Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

Lorsqu’il est bien utilisé, l’humour facilite nos rapports avec les autres. Mais qu’en est-il dans un contexte de vente ? Peut-il favoriser les activités de marketing destinées à établir, à développer et à maintenir de bonnes relations d’affaires ? Peut-il améliorer les performances des vendeurs ? Petite incursion dans un univers peu exploré.

Les bienfaits de l’humour dans la vie de tous les jours ne sont plus à démontrer. En effet, son incidence positive sur la santé, sur la gestion du stress et de l’anxiété ainsi que sur le bien-être au travail est bien documentée. Mais on en sait encore peu sur ses vertus dans les domaines du marketing et des relations de vente.


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Or, sur le terrain, on constate qu’une majorité de vendeurs y ont recours, aussi bien dans un contexte de vente aux consommateurs (business to consumers ou B2C) que dans une relation d’affaires d’entreprise à entreprise (business to business ou B2B). Et ça marche !

Une plaisanterie de bon goût et la réceptionniste la plus revêche retrouvera le sourire ; un trait d’humour bien placé détendra un client réfractaire et le rendra plus réceptif.

Pour creuser la question et mieux comprendre l’utilité de l’humour dans le domaine des ventes, nous avons décidé d’en mesurer les effets auprès de 149 dyades de vendeurs et de leurs clients au cours d’une recherche1 exhaustive réalisée dans quatre secteurs d’activité : pharmaceutique, alimentaire, industriel et financier.

Nous nous sommes concentrés exclusivement sur les ventes en B2B, un contexte où les vendeurs sont amenés à rencontrer les mêmes clients sur de longues périodes, parfois durant plusieurs années, et ce, à de nombreuses reprises tous les ans. Voici donc les principales conclusions de nos travaux. Certaines sont évidentes, mais d’autres peuvent surprendre…

Des formes d’humour variées

Multiforme et propre à chacun, l’humour peut être utilisé de bien des façons. À des fins de classement méthodologique, on peut le diviser en deux grands groupes qui servent à le qualifier et à le définir : l’humour positif et l’humour négatif. Dans le premier groupe, on trouve deux sous-catégories : d’une part, l’humour qui permet d’alléger l’atmosphère ou de mettre les gens à l’aise ; d’autre part, celui qui aide à contrôler les mécanismes de stress et à désamorcer les conflits. Ce type d’humour est résolument constructif et a un effet favorable sur les relations avec autrui.

En ce qui concerne l’humour négatif – que nous n’avons pas étudié dans notre recherche –, il se caractérise par un style plus agressif et a souvent pour but de gêner, d’intimider ou d’humilier l’interlocuteur, voire de se rabaisser soi-même. Il englobe par exemple le sarcasme, l’ironie et la moquerie, bref le fait de rire aux dépens des autres.

Mais attention : pour atteindre son but, l’humour positif doit être manié avec précaution. Employé à mauvais escient ou de façon maladroite, il ratera sa cible et pourrait même se retourner contre celui qui en a fait usage. Toutefois, ses bénéfices avérés sont nombreux, ce qui milite en faveur de son utilisation dans les relations de vente. Mais en quoi consistent ces fameux bénéfices?

Au moment d’entreprendre notre recherche, nous avions émis un certain nombre d’hypothèses. Tout d’abord, en sus du fait que l’humour contribue à réduire les tensions relationnelles, il semblait raisonnable de croire qu’il aurait aussi tendance à accroître le sentiment de confiance des clients envers les vendeurs. Dès lors, cela améliorerait la performance des vendeurs, puisque la clientèle serait davantage portée à acheter les produits que ceux-ci proposent.

Enfin, il s’avérait probable qu'en utilisant l’humour, les vendeurs aient tendance à sortir du moule, à s’accorder certaines libertés par rapport aux directives de leur entreprise et, par conséquent, à faire preuve de plus de créativité et d’innovation dans leurs approches.

Des résultats probants

Toutefois, les effets combinés de l’utilisation de l’humour sur la créativité, sur le lien de confiance et sur la performance demeuraient relativement inexplorés et peu documentés, d’où l’intérêt d’analyser ces liens et de mesurer les retombées. En effet, il s’agit d’enjeux cruciaux pour les praticiens, c’est-à-dire les vendeurs qui sillonnent leur territoire chaque jour.

On en demande beaucoup aux vendeurs : en plus de se montrer passionnés et persévérants, ils doivent gérer un vaste portfolio de produits et rencontrer de nombreux clients, dont certains chaque semaine, en plus d’être astreints à des objectifs de vente souvent élevés.

Certains doivent aussi faire la promotion de produits à caractère délicat ou controversé, par exemple des traitements contre le cancer, des services gériatriques ou des instruments technologiques très spécialisés, ce qui accroît davantage le degré de difficulté. Dans ces conditions, l’humour peut devenir un atout appréciable qui aide à détendre l’atmosphère.

Qu’avons-nous découvert grâce à notre étude ? Initialement, nous pensions que le recours à l’humour aurait un effet direct sur la performance des vendeurs. Or, nous avons constaté que ce n’est pas le cas : l’effet de l’humour sur la performance est indirect. En voici la raison : c’est notamment parce qu’il renforce la créativité des vendeurs que l’humour a un effet positif sur les chiffres de vente.

Quand un vendeur réussit à améliorer son rendement, c’est souvent parce qu’il a fait preuve d’originalité et parce qu’il a innové dans sa façon de présenter ses produits ou ses services à ses clients, non pas parce qu’il a avant tout eu recours à l’humour. Cependant, cette équation comporte d’autres variables : les solutions novatrices que le vendeur a trouvées et le solide lien de confiance qu’il a réussi à créer avec sa clientèle lui ont permis d’établir des relations d’affaires fructueuses.

Mais ce n’est pas tout : nos résultats indiquent également que c’est la créativité, bien davantage que la relation de confiance, qui influe positivement sur la performance. Autrement dit, la capacité d’un vendeur à proposer des solutions novatrices à ses partenaires d’affaires, bien plus que son habileté à devenir leur « ami », fera grimper ses chiffres de vente.

En revanche, nous avons aussi constaté qu’un bon lien de confiance – en plus de son effet positif sur le rendement – nourrit l’intention des clients à poursuivre la relation d’affaires et accroît leur propension à recommander les services ou les produits d’une entreprise. Il s’agit là d’un élément crucial et d’un argument de poids dans les domaines de la vente et du marketing.

Des outils pour les gestionnaires

Parce qu’elle jette un nouvel éclairage sur les bénéfices de l’humour dans la relation de vente en B2B, notre recherche propose d’autres pistes de réflexion aux gestionnaires. Certes, sans nécessairement inscrire leurs vendeurs à l’École nationale de l’humour, ils auraient avantage à renforcer cette compétence générale (ou soft skill en anglais) au sein de leurs équipes des ventes.

Comment faire ? Il semble difficile de mettre sur pied des programmes de formation dans ce domaine, mais les gestionnaires peuvent inciter leurs vendeurs à utiliser l’humour de façon complémentaire aux outils dont ils disposent déjà.

En parler ouvertement, encourager un recours judicieux à l’humour et donner des exemples concrets de cas où cette stratégie a été couronnée de succès ou a permis de désamorcer une situation tendue représentent autant de façons de promouvoir efficacement l’humour dans le domaine des ventes.

Les gestionnaires peuvent aussi proposer de l’accompagnement individuel et aborder cette question lors des rencontres d’équipe. Quoi qu’il en soit, une approche de gestion souple et ouverte, suffisamment distincte des messages clés habituellement martelés par les organisations, est de mise.


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Enfin, non seulement l’humour est bénéfique et applicable à tous les secteurs de la vente en B2B, mais il s’avère également transposable au contexte de la vente aux consommateurs. Voilà un enseignement profitable pour les entreprises qui souhaitent prendre les devants et se distinguer de la concurrence!


Note

1 Voir Lussier, B., Grégoire, Y., et Vachon, M.-A., « The role of humor usage on creativity, trust and performance in business relationships – An analysis of the salesperson- customer dyad », Industrial Marketing Management, vol. 65, août 2017, p. 168-181. Cette recherche s’appuie sur trois sources d’information : les questionnaires remplis par les vendeurs et par les clients, tous choisis de façon aléatoire, ainsi que les résultats des ventes fournis par les entreprises participantes.