Quel que soit le poste occupé, on peut tous, un jour ou l’autre, être frappés par la fatigue décisionnelle. Portrait d’un mal répandu, pourtant méconnu, et des meilleures façons de le contrer.

En moyenne, un individu doit prendre de 80 à 90 décisions par jour dans sa vie quotidienne. S’il travaille, ce nombre est multiplié par deux et même par quatre s’il occupe un poste de responsabilité! Sans surprise, il peut s’ensuivre une fatigue décisionnelle. Celle-ci consiste en une détérioration de la capacité à prendre des décisions, et ce, après avoir dû effectuer de nombreux choix durant une période limitée. Au bout du compte, on se sent à la fois submergé et paralysé.

«Les personnes les plus vulnérables sont celles qui doivent prendre des décisions basées sur des compromis, par exemple pour résoudre un conflit, opter pour un candidat, déterminer un budget, etc., ce qui génère une pression encore plus grande», explique Mouna Knani, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Même des décisions ayant un impact relativement mineur consomment une bonne dose d’énergie mentale. «Tout comme le corps, le cerveau se fatigue lorsqu’il est très sollicité», poursuit la professeure. Résultat : notre pile est à plat.

Cerveau bloqué et saturé 

En cas de fatigue mentale, on peut dès lors se retrouver dans un état de paralysie décisionnelle. «Notre cerveau est bloqué, il est saturé et il n’est plus en mesure de filtrer les informations», indique Mouna Knani. Dans ces conditions, on prend alors des raccourcis cognitifs, on choisit au hasard ou encore on se base sur ses émotions plutôt que sur la rationalité.

«La surcharge ralentit ou enraye la capacité décisionnelle, confirme Annie Boilard, Distinction Fellow CRHA, présidente de Réseau Annie RH. Certains auront aussi tendance à reconduire un statu quo plutôt que d’effectuer un choix.» Ce manque d’arbitrage aura des conséquences tant sur sa propre performance que sur celle de son équipe si l’on occupe un poste de gestionnaire, puisque cette dernière, faute de réponses, accumulera du retard dans la réalisation des projets.

Plusieurs signes avant-coureurs signalent que quelque chose cloche. Par exemple, la personne semble de plus en plus impulsive, elle statue sur un coup de tête, ou encore elle adopte une attitude d’évitement en reportant constamment la prise de décisions ou en procrastinant. «L’incapacité à trancher, même sur des points de faible importance, l’hésitation, l’impatience et la multiplication des erreurs témoignent d’un épuisement cognitif. Au fil du temps, la négativité, l’anxiété, les constantes remises en question de son rôle et la rumination finissent par s’installer», détaille Mouna Knani. En toute logique, la qualité du travail et la performance vont s’en ressentir.

Apprendre à déléguer

Alors, comment réussir à reprendre le dessus et à alléger le poids décisionnel? «On peut commencer par se demander pourquoi on a autant de choix à effectuer dans une journée. Les technologies y sont pour quelque chose, par exemple la grande quantité de courriels reçus. Cela fait génère beaucoup de ‘’bruit’’ sans être nécessairement efficace. Il y a des pratiques à revoir», mentionne Annie Boilard.

Apprendre à gérer les priorités, mais aussi à déléguer sont d’autres stratégies à considérer. «Lorsque l’on se sent submergé, on doit comprendre que demander de l’aide n’est pas un signe de faiblesse. En faisant confiance à l’autre et en ses capacités, cela permettra d’alléger notre fardeau», recommande Mouna Knani. Instaurer des points de repère, un sentier balisé et des lignes directrices claires dans la prise des décisions courantes est une autre approche qui a fait ses preuves.

L’entreprise a un rôle à jouer 

Au-delà du point de vue individuel, l’organisation a aussi un rôle à jouer. «Lorsque l’on évolue en terrain connu, il est plus facile de faire des choix et inversement. Par exemple, une entreprise qui souhaiterait introduire de nouveaux produits sur de nouveaux marchés fait en sorte de multiplier les décisions à prendre. Elle aurait donc tout intérêt à fractionner le projet et à avancer étape par étape», conseille Annie Boilard.

Instaurer une culture qui encourage la prise de décisions collaboratives est aussi une piste prometteuse, assure Mouna Knani. «En incitant les équipes à travailler ensemble, on allège la pression et même en cas d’erreur, cette dernière sera partagée par tous et non portée par une seule personne», illustre-t-elle.

Cela nécessite toutefois d’instaurer un climat de sécurité psychologique où chacun se sentira autorisé à faire part de sa fatigue à ses collègues ou à son gestionnaire. Définir clairement les tâches, les rôles et les objectifs des employés aide aussi à prévenir le surcroît de responsabilités que certains pourraient se croire obligés d’endosser.

«Pour le gestionnaire de proximité, la marche Gemba – une forme de management de terrain – aide à percevoir les signaux. Dans les grandes lignes, cela consiste à observer les employés sur leur lieu de travail, à leur poser des questions sur leurs tâches et à identifier les gains potentiels de productivité. Le gestionnaire pourra ainsi apporter du soutien aux employés qui en ont besoin», souligne la professeure. Les périodes les plus chargées, par exemple à l’approche du temps des fêtes, sont d’ailleurs des périodes propices à la marche Gemba, afin de tâter le pouls de ses équipes et de prendre les mesures appropriées.