Tant l’absentéisme que le présentéisme coûtent cher aux entreprises et à l’économie en général. En cette période de pénurie de main-d’œuvre, ils contribuent également à noircir le tableau. État des lieux.

Selon le Bilan 2022 de l’emploi au Québec publié en février 2023 par l’Institut du Québec, l’absentéisme a progressé de 19% entre 2017 et 2022. Des absences causées par les obligations familiales, mais surtout par l’épuisement professionnel, le stress, l’anxiété et les troubles de l’adaptation. «C’est le syndrome de la chaise vide, l’employé n’est tout simplement pas là», indique Mouna Knani, CRHA, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Quant au présentéisme, ce phénomène est plus insidieux et difficile à quantifier puisque, par définition, les employés se présentent au travail en dépit du fait qu’ils souffrent de symptômes ou d’une maladie qui devraient les amener à rester chez eux. Cela peut entraîner une perte de productivité, mais pas nécessairement, car certains demeurent malgré tout très productifs. «Le télétravail et le travail hybride sont aussi venus brouiller les cartes, puisque la flexibilité réduit le besoin de s’absenter», remarque Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH.

Mouna Knani ajoute que depuis la pandémie, on parle aussi de présentéisme numérique. «Dans ce contexte, les employés peuvent œuvrer de la maison tout en étant malades grâce au télétravail», mentionne-t-elle.

Dans tous les cas, ces deux maux sont fortement représentatifs du climat de sécurité psychosociale qui règne au sein de l’entreprise, de faibles taux témoignant d’un climat sécuritaire, alors que des niveaux élevés indiquent plutôt la présence de risques psychosociaux.

Quatre profils de présentéisme

La professeure titulaire au Département de management de l’Université Laval, Caroline Biron, directrice du Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail, s’est beaucoup intéressée à la question du présentéisme. Dans l’une de ses recherches[1], elle détaille quatre profils différents établis en fonction de deux axes : l’état de santé et la performance au travail. «Le présentéisme fonctionnel conjugue la performance avec un état de santé sous-optimal», explique-t-elle. Autrement dit, les problèmes de santé sont mineurs et n’affectent pas la productivité de l’employé.

Avec le présentéisme dysfonctionnel, tant la santé que la performance sont déficientes, alors que dans le cas du présentéisme thérapeutique, il y a perte de productivité malgré des atteintes à la santé plutôt faibles. Ici, il pourrait s'agir de personnes choisissant de travailler parce que cela les aide à oublier leurs problèmes personnels. Enfin, le présentéisme surengagé implique une performance élevée qui se fait au détriment de la santé (heures supplémentaires, etc.).

Le présentéisme a-t-il des conséquences négatives? «Souvent, oui. Cela équivaudrait à utiliser une voiture alors que l’on devrait l’amener au garage pour la faire réparer», illustre Caroline Biron. Concrètement, une grippe qui n’est pas soignée pourrait se transformer en pneumonie, alors qu’un problème d’anxiété non traité déboucherait sur des troubles plus graves. Il y a donc un risque accru de devoir s’absenter à long terme. En revanche, tous les cas de présentéisme n'aboutissent pas à des conséquences négatives ou à un éventuel absentéisme.

Dans une autre étude[2], Caroline Biron et sa collègue Maria Karanika-Murray ont toutefois relevé des aspects positifs. «Cela dépend de différents facteurs, mais lorsque le lieu de travail est favorable et fournit des ressources pour aider l’employé à s’adapter, le présentéisme constituerait un choix intéressant pour maintenir la performance malgré l'état de santé sous-optimal», indique Caroline Biron.

Série – Les maux du travail

Organisations bienveillantes et gestionnaires à l’écoute

Peut-on prévenir l’absentéisme et le présentéisme au sein d’une entreprise? Caroline Biron travaille actuellement à déterminer des interventions spécifiques en fonction des différents profils de présentéisme, mais elle souligne qu’en règle générale, une organisation bienveillante – c'est-à-dire qui accorde une priorité élevée aux enjeux liés à la santé mentale – et des gestionnaires à l’écoute sont des éléments clés. Car comme bien d’autres maux, absentéisme et présentéisme peuvent être réduits grâce à l’implantation d’une culture organisationnelle prônant la santé et le bien-être au travail, mais aussi un climat de sécurité psychosocial.

Pour sa part, Mouna Knani note que c’est en agissant sur le présentéisme que l’on peut réduire l’absentéisme, puisque le premier fait généralement le lit du second. «Quoiqu’il en soit, il faut intervenir pour réduire les risques psychosociaux présents au sein de l’organisation. Ils sont généralement liés à une demande psychologique élevée, à l’insuffisance de soutien social de la part des collègues notamment, du manque de marge de manœuvre sur l’organisation de ses tâches, etc.», mentionne-t-elle.

Elle nous met aussi en garde contre les politiques de primes à la performance et aux primes d’assiduité, qui envoient un mauvais message et peuvent contribuer à encourager le présentéisme stratégique (pour obtenir une récompense). «Il est préférable de récompenser autre chose, les bons comportements par exemple», conseille-t-elle.


Note

[1] Karanika-Murray, M., & Biron, C. (2020). The health-performance framework of presenteeism: Towards understanding an adaptive behaviour. Human Relations, 73(2), 242-261. doi:10.1177/0018726719827081

[2] Biron, C., Karanika-Murray, M., & Ivers, H. (2022). The health-performance framework of presenteeism: A proof-of-concept study. Frontiers in psychology, 13. doi:10.3389/fpsyg.2022.1029434