Article publié dans l'édition printemps 2019 de Gestion

Bien que la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre soit généralement admise, plusieurs organisateurs ne considèrent pas la question énergétique comme une priorité. Comment convaincre leurs dirigeants de faire de la transition énergétique un enjeu stratégique ?

Au Canada, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la production et à la consommation d’énergie représentent plus de 81% des émissions totales. De plus, alors que les émissions totales ont augmenté de 18% entre 1990 et 2015, celles qu’on peut attribuer spécifiquement à l’énergie ont crû plus rapidement, progressant de près de 22 %, rappelle le rapport Perspectives énergétiques canadiennes 2018 – Horizon 2050, fruit de la collaboration entre le Pôle e3 de HEC Montréal et l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal1.


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Bonne nouvelle : certains secteurs d’activité, par exemple la production d’électricité et de chaleur, ont réussi à réduire leurs émissions de GES. Ainsi, en 2015, 81 % de la production d’électricité canadienne a été assurée par des sources à faibles émissions de carbone, notamment l’hydroélectricité, ce qui fait du Canada un bon élève dans ce domaine. En revanche, ces diminutions ont été entièrement annulées – et même bien au-delà – par les augmentations enregistrées dans l’industrie des transports ainsi que dans le secteur pétrolier et gazier à cause des activités d’extraction et de raffinage.

Pour relever le défi grandissant de la réduction des émissions de GES, les gouvernements fédéral et provinciaux ont défini un ensemble d’objectifs, de cibles et de stratégies. Parallèlement à la signa- ture de l’accord de Paris sur le climat et à l’annonce de la mise en œuvre du Cadre pancanadien sur la croissance propre et sur les changements climatiques (toutes deux en 2016), Ottawa a également adopté

l’Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone. Cette mesure permet aux provinces de créer un système de tarification directe (taxe sur le carbone, par exemple) ou un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission. Elle assure également une tarification minimale pour le carbone dans tout le pays.

Néanmoins, le rapport Perspectives énergétiques canadiennes cité plus haut déplore le fait que même si toutes les politiques actuelles étaient pleinement appliquées et donnaient les résultats souhaités, le Canada ne serait pas en mesure d’atteindre son objectif de réduction d’ici 2030, les émissions de GES canadiennes demeurant encore supérieures de 30 % à l’objectif fixé. Par conséquent, il est impératif d’aller plus loin.

Les raisons de la transition verte

La transition énergétique est indispensable pour réduire les risques d’emballement climatique. On sait d’ailleurs qu’elle pourrait permettre d’assurer non seulement une meilleure qualité de vie mais aussi de meilleurs emplois pour tous. Ces arguments de poids en font donc un enjeu stratégique pour l’humanité dans son ensemble et pour nos sociétés… mais pas encore pour toutes les organisations, qu’elles soient publiques ou privées.Pole e3

Si certaines entreprises ont pris conscience du caractère crucial de cette transition, en particulier les grandes consommatrices d’énergie – plusieurs partenaires du Pôle e3, par exemple Rio Tinto, Suncor et Cascades, ont déjà réalisé des investissements considérables pour améliorer leur efficacité énergétique –, il n’en demeure pas moins que la majorité reste à la traîne. Pourquoi ? Une partie de la réponse réside sans doute dans le fait que l’énergie ne constitue pas, aux yeux de leurs dirigeants, un poste budgétaire à caractère stratégique. La solution pourrait consister à adopter une vision plus globale en fusionnant tous les investissements dans ce domaine – chauffage, éclairage, équipement, etc. – pour en faire une dépense qui pèse plus lourd, donc une source d’économies potentiellement intéressante.

Des arguments de poids

Pour convaincre de la valeur et du bien-fondé de l’efficacité énergétique, il faut adapter ses arguments et son discours aux personnes à qui on s’adresse au sein d’une organisation, qu’il s’agisse d’un membre de la haute direction, d’un directeur de la production, du responsable des finances ou d’employés. Le tableau ci-dessous met en lumière les objectifs spécifiques des divers interlocuteurs organisationnels, les contraintes, les obstacles et les principaux facteurs dont il faut tenir compte pour mener à bien cette démarche. Il propose aussi quelques arguments clés pour remporter l’adhésion des personnes concernées. Ces informations sont tirées de l’outil Comment convaincre, élaboré par le Pôle e3 afin d’inciter les entreprises à améliorer leur efficacité énergétique et afin de les accompagner tout au long de ce processus.

L’horizon de la rentabilité est égale- ment un aspect important à retenir. En effet, dans l’esprit des gestionnaires, le retour sur investissement doit se faire dans un délai relativement court. Or, lorsqu’il est question de gestion énergétique, il faut plutôt penser à moyen terme, voire à long terme, avant de vrai- ment pouvoir en mesurer les retombées. Enfin, autre facteur à prendre en compte : si elles veulent être attractives pour la main-d’œuvre de demain, les entreprises devront impérativement séduire la prochaine génération. À HEC Montréal, par exemple, les étudiants sont très sensibles aux enjeux environnementaux, notamment la façon dont les organisations relèvent les défis énergétiques. Lorsqu’ils arriveront sur le marché du travail, ces futurs gestionnaires pourraient bien privilégier celles qui font figure de bonnes élèves dans ce domaine.Des arguments de poids

Des pistes de solution

Des pistes de solutionsBien que les investissements en gestion énergétique soient manifestement rentables pour toutes les organisations, celles-ci n’en font pas nécessairement. C’est ce qu’on appelle le paradoxe énergétique : non seulement les entreprises ne créent pas de valeur grâce à une gestion plus efficace de leur consommation d’énergie, mais leur immobilisme fait en sorte qu’elles en perdent! Le problème ? Les changements climatiques sont perçus comme étant trop abstraits, et ce, même si on observe déjà les effets du réchauffement du climat à l’échelle planétaire. Soucieux d’inciter les gestionnaires à monter dans le train du changement, le Pôle e3 les aide donc à élaborer une vision et des objectifs, point de départ de toute démarche en matière de transition énergétique, et leur fournit des outils afin de les mettre en œuvre.

Le postulat de départ est le suivant : il faut placer l’énergie sur un pied d’égalité avec tous les autres enjeux stratégiques auxquels une entreprise doit faire face (ressources humaines, finances, marketing, etc.). Par ailleurs, tous les processus organisationnels – production, planification, etc. – doivent être intégrés dans le scénario de gestion énergétique. En effet, il est impossible d’atteindre son but en fonctionnant en silo : la gestion énergétique et la gestion stratégique doivent nécessairement être arrimées.

Et ce n’est pas tout : lorsqu’on veut inciter les dirigeants d’entreprise à s’en- gager sur la voie du changement, il faut parler leur langage. Ainsi, en modulant le message en fonction du public cible, qu’il s’agisse de la haute direction, du directeur des opérations ou du vice-président aux finances, on se montrera assurément plus convaincant (voir le tableau « Des arguments de poids » ci-contre).

N’oublions pas que les avancées technologiques ne sont rien sans les habiletés de gestion qui doivent servir à les mettre en œuvre. Il s’agit d’éléments complémentaires qui, au final, permettront de favoriser la réduction des émissions de GES.

*Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Grill, journaliste.


Note

1. Langlois-Bertrand, S., Vaillancourt, K., Bahn, O., Beaumier, L., et Mousseau, N., Perspectives énergétiques canadiennes 2018 –Horizon 2050, Institut de l’énergie Trottier et Pôle e3 (document en ligne consulté le 21 décembre 2018), 2018, 150 pages.