Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion

Il a toujours su qu’il désirait être son propre patron. La liberté d’agir, l’ambition et une audace à toute épreuve ont conduit François-Xavier Souvay à fonder en 2006 Lumenpulse, une entreprise d’éclairage pour les environnements commerciaux, institutionnels et urbains. À Longueuil, en banlieue sud de Montréal, la lumière naturelle inonde les locaux du siège social de cette firme dont la croissance des dernières années est plus qu’enviable.

À l’âge de 14 ans, avec des camarades, François-Xavier crée sa première entreprise, offrant ses services d’entretien paysager aux voisins du quartier. Fonceur et indépendant, l’adolescent ne craint pas l’inconnu. Curieux et avide d’apprendre, il se documente pour fleurir les jardins de ses clients. Quelques années plus tard, à l’aube de la vingtaine, il quitte les bancs de HEC Montréal, où il étudie, avant l’obtention de son diplôme. Le taux de chômage de 14 % qui sévit au Québec au début des années 1990 assombrit les perspectives d’avenir de la relève, ce qui pousse ce tempérament actif vers d’autres avenues.


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Sollicité à 23 ans par Éclairage Z, une entreprise en démarrage, pour développer le marché américain, François-Xavier se lance dans l’aventure avec fougue, sans savoir qu’il s’apprête à tracer définitivement sa voie.

L’homme qui avançait sans perdre pied

Le groupe Lumenpulse

Création - Fondé en 2006 par François-Xavier Souvay, le Groupe Lumenpulse, dont le siège social se trouve à Longueuil, emploie plus de 1 000 personnes dans le monde.

Expansion - L’entreprise a ouvert des bureaux à Londres en 2011 (déménagés à Manchester en 2019) puis à Paris en 2015. Aujourd’hui, Lumenpulse approvisionne 50 pays à partir de ses huit bureaux internationaux (Longueuil, Vancouver, Chicago, Boston, Manchester, Paris, Florence, Hong Kong).

Innovation - À ce jour, Lumenpulse détient plus de 130 brevets accordés et compte plus de 50 brevets en instance.

Implication - Active dans sa communauté, l’entreprise offre un soutien annuel à plusieurs organismes principalement voués au développement des jeunes, notamment ceux-ci : Make-A-Wish Québec, la Fondation CHU Sainte-Justine, la Fondation du Centre jeunesse de Montréal, les Jeunes musiciens du monde et la Fondation Jeunes en tête.

À l’époque, le jeune étudiant donne un coup de main à son père, un designer d’éclairage et d’architecture d’origine parisienne, qui a obtenu le mandat d’illuminer le célèbre gratte-ciel montréalais du 1000, rue de La Gauchetière, alors en construction. C’est sur ce chantier que le jeune homme rencontre le fondateur d’Éclairage Z.

Si les ressources financières de l’entreprise sont limitées, François-Xavier Souvay comprend d’emblée les possibilités de croissance de cette jeune entreprise. « Je suis entré le premier jour sans même avoir discuté de mon salaire. Ce qui m’importait, c’était de savoir comment devenir actionnaire ! J’avais confiance en moi, je savais que je pouvais obtenir des résultats qui m’aideraient à négocier ce que je voulais », raconte l’entrepreneur.

Il confie du même souffle que cette foi en lui-même est l’héritage le plus précieux que ses parents lui aient légué : très tôt, en effet, ils lui ont permis de croire qu’il avait la capacité de réussir tout ce qu’il désirait, peu importe le chemin choisi.

Une force inestimable pour un entrepreneur

Le jeune homme consacre donc toute son énergie au développement d’Éclairage Z et sillonne le vaste territoire américain, un parcours initiatique au cours duquel il en vient à comprendre tous les rouages du domaine de l’éclairage. Toutefois, l’entreprise est vendue peu de temps après et les repreneurs lui offrent la responsabilité des ventes nationales aux États-Unis. Mais François-Xavier refuse : il n’a jamais eu pour objectif de travailler pour d’autres.

Cet épisode révèle déjà son sens aigu des affaires. Prévoyant, l’entrepreneur avait négocié une entente en cas de vente ; il ressort donc de la transaction avec un profit conséquent.

Prenant du recul afin de sauter encore plus loin, il opte pour la consultation dans le domaine de l’éclairage jusqu’à ce qu’il acquière Luxtec en 1999, un distributeur dont il est déjà représentant. Il développe cette entreprise de manière à en faire un lieu d’innovation en matière de design et de conception de produits industriels.

Sept ans plus tard, François-Xavier Souvay fonde Lumenpulse. Avec, au départ, seulement cinq employés, la jeune société s’impose rapidement sur le marché en proposant des solutions d’éclairage architectural basées sur la technologie DEL (diodes électroluminescentes).

Aujourd’hui, le Groupe Lumenpulse compte un total de plus de 1 000 employés et approvisionne une cinquantaine de pays grâce à ses huit bureaux internationaux. Il détient plus de 130 brevets et a élaboré plusieurs dizaines de produits auxquels on a eu recours pour illuminer des édifices et des ouvrages d’envergure, dont le Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg, le pont Riverside à Toronto et le Cincinnati City Hall.

Approchant aujourd’hui de la cinquantaine sans avoir jamais craint de prendre des risques ni de travailler avec acharnement, François-Xavier confie avoir enfin trouvé une agréable stabilité. « Construire une entreprise, c’est être en déséquilibre total. Tu y investis toute ton énergie. Se mettre au défi, sans relâche, c’est la seule manière d’avancer et de construire. Il s’agit non pas de se placer en situation de déséquilibre au point de tomber mais de le faire suffisamment pour trouver des solutions novatrices, un jour après l’autre. »

Ténacité, rigueur et naïveté

Si la réussite de François-Xavier Souvay semble tenir du conte de fées, elle n’aurait jamais été possible sans la détermination inébranlable de l’entrepreneur. Fils d’immigrants, il se souvient que sa sœur et lui-même s’exerçaient à l’accent québécois afin de faire oublier leur prononciation étrangère. Au-delà du désir de se faire accepter, c’est aussi durant l’enfance qu’il acquiert son goût du défi : il comprend que, grâce à la ténacité et à la volonté, il est possible de réussir dans n’importe quel pays, peu importe les conditions.

François-Xavier raconte avec verve l’influence de sa mère, une musicienne qui avait fait carrière comme chanteuse avant de devenir femme d’affaires. Cette Italienne d’origine, arrivée au Québec dans les années 1960 après avoir étudié en lettres et en musique à Paris, a une conception de la vie pour le moins structurée, voire quasi militaire. « Le samedi matin, elle nous réveillait à 7 h pour que nous fassions le ménage. À 12 ans, je savais préparer le repas pour tout le monde. Mes enfants n’ont pas connu ça ! C’était une artiste rigoureuse et une femme extrêmement fonceuse qui nous a transmis cet esprit », témoigne-t-il, reconnaissant de cet héritage.

Avec un tel bagage, peut-on s’étonner d’entendre l’homme d’affaires se décrire comme un optimiste qui n’a jamais songé à abandonner ?


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Il voit d’ailleurs l’échec comme un apprentissage, pas du tout comme une finalité, la seule finalité possible étant le succès. « Ne jamais cesser d’essayer et s’arranger pour ne pas répéter les mêmes erreurs, sinon on n’a rien appris », clame l’entrepreneur, qui ne connaît pas le regret et affirme n’avoir subi aucun échec qui lui ait vraiment fait mal. « Regretter est une perte d’énergie. Évidemment, si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, il y a des millions de choses que j’aurais faites différemment. Connaissant la route, avancer aurait été beaucoup plus rapide », admet en riant le grand patron de Lumenpulse.

À 23 ans, lorsqu’il est parti à la conquête du marché américain pour développer le marché d’une petite entreprise, le jeune homme qu’il était a fait son chemin malgré son anglais médiocre, trouvant des manières de se faire comprendre, par exemple en mimant le sens des mots, habité par l’audace et par la candeur. Selon François-Xavier Souvay, vouloir devenir entrepreneur, c’est être habité d’une grande naïveté.

Une culture du partage

Les 5 clés du leadership selon François-Xavier Souvay

1 - Communiquer la vision globale avec clarté.

2 - Mobiliser ses troupes en accordant à chacun l’entière responsabilité de l’exécution des projets qui lui sont confiés.

3 - Créer une culture d’échange et de transfert des connaissances pour que l’entreprise demeure agile.
4 - Développer les talents et planifier la succession à tous les postes clés.
5 - Mesurer l’atteinte des objectifs de la planification stratégique.

Cette philosophie qui laisse place à l’erreur s’appuie essentiellement sur la responsabilisation des individus. « Quand c’est toi qui décides, tu ne peux pas te défiler », explique simplement l’homme d’affaires, qui ajoute néanmoins que le plus difficile consiste à enraciner ce sens de l’autonomie dans ses équipes. « On rencontre moins de résistance que d’hésitation. En général, les gens sont motivés par le fait de prendre des décisions, mais ils peuvent également éprouver une certaine réticence, de peur de devoir subir les conséquences d’une mauvaise décision. Heureusement, lorsqu’ils connaissent des succès, ça devient contagieux. »

François-Xavier Souvay, qui a longuement réfléchi à la manière d’insuffler à ses employés cet esprit entrepreneurial, souligne qu’il est crucial de bannir le style de gestion directif.

« Pour responsabiliser quelqu’un, je lui dis : “Tu as le pouvoir de décider de tel projet, alors c’est toi qui conçois le plan, qui l’exécutes, qui le mènes à terme et qui bénéficies des résultats. Je ne vais pas te donner les solutions !” Je suis là pour guider, pour soutenir la réflexion. » Un processus parfois périlleux mais gagnant à long terme pour la personne et pour l’entreprise, ce qui exige toutefois l’adoption de certaines pratiques de gestion bien précises.

Ainsi, chez Lumenpulse, le mentorat interdépartemental a été mis sur pied dans le but d’accroître la confiance des troupes et de favoriser leur compréhension de l’organisation dans son ensemble. Le jumelage entre un jeune cadre et un gestionnaire d’un autre service constitue une approche ouverte qui permet à la fois de mieux comprendre ce qui se passe dans toute l’entreprise et d’explorer d’autres possibilités d’avancement.

« Notre programme de mentorat est une excellente manière de s’enrichir d’un point de vue externe. Le jeune cadre fera mieux son travail en profitant d’un brassage d’idées, d’un point de vue différent, et pourra même consolider sa relation avec son supérieur. »

En plus de tisser des liens et de décloisonner les diverses activités de l’organisation, ce maillage s’inscrit dans une culture de partage et de transfert des connaissances, souligne le chef d’entreprise. « Nous avons structuré notre firme de façon à inciter tous les départements à s’offrir de la formation entre eux. Ainsi, on organise régulièrement des dîners-présentations au cours desquels, par exemple, l’équipe des finances peut expliquer son travail aux collègues du design. Il y a plusieurs avantages à ce que les employés comprennent le rôle de chaque service : une meilleure cohésion dans l’entreprise, évidemment, ainsi que la création de possibilités de développement et de croissance pour les individus, qui peuvent évoluer dans des sphères qu’ils n’auraient peut-être pas imaginé explorer. »

François-Xavier Souvay désire en outre que ce partage du savoir se transmette à tous les partenaires de Lumenpulse. Pour ce faire, l’entreprise propose plusieurs formations à sa clientèle afin qu’elle se familiarise avec ses produits et avec ses projets de recherche. « Mieux nos collaborateurs comprendront notre démarche, meilleures seront leurs décisions d’affaires. Dans le même ordre d’idées, si nous constatons qu’un fournisseur a l’occasion de croître sans trop de risques, nous lui soumettons des suggestions pour se diversifier. Par ailleurs, si nous apprenons l’existence d’un savoir-faire qui nous intéresse, nous posons des questions ! » Partager sans crainte, soutenir et favoriser la progression de chacun : tout le monde y gagne.

« Certains employeurs protègent jalousement leurs informations, de peur que leurs employés partent avec ces connaissances. Je préfère enseigner, former les meilleurs employés possibles et créer un climat pour qu’ils restent. Mais s’ils s’en vont, peu importe la raison, eh bien, c’est la vie ! »

Le leader à l’écoute

Le fait qu’il évoque avec un certain flegme le départ potentiel d’employés ne signifie pas que François-Xavier Souvay ne s’en préoccupe pas. Bien au contraire. Pragmatique, ancré dans la réalité quotidienne de son entreprise, conscient du contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, l’homme d’affaires est soucieux de créer un environnement où son personnel puisse s’accomplir et évoluer.

« Voilà pourquoi il importe d’impliquer les employés dans le processus décisionnel de l’entreprise, de leur faire confiance et de leur offrir l’occasion de s’approprier des projets à l’interne : plus les gens sentent que leur travail a des effets concrets, moins ils ont envie de partir. La mobilisation des ressources humaines est un facteur clé de réussite dans un environnement hautement compétitif », explique-t-il.

Par ailleurs, le chef d’entreprise est convaincu qu’un employé qui annonce son départ quitte un mauvais patron plutôt qu’une entreprise. Et, sur ce point, l’écoute prime : « Prêter attention aux gens. Comprendre. Communiquer. » Voilà les mots d’ordre qui devraient définir la conduite d’un leader, selon François-Xavier Souvay. C’est une des raisons pour lesquelles il s’investit dans un groupe d’entreprises : il souhaite saisir toutes les occasions d’échanger avec des dirigeants.

« Sans que je doive m’impliquer activement, ces rencontres m’apportent des perspectives différentes par rapport à Lumenpulse. En observant le fonctionnement d’autres entreprises, je reste à l’affût de manières de penser différentes qui font évoluer non seulement ma réflexion stratégique mais aussi ma compréhension de l’être humain. Gérer une entreprise, c’est avant tout mobiliser les gens vers un objectif commun. Et, pour les mobiliser, il faut les comprendre. C’est toujours là que le bât blesse », souligne l’entrepreneur.

Voilà, au fond, à quoi se résume le leadership : mobiliser ses troupes, inspirer les gens et leur donner le goût de suivre le chef, qui sera d’autant plus crédible s’il incarne ce qu’il prêche.

« Mais surtout, le leadership prend sa force dans le pouvoir donné aux autres. C’est une compétence véritablement axée sur le transfert de responsabilités », renchérit le grand patron de Lumenpulse, qui fait une courte pause avant de reprendre, sans rien perdre de son enthousiasme : « Je suis constamment entrain de réfléchir, de m’interroger : sommes-nous encore pertinents ? Avons-nous la bonne compréhension de notre écosystème d’affaires ? Comprenons-nous bien la direction à suivre ? »

François-Xavier Souvay ne tient jamais rien pour acquis. Devenir complaisant, c’est ne plus être en alerte, prévient-il. « Entre vous et moi, lorsque je savoure une victoire, c’est davantage pour mon équipe, parce qu’en tant que leader, je dois passer rapidement à la prochaine étape. »

Lumière sur l’avenir

Entièrement habité par le développement de Lumenpulse, François-Xavier Souvay planifie et orchestre minutieusement la croissance de son entreprise, qui suit une courbe remarquable depuis ses débuts. Pourquoi se satisfaire d’une performance tout juste convenable, demande l’homme d’affaires, lui qui vise le milliard de dollars en revenus annuels pour son entreprise ?

« Dans un marché mondial de l’éclairage de 120 milliards de dollars où la valeur de notre segment d’activité est évaluée à 50 milliards, il nous suffit d’occuper 2 % de notre créneau. »

La cible est claire. Après s’être rapidement imposé comme chef de file dans son domaine, l’ambitieux entrepreneur a mené une première ronde d’acquisitions, soutenue par un appel public à l’épargne en 2014.

Cette démarche lui a permis de ramifier les activités de Lumenpulse. « L’objectif consiste non pas à consolider un marché à tout prix mais à soutenir la croissance et à diversifier le groupe. Si une acquisition le permet, nous y allons. Mais s’il n’y a pas d’actif qui corresponde à notre vision, nous structurons une nouvelle entité à l’interne. Nous sommes organiques et agiles » , souligne François-Xavier Souvay, qui a été nommé entrepreneur de l’année EY au Québec en 2015.


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« La difficulté éprouvée par de nombreuses entreprises en croissance, c’est qu’elles comprennent mal leurs propres cycles de roulement. Les budgets doivent correspondre à une planification stratégique détaillée : il faut réfléchir aux dépenses en calculant les risques, comprendre ses forces, ses faiblesses, les possibilités et les risques. Cet exercice, nous nous l’imposons deux fois par année en l’ajustant aux environnements interne et externe », précise le grand patron de Lumenpulse.

Il ajoute que la flexibilité et l’objectivité guident à la fois la planification et la mise en œuvre : « Il faut avoir un bon plan, certes, mais il ne faut surtout pas s’en amouracher ! »

En 2017, en partenariat avec Power Corporation, François-Xavier Souvay a décidé de privatiser Lumenpulse après trois années en Bourse. Il souhaitait ainsi se concentrer sur l’excellence financière et opérationnelle de son entreprise.

La même année, l’équipe a inauguré son nouveau siège social, un bâtiment LEED1, dont l’architecture reflète la philosophie de François-Xavier Souvay : il s’agit d’un lieu propice à l’apprentissage et au transfert de connaissances, où les multiples espaces communs invitent aux rencontres spontanées. « C’est un peu ironique pour une compagnie d’éclairage : l’édifice maximise l’apport de lumière naturelle avec des puits de lumière et des bandeaux verticaux non seulement dans les bureaux mais aussi dans l’usine, qui ouvre sur la verdure à l’extérieur. Et le cœur de l’immeuble héberge le centre de formation, symboliquement représenté par un prisme qui dévie les rayons lumineux vers le savoir. »


Note

1 LEED : Leadership in Energy and Environmental Design.