Crédits photo : Martin Girard

L'ambition première de Guy Cormier? Grandir dans l'entreprise qui lui a donné la chance de s’épanouir dès la fin de ses études en finance. Il a trouvé chez Desjardins des valeurs qui le rejoignent, un sens à son travail, une véritable mission. Il a gravi les échelons jusqu’au sommet, devenant en 2016 le plus jeune président de l'histoire du Mouvement Desjardins. Et il entend redonner du sens à la coopération en contribuant concrètement à son milieu. Portrait d’un homme de terrain, présent et engagé, au service du plus important employeur privé au Québec.

Un parcours sans détour…

Guy Cormier, président du Mouvement DesjardinsEn notre époque d’individualisme à tout crin et de rapide mouvance où plusieurs préfèrent butiner d’une entreprise à l’autre afin de cumuler expérience et avancement, Guy Cormier, lui, s’est solidement enraciné au sein de l’entreprise qui lui a offert son premier emploi. Cette trajectoire en ligne droite qui l’a hissé à la présidence de Desjardins en mars 2016 l’a d’abord amené à sillonner le terrain dix-sept ans durant, à la rencontre de membres, de clients et de nombreux dirigeants d’entreprise.

Diplômé de HEC Montréal en 1991, une période creuse en matière de recherche d’emploi, il obtient un poste de caissier à la Caisse populaire de Saint-Luc, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Dès le départ, il se sent à l’aise dans cette organisation coopérative qui contribue à soutenir des projets dans la communauté, et il éprouve rapidement un vif intérêt pour un programme émergent qui a pour but de former des directeurs de comptes pour les entreprises. « Travailler au financement d’entreprises correspondait à mon désir d’être près des entrepreneurs », raconte Guy Cormier, qui ajoute que très tôt, il rêvait de lancer son entreprise.

« Dès l’âge de 10 ou 12 ans, j’avais ce goût de participer, de créer des choses, de bâtir. À 14 ans, j’étais camelot pour La Presse, emballeur dans un supermarché, et je travaillais dans un club de golf. À 16 ans, j’ai commencé à faire mes premiers investissements boursiers ; c’était intuitif. Je savais que je voulais être dans un environnement comme celui où je suis aujourd’hui », se souvient le grand patron du Mouvement Desjardins.

Après quelques années à la Caisse populaire de Saint-Luc, le jeune homme de 27 ans aspire à davantage. Dans sa mire : diriger une caisse. « Un directeur général de caisse, c’est en quelque sorte un intrapreneur. Il a la latitude de contribuer au développement de son milieu en tant qu’entité certes indépendante mais néanmoins intégrée à un grand mouvement. Mon défi, c’était que la moyenne d’âge des directeurs généraux était de 45 ou 50 ans », précise Guy Cormier en souriant. Après avoir frappé à de nombreuses portes avec, sous le bras, le dossier compilant ses réalisations et ses ambitions, il retourne sur les bancs d’école et décroche un MBA afin de poursuivre son ascension chez Desjardins. « J’avais des confrères qui changeaient d’emploi tous les six mois, qui doublaient quasiment leur salaire et me suggéraient d’aller travailler dans une vraie banque ! Mais ce n’était pas ce que je voulais. Ma décision était prise : je voulais grandir au sein du Mouvement Desjardins. »

… avec, toujours, une longueur d’avance

Les 5 clés du leadership selon Guy CormierEn 2002, à l’âge de 33 ans, Guy Cormier devient le plus jeune directeur général de caisse Desjardins. Soucieux de diversifier son expérience et de renforcer ses compétences, il quitte la stabilité de Saint-Luc pour se joindre à une équipe volante afin de toucher à plusieurs milieux du territoire de Desjardins. « On me disait : “ Pourquoi faire du remplacement alors que tu as un poste permanent?” » Mais Guy Cormier a saisi ce moyen de se construire. « J’ai dû affronter de multiples situations, de Laval à Valleyfield en passant par plusieurs succursales de Montréal, où j’ai occupé des postes de gestionnaire, chaque fois avec une nouvelle équipe. J’étais sans cesse bousculé hors de ma zone de confort », ajoute-t-il.

L’expérience acquise confirme son désir de bâtir des équipes et de mener des projets ensemble. Ce parcours attise une flamme déjà ardente et nourrit son élan de créer, de développer et de mobiliser des gens derrière une idée. « J’ai eu des occasions d’aller travailler ailleurs, peut-être de gagner plus d’argent. Mais j’ai vite compris que Desjardins n’est pas une banque comme les autres. Ce n’est pas une banque, tout simplement. C’est une œuvre qui permet de redonner à la communauté et de faire grandir des gens et leurs milieux. Il y avait une cause, un sens, une finalité. C’est pour cette raison que j’aime cette organisation », insiste Guy Cormier, déterminé à convaincre qui veut l’entendre.

Quelques années après avoir obtenu son premier poste de directeur général d’une caisse, il n’a plus besoin de frapper aux portes : on lui ouvre celles de la direction des caisses d’Outremont, de Mont-Royal et de l’Université de Montréal. Il s’implique activement dans les centres d’affaires qui soutiennent le développement des entreprises, collabore de plus en plus avec la Fédération des caisses Desjardins du Québec et se fait tranquillement remarquer au sein de différents comités de travail. En portant ainsi ses idées, il est bientôt entraîné vers d’autres sphères.

« Que pouvons-nous faire de mieux pour vous ? »

Guy Cormier veut un Mouvement Desjardins humain et branché sur les gens. « Écouter » est un mot d’ordre qu’il incarne consciencieusement. En faisant sa tournée des caisses du réseau Desjardins, il parle avec les employés, les gestionnaires et les membres. Il organise des moments privilégiés d’échange lors de ces visites. « Je dis aux membres : “Parlez-moi de Desjardins. Qu’est-ce qu’on peut faire de mieux pour vous ?” » Plus encore, depuis son arrivée, il a créé une formule innovatrice pour ouvrir bien grand les canaux de communication : tous les trois mois, il donne rendez-vous téléphonique… aux 47 000 employés de Desjardins ! « Au début, on me disait que ce serait très difficile. Mais grâce à la technologie, nous avons réussi : le rendez-vous d’une heure débute par une quinzaine de minutes où je parle aux employés disponibles. Ensuite, c’est un échange de questions. Grâce à leurs commentaires, je comprends mieux leur réalité. J’apprends énormément avec ça », explique le président, qui tient aussi des conférences téléphoniques mensuelles avec son équipe de 1 000 gestionnaires. Toujours proche du terrain et de sa communauté, Guy Cormier.

Son ambition assumée depuis l’adolescence aura consisté à avoir un effet positif et à contribuer à la société, à influencer et à redonner. À 47 ans, Guy Cormier a atteint les sommets de l’organisation qu’il a adoptée. Où pourra-t-il aller ensuite ? « Je vais continuer à servir », déclare-t-il tout simplement.


En route vers la présidence

Ne prenant jamais le temps de se reposer sur ses lauriers, Guy Cormier scrute l’horizon et ne rate pas l’occasion de sauter à pieds joints dans une aventure qui peut le mener droit devant. Ainsi en est-il en 2009 lorsque, à l’arrivée de Monique Leroux, sa prédécesseure, on lui offre la vice-présidence aux finances et la possibilité de se joindre à la Fédération des caisses Desjardins du Québec. Il doit alors quitter le terrain. Il a 39 ans. Il a passé près de deux décennies à rencontrer des gens d’affaires et à contribuer à des projets d’entreprises qui, comme il le dit lui-même, lui ont insufflé une grande énergie. La possibilité d’aller découvrir un ailleurs l’emporte.

Là, dans cet environnement de haute direction où il devient un joueur parmi d’autres au sein d’un grand groupe, où les dynamiques politiques et décisionnelles sont d’un autre ordre et où la rapidité d’exécution change toute la donne, il est désorienté. Pendant quelques mois, du moins. « Les huit ou neuf premiers mois ont exigé une grande capacité d’adaptation de ma part. Avec le recul, je sais que cette période a été la plus formatrice de tout mon développement professionnel. Je suis allé puiser au fond de moi-même des ressources que j’utilise encore aujourd’hui », révèle-t-il, ajoutant avec un clin d’œil qu’il en a déstabilisé plusieurs par la même occasion, lui, le gars de terrain qui apportait un bagage plus terre à terre et des idées qui bousculaient l’ordre établi à la Fédération.

Guy Cormier confie être un des rares dirigeants du Mouvement Desjardins à avoir connu ces deux réalités : amorcer sa carrière et évoluer dans le réseau des caisses, puis franchir la frontière et s’installer dans l’univers organisationnel où on oeuvre au soutien des caisses. Ce passage lui a toutefois permis de connaître les multiples facettes de l’organisation et de renforcer sa crédibilité. Puis, tout se bouscule en peu de temps : à 42 ans, il devient le plus jeune membre du comité de direction de de la Fédération, prenant les rênes des activités liées à Internet et aux centres d’appels avant de se présenter à l’élection pour la présidence. La suite appartient à l’histoire.

Inverser le mode de pensée

Guy Cormier, président du Mouvement DesjardinsAyant pris la barre du Mouvement Desjardins il y a un peu plus d’un an, Guy Cormier a conscience de la lourde responsabilité qui lui incombe aujourd’hui, c’est-à-dire son rôle de protecteur de l’avoir de millions de personnes. « Ces gens comptent sur la bonne gestion que je vais exercer pour assurer leur fonds de retraite, favoriser la croissance de leur entreprise ou les soutenir dans leurs différents projets. Ma responsabilité première, c’est de le faire avec prudence », affirme le grand patron de Desjardins, qui est entouré d’une équipe solide en laquelle il a entièrement confiance... et qui dit dormir par ailleurs très bien.

Une vision à long terme, donc, à très long terme, et à contre-courant des tendances actuelles. Reconnaissant de l’appui qu’il a reçu pour mettre en œuvre sa stratégie, Guy Cormier apprécie d’autant plus le modèle coopératif. « Ici, nous ne sommes pas soumis aux diktats des résultats trimestriels. Je le reconnais : cette exigence vise la performance. Et si, ici comme ailleurs, il importe de gagner de l’argent, chez Desjardins, ce n’est pas l’objectif », énonce-t-il avec une certaine franchise. Et malgré la lancée des Facebook, Amazon et autres Google qui comptent bien tirer profit du secteur des services financiers, y plongeant avec l’audace de leur prospérité, le président de cette grande coopérative qu’est Desjardins n’en est pas ébranlé. « Pour continuer à jouer ce rôle qui nous distingue des banques, il s’agit d’inverser notre mode de pensée. La finalité des banques, c’est de gagner de l’argent, et le moyen qu’elles ont trouvé pour le faire, c’est de servir des clients. Chez Desjardins, notre finalité, c’est de servir nos membres, et le moyen que nous avons trouvé, c’est de gagner de l’argent. » Tout est dit.

Selon Guy Cormier, une fois cet angle d’attaque bien intégré dans un but de contribution, mobiliser 47 000 employés au Canada en leur insufflant un sentiment de fierté suscité par le sens véritable de leur travail s’arrime avec fluidité aux aspirations d’une société qui s’interroge sur les répercussions des dernières décennies de capitalisme financier et de mondialisation effrénée.

Toujours selon les dires du président de Desjardins, mis à part des gains indéniables, les gens ressentent une perte de contrôle quant à la rapidité et à l’évolution du modèle économique et financier actuel. Ils sont donc à la recherche d’entreprises plus inclusives, ancrées dans des valeurs humaines. « On parle beaucoup d’entreprises comme Uber, pour ne citer que cet exemple, qui incarnerait l’économie de partage mais qui bafoue pourtant les règles fiscales et gouvernementales, ou d’autres entreprises de ce type, qui encadrent peu leurs employés et qui diffusent des profits on ne sait où dans le monde. Pourtant, avec son modèle coopératif qui respecte des valeurs d’entraide et de solidarité, qui favorise le développement des communautés, Alphonse Desjardins a certainement été un des fondateurs de l’économie de partage. »

Oui, Guy Cormier s’enflamme lorsqu’il défend le Mouvement Desjardins, la pertinence de son modèle coopératif et la force de son ancrage dans la communauté. « Il y a un sens derrière chacune de nos actions : celui de contribuer, de redonner, d’agir concrètement dans notre milieu. »

Plus qu’un travail : une cause

Guy Cormier, président du Mouvement DesjardinsD’une autre manière qui s’accorde avec son rôle actuel, Guy Cormier continue de sillonner le terrain. Tout au long de l’autoroute 20, seul en voiture, se déplaçant dans le vaste territoire de l’entreprise qu’il dirige, il réfléchit. Un président doit réfléchir, insiste-t-il. Dans cette zone tranquille où il laisse le calme l’envahir, il revient au sens initial, celui qui le porte depuis ses débuts. « Notre civilisation connaît une période de bruit, de rapidité, de chaos. Il importe de ramener de la cohérence dans nos entreprises. Pour traverser ces turbulences, je veux que Desjardins garde le cap sur sa mission avec force et cohérence, d’autant plus que c’est en symbiose avec les besoins actuels de la société. »

Des besoins d’humanisme, précise le grand patron. « Dans cette société si individualiste, dit-il, vous avez l’occasion de placer votre argent dans une entreprise qui vous donne peut-être 1,8 % de rendement au lieu de 2,1 % mais qui remettra, bon an mal an, de 200 à 250 millions de dollars dans l’économie du Québec, dans les poches des Québécois et dans les communautés, qu’il s’agisse d’une cour d’école rénovée, d’un nouveau terrain de soccer ou d’un aréna financé par Desjardins ou encore d’un projet de soutien aux plus démunis. » Voilà qui, selon lui, donne du sens au travail des employés de Desjardins. Voilà une entreprise responsable axée sur le développement durable. Voilà le message que le président du Mouvement Desjardins veut transmettre à la population.

Guy Cormier ne ménage d’ailleurs pas ses énergies lorsqu’il s’agit d’implication sociale. On le voit ainsi présider diverses activités, notamment la Semaine des régions, au début de l’année, alors que le programme « Place aux jeunes en région » (PAJR) et le Mouvement Desjardins annonçaient un partenariat. Il appuie avec conviction les jeunes entrepreneurs, non seulement au moyen du programme « Créavenir », destiné aux personnes âgées de 18 à 35 ans qui sont à la recherche de financement, mais aussi d’une manière très personnelle, dans le cadre du programme « J’adopte » où, en tant que mentor, il offre son expertise et son soutien à Jean-Philippe Carmona afin de l’aider à peaufiner la stratégie de développement de son entreprise, Caboma. Récemment, Guy Cormier a passé une soirée à l’organisme Allô prof, là encore motivé par le désir d’agir concrètement dans sa communauté. « J’ai fait de l’écoute téléphonique avec les enseignants qui, soir après soir, répondent aux questions des jeunes dans tout le Québec. Nous soutenons financièrement cet organisme et je voulais voir ce qui s’y fait », déclare-t-il. Autant de manières de participer, de bâtir. Autant de façons d’humaniser davantage le Mouvement Desjardins.

Tracer la voie

Cette préoccupation d’interpeller la relève, de s’intéresser aux jeunes, s’enracine d’abord dans le fait d’être le plus jeune président de cette entreprise centenaire. « Il y a peu de présidents d’institution financière de 46 ans. Les gens ont des attentes à mon égard. On sous-entend : “M. Cormier, vous incarnez quelque chose, sachez tracer la voie” », confie le grand patron, sensible aux jeunes talents qu’il voit évoluer, tant au Mouvement Desjardins qu’ailleurs au Québec.

Le Mouvement Desjardins en quelques chiffres

« Notre société traverse une grande étape : les baby-boomers prennent leur retraite, on constate une inversion dans la pyramide populationnelle. Je suis profondément convaincu que si nous ne faisons pas rapidement de la place pour les jeunes, entre autres en transférant nos connaissances, nous serons tous bientôt en mauvaise posture. Je considère que nous n’avons pas les moyens, comme société, de perdre un seul jeune », s’exclame Guy Cormier, toujours à l’affût de pistes susceptibles d’encourager la relève. Il a ainsi annoncé, en novembre dernier, la création du Comité aviseur jeunesse relevant directement du bureau du président et qui pourra entre autres soumettre sa vision sur le virage numérique qu’entend prendre le Mouvement Desjardins.

Alors qu’il scande les quatre mots clés qui fondent les objectifs stratégiques qu’il s’est fixés avec son équipe – rendre Desjardins encore plus humain, plus moderne, plus performant et plus simple –, Guy Cormier sait qu’il doit être à l’écoute des jeunes et des membres. « Nous observons une baisse annuelle de 10 % du nombre de transactions par guichet automatique. Est-ce que je dis que Desjardins supprimera les guichets automatiques ? La réponse est non. Dans dix ans, il restera des guichets automatiques au Québec, au Canada, dans le monde. Combien en restera-t-il et à quels endroits ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que le Mouvement Desjardins se sera adapté. » En effet, Guy Cormier entend garder cette entreprise centenaire bien vivante et plus pertinente que jamais.

Article publié dans l'édition été 2017 de Gestion