Ne pas remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui, c’est un idéal difficile à atteindre dans le contexte actuel. Mais à l’inverse, tout exécuter à la vitesse de l’éclair n’est pas nécessairement mieux. Entre travailler trop lentement ou trop rapidement, un certain équilibre est de mise.

«La procrastination, c’est la tendance à remettre une tâche à plus tard. La précrastination, c’est l’opposé, c’est-à-dire s’empresser d’accomplir une tâche parce qu’on a besoin que ce soit réglé, parfois plus vite que nécessaire, parfois au prix d’un effort supplémentaire et même d’inconvénients», explique Julie Carignan, CRHA, psychologue organisationnelle et associée chez Humance.

«Les précrastinateurs sont trop orientés sur la production et pas assez sur le fait de laisser les idées émerger, tandis que les procrastinateurs laissent le temps aux idées d’émerger, mais ont du mal à les accoucher», résume pour sa part Jean-François Bertholet, chargé de cours à HEC Montréal et consultant en développement organisationnel.

Deux attitudes qui peuvent relever autant du type de tâches que de l’organisation du travail ou de la personnalité des travailleurs, souligne Denis Morin, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). «Il faut comprendre le contexte dans lequel les gens repoussent au lendemain. On peut jongler avec plusieurs dossiers à la fois ou avoir du mal à apprécier la tâche, et donc estimer son temps.» Le fait de ne pas arriver à temps au fil d’arrivée peut aussi engendrer du stress sur les travailleurs, qui sont rarement de mauvaise foi, selon lui.

La quantité ou la qualité?

Si travailler rapidement est valorisé dans les organisations, le fait de se débarrasser au plus vite de ses tâches peut mener à l’épuisement. En effet, les précrastinateurs ont souvent du mal à prendre une pause avant d’être passés à travers de leur liste de tâches. «Le risque est grand de se brûler, surtout dans le monde d’aujourd’hui, alors qu’il y a toujours un nouveau courriel, une nouvelle demande», avertit Julie Carignan. «Ce n’est jamais fini.»

De plus, à force de répondre au quart de tour, on augmente la pression sur ses épaules, tout en crinquant les attentes. «Il ne faut pas se peinturer dans le coin. Si on est tout le temps disponible, on risque de se retrouver pris dans l’engrenage», prévient Jean-François Bertholet.

Ce type de comportement peut aussi irriter les autres, surtout si une personne pousse sur les autres pour qu’ils progressent sans que ce soit nécessaire d’aller aussi vite, observe Julie Carignan. «On peut aussi devoir recommencer si on avance sans avoir toute l’information en main.»

Les vertus de la lenteur

À petites doses, et dans certaines circonstances, la procrastination peut s’avérer bénéfique. «Quand on se trouve face à des problèmes complexes, pour lesquels il n’y a pas de solution évidente, cela vaut la peine de laisser les choses mariner, d’en discuter avec les autres, pour laisser les idées faire leur chemin», note Jean-François Bertholet. «Toutefois, on a souvent un biais pour l’action et la décision, parce que ça nous rassure. Il faut parfois ralentir pour voir les choses autrement.»

Ainsi, comme le veut la sagesse populaire, il vaut parfois mieux «dormir là-dessus». «En fait, quand on doit résoudre un problème complexe, notre cerveau fait du ménage pendant la nuit, jette ce qui n'est pas pertinent, fait des liens entre les choses», précise Julie Carignan. «Quand on se lève le matin, on voit la situation plus clairement, de façon plus lucide, et ce n’est pas seulement parce qu’on est moins fatigué.»

Ne pas agir dans la précipitation permet aussi de prendre du recul, de choisir ses priorités et… de se laisser le temps de souffler. «Quand on est fatigués, on n’offre pas un rendement à 100 %. Aller marcher 5 minutes, bouger un peu, va nous rendre plus performants. Il faut être capable de dire : je prends une pause pour aller au gym et j’accomplirai ma tâche plus tard», illustre-t-elle.

Une équipe bien organisée

Quand un gestionnaire remarque qu’un employé fait du surplace, il vaut mieux aborder la question ouvertement, conseille Julie Carignan. «On peut lui expliquer clairement pourquoi on a besoin du document à telle date, parce qu’il y a différentes étapes de validation qu’il faut respecter, par exemple.» C’est aussi l’occasion de comprendre les raisons derrière ces retards et d’offrir son soutien ou des outils pour mieux s’organiser.

Pour sa part, Denis Morin recommande d’opter pour la flexibilité. «Si une personne est anxieuse et qu’elle bloque sous la pression, le gestionnaire a tout intérêt à établir des échéanciers réalistes avec elle et à se demander : si elle dépasse les délais, quelles sont les conséquences réelles?» D’autant que certaines personnes sont naturellement plus lentes. Or, si les résultats sont à la hauteur, ça peut valoir la peine de se donner une marge de manœuvre et de viser la qualité, plutôt que la quantité, estime-t-il.

À l’inverse, si un employé travaille trop vite – avec des résultats mitigés –, Jean-François Bertholet suggère de le coacher. «Devant quelqu’un qui arrive avec des solutions toutes faites, on peut lui poser des questions. Est-ce que tu as pensé à cela? As-tu testé l’idée auprès de tes collègues?  T’es-tu fait challenger par rapport à ton travail?» Bref, il faut l’amener à pousser sa réflexion plus loin.

En conclusion, prendre son temps a plusieurs vertus. Tout est une question de dosage et d’équilibre!