Prendre une décision nécessite de peser le pour et le contre dans un processus de réflexion que l’on pense être impartial. Pourtant, les biais cognitifs sont bien souvent de la partie…

Vous pensiez prendre vos décisions en toute objectivité? Détrompez-vous! «Pendant très longtemps, on a cru que les individus étaient capables de prendre des décisions rationnelles. Mais nos cerveaux ne sont pas des machines, et même lorsqu’on pense être objectif, on ne l’est pas. L’influence des biais cognitifs est bien réelle, même quand on pense s’appuyer sur des faits», souligne Gaëtan Béghin, candidat au doctorat en psychologie de l’Université du Québec à Montréal, membre du Laboratoire des processus de raisonnement et éditeur du site Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs.

Car beaucoup de décisions sont prises sur une base émotive, même dans des domaines qui nous semblent parfaitement rationnels, la finance par exemple. Selon la théorie de la finance comportementale, dont l’un des fondateurs est le psychologue Daniel Kahneman, certaines anomalies boursières s’expliquent par la psychologie et des biais cognitifs. Excès de confiance ou aversion au risque, biais de confirmation ou biais d’ancrage peuvent en effet biaiser le raisonnement des gestionnaires de fonds et investisseurs.

Série Biais cognitifs

Le poids des critères de sélection

Mais on retrouve des biais cognitifs partout où il faut effectuer des choix, et ce, quel que soit le domaine. Marine Agogué, professeure agrégée au Département de management à HEC Montréal et détentrice d’un professorship en créativité organisationnelle, précise qu’ils peuvent intervenir lors des différentes étapes décisionnelles, c’est-à-dire lors de la génération d’options ou lors de la sélection de celle qui sera retenue.

Dans un premier temps, il faut donc se demander si on a pensé à toutes les options, puis prêter une attention particulière aux critères de sélection sur lesquels on va baser sa décision finale. «Par exemple, rappelons-nous des premiers téléphones cellulaires. À l’époque, on recherchait des appareils solides et dont la batterie durait longtemps. De son côté, le iPhone ne cochait aucune de ces cases, et pourtant, il a connu le succès que l’on sait», illustre Marine Agogué, qui ajoute que si l’on évalue les idées au regard de ce qui a de la valeur, bien souvent, les concepts novateurs ne répondent pas aux critères. Autrement dit, la mise à jour de la grille d’évaluation est essentielle pour éviter que notre raisonnement ne soit dévié.

«Il faut être réflexif et s’interroger sur notre cadre de pensée pour s’assurer que nous serons en mesure de prendre en compte la richesse des différentes options devant nous. Car notre cerveau continue de créer des automatismes, il faut en être conscient et se remettre en question. On doit accepter le dialogue et ne pas hésiter à demander à quelqu’un de jouer le rôle de l’avocat du diable pour être sûr d’avoir pris en compte toutes les options», soutient-elle.

Pour sa part, Daniel Payette, psychologue organisationnel, directeur de l’équipe Évaluation et développement du leadership au sein de la firme Gallagher, recommande de demeurer alerte, de s’appuyer sur des données et d’accepter que ses décisions sont confrontées et remises en question. «On doit être en mesure d’avoir de saines discussions et de valoriser les opinions des autres», souligne-t-il. Il relève toutefois que le manque de temps coupe court à la réflexivité. «Lorsque tout s’accélère, ce n’est pas un environnement propice aux débats. On agit alors rapidement, en faisant confiance à son intuition, et c’est là que les biais cognitifs interviennent», constate-t-il.

Pas toujours négatifs

Mais un biais est-il forcément mauvais? Marine Agogué rappelle que le processus de raccourcis cognitifs (les heuristiques, dont découlent les biais) est mis en place par le cerveau pour éviter la surcharge mentale. Cette stratégie de survie a donc un but bien précis qui peut être utile dans certaines circonstances.

Elle ajoute qu’un biais est une déviation de notre jugement généré par un raisonnement rapide, comparativement à un raisonnement plus long qui lui aurait permis de mener une analyse globale et complète. Or, ce dernier n’est pas toujours indispensable. «Cela dépend des contextes, il faut faire preuve de discernement, car cela ne vaut pas nécessairement la peine d’effectuer une réflexion complète en tout temps», juge-t-elle. Le processus de planification stratégique des entreprises par exemple, qui revient à intervalles réguliers, ne requiert pas systématiquement un long processus réflexif. Ici, on peut donc se permettre certains automatismes sans crainte.

La professeure conseille donc de développer une forme d’hygiène de questionnement, c’est-à-dire savoir déterminer quand cela vaut la peine de mettre en œuvre une réflexion poussée ou si, au contraire, on peut prendre certains raccourcis.