Pour construire des ponts et non des murs : le système de gestion Lean
2018-09-27

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2023-10-02
Pour construire des ponts et non des murs : le système de gestion Lean
Management , Stratégie

Article publié en mai 2017
Accélérez vos cycles d'amélioration et optimisez vos opérations en adoptant le système de gestion Lean!
En mars 2017 l’Opéra de Montréal présentait Another Brick in the Wall, un opéra original basé sur l’album d’anthologie The Wall du groupe rock britannique Pink Floyd paru il y a bientôt 40 ans. Cet album a pour thème le mur que le protagoniste principal Pink construit brique par brique autour de lui pour se protéger du monde extérieur.
Malheureusement, ce thème est toujours d’actualité. Au-delà des questions politiques ou géopolitiques, ces murs sont trop souvent présents dans nos organisations. Combien de fois n’entendons-nous pas parler de travail en silos, d’objectifs conflictuels, de blocages divers ou de manque de transparence? Ces murs peuvent, sans le vouloir, être une réponse naturelle à un enjeu de complexité, une façon de découper un processus en plusieurs plus petits morceaux. Afin de tenter d’éviter ce piège, les organisations de santé et de services sociaux du Québec se sont tournées vers la mise en place d’un système intégré de gestion de la performance calquée en grande partie sur le Lean managementdont le système de gestion au quotidien (SGQ) est un sous-ensemble important.
Ce système cherche à faire le pont entre les outils Lean et la culture Lean de manière à canaliser les efforts de tout un chacun et à soutenir l’amélioration continue à long terme. Tous secteurs confondus, dans les organisations où le système de gestion au quotidien a été mis en place, les réunions de courte durée (10-15 minutes) se tiennent tous les jours debout devant des stations visuelles où sont affichés des billets d’amélioration et divers indicateurs de performance. Ainsi, le SGQ rend visibles la performance organisationnelle et les actions de chacun. De plus, l’information circule de façon fluide entre les différents paliers hiérarchiques : de la salle de pilotage stratégique, aux salles tactiques jusqu’aux stations visuelles pour le volet opérationnel. Ce processus de cascades et d’escalades assure la cohérence et l’alignement des efforts de tous et de chacun autour de grandes priorités organisationnelles (lire « Salles de pilotage : un nouveau mode de gestion de la performance »).
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Même si plusieurs reconnaissent les mérites de cette façon de gérer, dans la réalité de nos organisations de santé et de services sociaux, la mise en place d’un tel système de gestion n’est pas une mince tâche. En effet, ce dernier remet en question les habitudes et les comportements de gestion de nombreux cadres et dirigeants. Par exemple, l’animation de ces rencontres quotidiennes demande des habiletés différentes. Comme nous l’avons écrit en 2016 dans un livre portant sur ce sujet, « le doute et l’humilité figurent sans contredit parmi les qualités essentielles à un leader Lean en plus de l’habileté à développer la capacité de tous, dans un esprit d’expérimentation, et à s’attaquer aux obstacles auxquels l’organisation est confrontée.1 » Ce changement de comportement vaut également pour tous (employés, professionnels, médecins, etc.), dans la mesure où chacun doit s’impliquer d’une façon ou d’une autre dans ce système de gestion au quotidien.Toutefois, plutôt que d’être sur le terrain ou sur le gemba2 avec leurs employés, certains gestionnaires moins à l’aise avec ce nouveau modèle préféreront, à l’image du personnage de Pink, s’isoler et construire un mur autour d’eux en se contentant de rester derrière un bureau. C’est la manifestation la plus classique et la plus visible du fossé qui sépare ce nouveau mode de gestion de l’ancien et de l’inconfort qu’il engendre chez certains.
D’autres sortes de murs sont aussi présents. Ces derniers sont construits de façon consciente ou non. Par exemple, j’ai eu la chance d’observer dans certains CISSS ou CIUSSS3 de la province des chefs d’unité (ou leur assistant) animer des rencontres avec leurs employés devant une station visuelle. Selon les meilleures pratiques, ces rencontres devraient être animées tous les jours. Toutefois, dans certaines unités ces rencontres sont animées chaque mois ou tous les deux mois et non chaque semaine ou encore moins chaque jour!
À ce propos, on semble se conforter à l’idée de poser les bons gestes, c’est-à-dire de mesurer les écarts entre la condition actuelle et la condition cible et de dresser la liste des actions à entreprendre afin de réduire ces écarts, etc. La raison invoquée derrière ce choix d’un cycle d’amélioration mensuel ou bimestriel plutôt que quotidien est souvent la difficulté à extraire des données du système d’information ou tout simplement le cycle de mise à jour des indicateurs. Ici, la difficulté d’accès aux données sert de rempart à une plus grande vélocité des cycles d’amélioration par l’entremise des billets d’amélioration ou de katas d’amélioration (lire « Cinq étapes pour mettre en œuvre la méthode Kata dans votre entreprise »). Toutefois, si on y pense, ce mur est en partie le fruit de notre imagination; nous sommes ceux qui remplissent les formulaires ou qui nourrissent les bases de données. Inutile d’attendre un mois pour connaître le nombre de ruptures de stock, d’erreurs de médicaments ou le nombre de chutes de patients si ces évènements malheureux se sont déroulés dans notre unité de soins! Il en est de même de la durée moyenne de séjour, du taux de conformité au lavage des mains ou du délai pour nettoyer une chambre après le départ d’un patient.
Cette soi-disant difficulté à accéder aux données peut également servir d’obstacle à la gestion de la performance à proprement parler. Elle peut cacher une incompréhension des gestionnaires à l’égard des exigences que nécessite le pilotage de leur département par rapport à un exercice de reddition de compte auquel tous sont habitués. Pour gérer au quotidien, nous avons besoin de quelques données souvent bien différentes de celles exigées dans l’entente de gestion ou autres. C’est un exercice difficile, mais combien important pour nos organisations! En conclusion, le système de gestion au quotidien invite à s’attaquer aux obstacles qui nous empêchent d’instaurer l’amélioration continue au quotidien et à détruire ces murs que nous érigeons autour de nous. Il contribue également à éviter l’éparpillement des efforts de chacun. Comme le disait le célèbre physicien Isaac Newton, les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. À nous d’abattre ces murs et de construire des ponts!
1. Landry, S., & Beaulieu, M. (2016). Lean, kata et système de gestion au quotidien. Éditions JFD. (p. 241)
2. Gemba : terme japonais qui désigne l’endroit dans une organisation où la valeur ajoutée est créée, le service, rendu au client, le produit, transformé, etc. Le cadre ou le dirigeant peut faire une marche gemba ou genchi genbutsu, c.-à-d. se rendre sur le terrain ou sur les lieux de production du bien ou du service pour observer les activités qui s’y déroulent, aider et soutenir les employés, reconnaître le travail de tout un chacun et faire du coaching (Landry et Beaulieu, 2016, p. 252).
3. Centre intégré de santé et de services sociaux ou Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux.
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