le ménage puisse récupérer la clé à la maison. Elle devient en quelque sorte responsable d’un centre de services, ce qui alourdit sa charge mentale, en plus de gruger de l’énergie.»
Un leadership à s’approprier
Il faut aussi se rappeler que, même si des pas de géants ont été accomplis en matière de condition féminine, il reste encore du chemin à parcourir, soutient Sophie Audet, coach professionnelle, conférencière et autrice spécialisée en leadership au féminin. «On oublie souvent que notre présence dans le monde du travail, et encore plus dans des postes de pouvoir, est récente.» Trouver ses repères et apprendre à négocier à travers cette réalité demandent donc du temps, souligne-t-elle. «Bien souvent, cela se traduit par l’impression de ne pas en faire assez, de devoir toujours donner plus.»
De plus, les femmes manquent souvent de modèles féminins inspirants, ce qui complique leur progression dans les postes de direction, remarque la coach. «Souvent, on apprend par imitation, si bien que les femmes vont essayer de calquer leurs comportements sur ce qu'elles observent autour d’elles, même si cela ne leur ressemble pas.» Or, le leadership repose sur la capacité à mobiliser les autres, une compétence qui doit s’ancrer en soi, rappelle-t-elle. «Plus on est authentique, plus les chances que les autres nous suivent sont grandes.»
En tentant de reproduire un style qui n’est pas le leur, les femmes ont de la difficulté à transmettre leur message, à mobiliser leurs équipes et finissent par avoir l’impression qu’elles n’y arriveront jamais, avertit la coach. «Dans ce genre de situation, il devient difficile de poser ses limites.» Face aux difficultés d'accéder aux échelons supérieurs, elles ressentent souvent une pression intense pour être parfaites, ajoute-t-elle. Une quête irréaliste qui les pousse aussi à adopter des comportements nuisibles tels que travailler sans relâche, répondre aux messages à toute heure et sacrifier leur vie personnelle.
Pour éviter l’épuisement, il faut donc apprendre à mieux se connaître pour développer sa confiance et capitaliser sur ses forces, insiste-t-elle. «Ce faisant, il est plus facile de mettre ses limites, mais aussi de développer un leadership authentique, ce qui est la clé pour réussir.» Prendre un pas de recul, que ce soit par du coaching ou du codéveloppement, peut s’avérer une aide précieuse.
Une responsabilité qui n’est pas qu’individuelle
Les solutions pour soutenir les femmes leaders – mentorat, formations, politiques de conciliation – sont bien connues, observe Émilie Genin. «Ce qui manque, c’est plutôt la volonté des organisations à changer leur culture. Parfois, on tente de faire des femmes des hommes comme les autres, en leur demandant de modeler leurs comportements sur les modèles masculins. Cela revient à leur faire porter tout le poids de leur performance.»
En effet, la gestion du stress ne repose pas que sur les épaules des femmes, note Tania Saba. «On aura beau mettre en place le meilleur programme de bien-être, ce sont les agents stresseurs qu’il faut éliminer. Parce qu’une travailleuse qui n'arrive pas à trouver une garderie, vous avez beau l'accompagner, cela ne donnera rien», constate-t-elle. C’est la même chose pour les facteurs de risques psychosociaux, comme la surcharge ou le manque de soutien.
Les études démontrent que le fait d’ouvrir la porte au leadership des femmes apporte des bénéfices, non seulement au point de vue économique, mais aussi social, mentionne Tania Saba. «Cela a un impact direct sur l’amélioration de la gouvernance, de la qualité de vie au travail, de la performance environnementale et sur la transparence dans les décisions.» Des changements qui sont bénéfiques pour les femmes, et les hommes.
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