Alors que les jeunes perdent foi en l’avenir et que le monde craque de toutes parts, les entrepreneurs, eux, ont le pouvoir d’améliorer les conditions sociales et économiques de la collectivité. Devant l’urgence de la situation, changeons de modèle!

Où allons-nous en ce début d’année 2022? Il aura suffi que la pandémie se calme un peu, fin 2021, pour que la consommation tous azimuts reparte au galop comme avant. La COP26 venait à peine de s’achever, sur un bilan hélas bien maigre, qu’on nous assommait déjà de statistiques déplorables liées aux gaz à effet de serre (GES), aux déchets, aux plastiques… Tout repart désormais; non pas comme avant, mais en pire. Même la vente de certains produits bios qui avaient connu un boom au début du confinement ne progresse plus, tandis que celle de véhicules utilitaires sport (VUS), elle, explose!

Ajoutons à cela le retour de l’inflation, les ruptures d’approvisionnement, le manque de ressources humaines… et nous voilà de retour dans la jungle, avec sa loi du talion.

Refonder le progrès…

Pas étonnant que la majorité des jeunes – et ce, dans le monde entier – disent ne plus avoir confiance en l’avenir. Le concept de progrès se délite. Alors qu’il signifiait foi en l’avenir par la connaissance et la science de même que par le partage équitable des retombées techniques, sociales et démocratiques au bénéfice de tous, le progrès ne représente plus aujourd’hui que croissance économique, technologie, vitesse et accumulation de biens.

…avec l’entreprise

Qui donc remettra l’humain en haut de la pyramide? L’humain dans son développement, son bonheur, en harmonie avec la nature, son alliée?

Les citoyens? Peut-être, s’ils réussissent à surmonter leur sentiment de désespoir issu des constats mentionnés ci-dessus.

Les États? Eux dont les représentants viennent de s’exposer tristement à Glasgow et qui ne parlent que de croissance économique, ne serait-ce que pour payer la dette?

Les entreprises? Oui, absolument, et surtout grâce aux entrepreneurs. La confiance des citoyens à l’égard des chefs d’entreprise est très forte, car ces derniers sont créateurs de richesse, parviennent à résoudre les problèmes qui se présentent à eux… Selon l’agence Edelman, qui publie chaque année un indice de la confiance dans le monde entier, près de 60% des Canadiens disent avoir foi en les petites et moyennes entreprises (PME), et plus de 75% croient en l’affirmation selon laquelle les entreprises peuvent à la fois accroître leurs profits et améliorer les conditions sociales et économiques de leur communauté.

Peur? De quoi?

Et pourtant, rien ne bouge vraiment. Nous avons le sentiment que tout le monde attend. C’est bien là l’impression qui se dégage d’un sondage[1] publié en octobre dernier dans La Presse auprès de 216 PME québécoises employant entre 25 et 250 personnes : 75% des répondants considèrent que «la performance de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) ou de développement durable (DD) actuelle de leur entreprise est bonne ou excellente»! Les 25% restants – plus honnêtes, peut-être? – jugent plutôt leur performance comme étant «passable». Cela me donne envie de chanter «tout va très bien, Madame la marquise…» En outre, à la question «quels sont les éléments qui aideraient votre entreprise à réaliser ses ambitions en termes de responsabilité sociale et environnementale?», 46 % des répondants attendent que leurs concurrents aient de bonnes pratiques, tandis que 34 % espèrent que le gouvernement impose de nouvelles règles! Mais où est donc l’entrepreneuriat? Où est l’audace, l’avant-gardisme, le courage des entrepreneurs qui savent se faire une tête sur un sujet grave, puis, seuls, aller de l’avant?

Certains diront qu’il y a quand même 40 entreprises québécoises certifiées B Corp[2], et bien d’autres qui sont inscrites dans une démarche de commerce équitable ou de développement durable. Or il y a 250 000 entreprises au Québec!

Entendez-vous?

Entrepreneurs, n’entendez-vous pas les citoyens autour de vous qui réclament des produits et des processus plus sains générant moins de déchets?

Entendez-vous ces jeunes qui nous disent : «Nous sommes l’avenir, mais nous n’en avons pas»?

Ne voyez-vous pas les changements climatiques qui affectent non seulement une province canadienne comme la Colombie-Britannique, mais aussi de nombreuses régions du Québec qui manquent d’eau potable, la nappe phréatique constituant désormais un problème sérieux dans un pays reconnu à l’échelle mondiale comme ayant les plus grandes réserves d’eau douce?

À propos, avez-vous déjà fait un bilan carbone?

N’entendez-vous pas ces personnes qui veulent travailler, mais qui refusent de passer huit heures chaque jour dans une entreprise n’offrant pas une perspective humaniste stimulante? Mesurez-vous régulièrement la mobilisation de vos employés?

N’avez-vous pas entendu parler du courant de l’«économie du sens» (purpose economy) aux États-Unis, qui vise tout simplement «le sens avant le profit» (purpose before profit)? Des modèles italien, français… d’entreprises à mission? De la toute prochaine directive que l’Europe imposera à toutes les entreprises employant plus de 250 personnes : publier leurs indicateurs extrafinanciers, soit une exigence à la base d’un modèle de RSE qui deviendra vraisemblablement mondial parce qu’aussi puissant et exigeant que les Normes internationales d'information financière (IFRS) en matière de comptabilité?

Vous me répondrez que vous connaissez des entreprises québécoises qui ont cette vision double – en faveur à la fois de l’économie et de la société –, inscrivant donc dans leur vision la perspective d’être utiles à la société avant de satisfaire les actionnaires : Cascades avec son modèle d’économie circulaire; Communauto, qui pratique l’économie du partage; Déclic et son approche inclusive; Prana grâce à ses produits bios et au commerce équitable… Par ailleurs, vous connaissez des regroupements de dirigeantes ou de dirigeants qui promeuvent cette idée (ou peut-être y êtes-vous impliqué vous-même) : Evol, EntreChefs PME, etc.

Soyez pro-gres-siste!

Alors, pourquoi attendre et ne pas repenser votre organisation en partant d’une définition stimulante de votre raison d’être? Allez au-delà de la mission en faveur de vos clients et inscrivez en haut de l’affiche l’utilité de votre entreprise à l’égard de la société. Puis revoyez votre stratégie et votre gouvernance. Passez des états financiers à l’impact, à la performance globale, économique, sociale et environnementale. Passez des gestes occasionnels, qui relèvent de la philanthropie, à un modèle d’affaires contributif, régénératif.

Je vous bouscule? Vous me trouvez exigeant? Pressé? C’est vrai : je crois au progrès, qui se définit comme un combat, mais je crains que le temps nous manque. Je m’inquiète de l’état du monde que nous sommes en train de léguer aux jeunes générations. Elles nous regardent, nous toisent, nous interrogent…

Dans mes pensées les plus sombres, je vois parfois venir au loin un enfant de 10 ans, le regard noir, inquiet, qui cherche à comprendre… Cet enfant aura 20 ans le 15 janvier 2032; il portera peut-être le nom de Zola-Thunberg et, ce jour-là, il écrira – sur les murs de nos villes, dans les journaux et sur les réseaux sociaux de l’époque – un immense «J’ACCUSE»!


Notes

[1] Sondage réalisé par Léger pour le compte de l’Institut du Québec, Credo (firme-conseil en impact social) et IDEOS HEC Montréal – Pôle gestion de l’impact social, La Presse, 21 octobre 2021.

[2] Certification d’origine américaine, sévère dans son évaluation, qui reconnaît les entreprises mettant sur un même pied la performance économique et l’utilité sociale.