Pourquoi les rapports sont-ils rarement suivis?
2017-06-23
French
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2018-07-24
Pourquoi les rapports sont-ils rarement suivis?
Au cours dune longue carrière portant principalement sur létude du secteur public, jai été en mesure de consulter un nombre incalculable de rapports. Une impression globale sen dégage : leurs recommandations sont généralement peu suivies. Pourquoi en est-il ainsi?
Les rapports ressemblent aux maquettes des urbanistes
Les rapports ressemblent aux plans des urbanistes et à leurs maquettes des villes idéales. La présentation et la forme demeurent fort soignées, généralement multicolores. Malheureusement, on ignore les contraintes du monde réel comme le déjà bâti, lhétérogénéité des préférences des résidents et les caractéristiques contraignantes de lenvironnement. On se situe dans un monde abstrait ou imaginaire. Cest bien le cas des multiples rapports.
Les difficultés de bien saisir la réalité
La condition nécessaire pour formuler des recommandations pertinentes demande de bien percevoir le monde réel. Ce nest pas une mince tâche puisque chacun regarde la réalité à travers une fenêtre plus ou moins étroite. De plus, les objectifs des politiques sont multiples. Un économiste qui fut ministre me communiquait son étonnement devant le grand nombre dobjectifs qui sexprimaient autour de la table du cabinet.
Comme laffirmait Thomas Sargent dans une brève synthèse sur lenseignement de la science économique : « En état déquilibre, en économie comme dans un jeu, les gens sont satisfaits de leurs choix. Cest pourquoi il est difficile pour des personnes bien intentionnées de changer les choses pour le meilleur ou pour le pire ».
La situation est semblable dans le domaine politique. La structure des programmes reflète les forces ou les intérêts en présence. Cette structure nest pas immuable, mais toute modification présuppose un important changement des forces ou de lenvironnement.
De plus, sil ny avait aucun gagnant à ce qui est perçu comme inefficace ou comme du gaspillage, cette réduction de la richesse collective naurait sûrement pas lieu. Cest ce qui fait dire à Gary Becker : « Si lintention des politiques publiques était entièrement connue, je suis assuré que le secteur public se révélerait un producteur et un redistributeur beaucoup plus efficace quon ne le croit généralement. » (Becker, 1983 : 338)
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Perception incomplète du réel et recommandations inadaptées
Comment une perception partielle et généralement abstraite de la réalité peut-elle conduire à des recommandations pertinentes? Une référence à une expérience personnelle permet de mieux en saisir la difficulté.
On ne peut appliquer les règles du jeu de bridge lorsquon joue une partie de poker. Cet enseignement ma été crûment rappelé par un de mes étudiants il y a une vingtaine dannées. Je proposais, sûrement avec une grande conviction et éloquence, dappliquer au secteur public les règles defficacité développées par la morale économique.
Cet étudiant minterrompit pour signaler mon incohérence. Je prescrivais de recourir à une tarification des services publics, alors que les citoyens désirent mettre ces services dans le secteur public, précisément pour éviter une telle tarification.
Se limitant à une approche technocratique, les rapports oublient les importantes considérations politiques. Ce qui est pertinent nest pas la rentabilité économique dun programme, mais plutôt sa rentabilité politique. Lobjectif bien normal des décideurs est daccroître la probabilité de se faire réélire.
Le caractère endogène des rapports
Lexistence dun rapport nest pas une abstraction; elle sinsère plutôt dans un contexte. En voici un exemple : au printemps 1985, un parti, élu en avril 1981, était à la fin de son mandat en une période où des problèmes des services de santé faisaient continuellement la manchette.
Une façon dévacuer le sujet pour la campagne électorale imminente fut de créer en juin 1985 une commission denquête sur les services de santé et des services sociaux qui ferait rapport après les élections. Sa création visait à signaler aux électeurs une volonté gouvernementale daffronter les vrais problèmes, après avoir reçu les avis des experts dont les orientations étaient déjà pas mal connues.
Le dernier chapitre et les problèmes dimplantation
Avec le refus de présenter un dernier chapitre sur les problèmes dimplantation de leurs recommandations, les rapports font implicitement lhypothèse que le gouvernement sidentifie à une forme de despote bienveillant avec lunique objectif de maximiser le bien-être des citoyens. Cest une conception très romantique de la politique. Les mécanismes de création de cette autorité magnanime sont rarement étudiés, les défaillances des processus politiques étant implicitement jugées peu importantes.
Labsence du dernier chapitre sur les difficultés dimplantation des recommandations par les processus politiques explique pourquoi les rapports atterrissent généralement sur les rayons des différentes bibliothèques pour y ramasser la poussière, si ce nest pas le chemin de la corbeille ou de la déchiqueteuse.