Entre Lightspeed, une entreprise à la croissance fulgurante qui commercialise des solutions informatiques pour les détaillants et pour les restaurateurs, et l’OBNL Never Apart, que son fondateur définit comme un agent de changement au moyen de la culture, Dax Dasilva ne craint nullement la dualité entre l’homme et la machine. Fort d’une confiance inébranlable en l’être humain, l’homme d’affaires porte ces deux immenses projets  avec la foi d’un missionnaire des temps modernes qui compte bien participer à la construction d’un monde meilleur.

Le futur grand patron de lightspeed est très jeune lorsque son père rapporte un ordinateur Macintosh à la maison, une de ces versions de l’époque où il fallait être doué pour la programmation si on souhaitait percer les mystères de cette boîte du futur. Porté par un élan de fascination, le jeune Dax entre par cette porte ouverte sur son destin.

Le duo machine-humain

À 12 ans, il reçoit son propre Mac et, un an plus tard, il explore déjà la conception de logiciels pour une entreprise dans ce domaine. « J’étais obsédé par apple1 », s’exclame Dax DaSilva de sa voix profonde, racontant du même souffle qu’enfant, ce premier de classe adorait peindre et dessiner, stimulé autant par la connaissance que par la création. « Mac a toujours su créer une symbiose entre l’art et la technologie. C’est un univers visuel, graphique. J’étais entièrement captivé par cette interface conviviale. »

À 15 ans, jeune programmeur talentueux, il offre ses services à un concessionnaire de produits Apple. « Je faisais deux choses : je créais des logiciels pour de grandes compagnies et j’offrais de l’assistance technique, parce que j’aimais entrer en contact avec les gens et résoudre des problèmes », se rappelle le fondateur de Lightspeed. Après un bref passage en informatique à l’université de la Colombie-Britannique, il prend une année de réflexion sur son avenir. « J’ai appris sur moi-même : je me suis rendu compte que je n’étais pas un informaticien. C’est l’aspect créatif de la conception qui m’animait, j’étais particulièrement inspiré par ces designers de logiciels qui savent infuser de l’humanité à la technologie », se rappelle-t-il.

Il poursuit cette quête de soi en retournant à l’université étudier l’histoire de l’art et des religions, « parce que c’est ce qui fait battre mon cœur, et aussi parce que je voulais comprendre comment la culture et la religion nous transforment, comment elles font de nous ce que nous sommes comme êtres humains », explique-t-il.

Dax Dasilva, qui s’est converti au judaïsme à cette époque. selon l’homme d’affaires, l’étude de l’art, des cultures, de la philosophie et de toutes les sciences humaines prépare les jeunes à devenir à la fois de meilleurs collaborateurs en entreprise et de meilleurs citoyens, car elle permet de forger des esprits critiques : « Grâce aux outils qu’elles créent en mettant en relief les multiples facettes de la complexité humaine, elles façonnent la capacité de se réinventer continuellement. »

Lightspeed en quelques chiffres

Le terreau fertile de la diversité

Dax Dasilva, qui est né et a grandi à Vancouver, jouit d’un riche héritage marqué par la diversité culturelle. Il a des grands-parents originaires de Goa, une ancienne colonie portugaise de l’ouest de l’inde, qui ont émigré en Ouganda, où ses parents sont nés. « Mes parents ont ensuite quitté l’Afrique dans la jeune vingtaine : le dictateur de l’ouganda à l’époque [Idi Amin Dada] les avait contraints à s’exiler. Ils ont été accueillis au Canada en tant que réfugiés. » Le couple, qui hésitait entre Montréal et Toronto, rejoint finalement un oncle à Vancouver, s’y installe et fonde une famille. Grâce à son expérience de journaliste, le père Dasilva fera carrière en tant que directeur des communications.

Quant à lui, Dax Dasilva visite Montréal pour la première fois en 1998 dans la vingtaine. « Je suis tombé amoureux de l’endroit et de sa culture », se souvient-il, une lueur dans le regard, alors qu’il est assis à son bureau de la gare Viger où une grande fenêtre donne sur le centre-ville de la métropole. Selon l’homme d’affaires, Montréal incarne l’effervescence culturelle ; ville de possibilités et d’ouverture, elle offre en outre une qualité de vie enviable. Le choix s’impose de lui-même lorsqu’il décide de quitter Vancouver avec une bande de copains.

L’incubation de Lightspeed sera pourtant un processus de création solitaire. Pendant deux ans, le jeune entrepreneur consacre ses journées à mieux comprendre ses clients et ses nuits à programmer. « J’avais créé un logiciel pour un concessionnaire d’Apple qui permettait d’intégrer l’inventaire de ses magasins. À la fin de mon dernier projet, je me suis rendu compte que plusieurs types de détaillants avaient des besoins similaires auxquels aucun produit ne correspondait. » Il peaufine sans relâche sa création. Le résultat, une application bien moins complexe que ce qu’offre Lightspeed de nos jours, propose des outils aux détaillants qui souhaitent mieux gérer et développer leur commerce.

Officiellement fondée en 2005, Lightspeed connaîtra une croissance fulgurante. Treize ans plus tard, elle poursuit son expansion par- tout dans le monde, à la conquête de ces marchands qui dessinent le paysage commercial d’aujourd’hui et de demain.

Au-delà des frontières

Aujourd’hui établie au Canada, aux États-unis, en Europe et en Australie avec huit bureaux et 600 employés, en majorité des milléniaux pro- venant d’horizons culturels divers – le grand patron le souligne avec ferté –, Lightspeed sert 50 000 commerces dans plus de 100 pays.Les 5 clés du leadership selon Dax Dasilva

La raison d’une telle croissance ? Certainement une capacité d’écoute peu commune qui per- met de comprendre les besoins des clients et d’y répondre. Mais Dax Dasilva mise beaucoup sur le pouvoir de la diversité, grâce auquel « nous pouvons élaborer de meilleures solutions lorsqu’il y a davantage de points de vue qui multiplient les possibilités ». Une telle approche, on s’en doute, peut toutefois susciter des tensions. « C’est un défi que nous devons surmonter afin de tirer bénéfice de cette pluralité. »

D’ailleurs, lorsqu’il sent que son équipe est vraiment sur la même longueur d’onde, le patron de Lightspeed éprouve une grande satisfaction. « C’est à ce moment-là, lorsque tout le monde avance dans une direction commune, que chacun donne le meilleur de soi et que ça se traduit par quelque chose d’extraordinaire pour l’entre- prise. » aussi grisant que complexe !

Dax Dasilva enchaîne avec une expérience concrète : la création du projet Omni Channel, qui a toutefois été particulièrement laborieuse. « Rien de tel n’avait jamais été tenté auparavant. Il s’agissait d’inventer un système devant per- mettre de gérer simultanément un commerce de détail et un commerce en ligne », raconte l’entrepreneur, qui a décidé de combiner deux produits déjà existants pour en créer un seul, innovateur et plus performant. « Cela a exigé des mois de discussions et un énorme travail de coordination entre deux équipes qui planchaient sur des produits distincts afin de trouver une manière d’unir leurs forces et leurs produits pour offrir aux clients une expérience intégrée vraiment utile. »

En dépit de décisions difficiles à prendre, cette aventure a ouvert de nouvelles avenues qui ont entraîné Lightspeed vers une croissance qui ne semble pas s’essouffler. Le grand patron parle tout de même d’un équilibre délicat entre le développement harmonieux de ses employés et l’expansion soutenue de son entreprise. « Je dois sans arrêt réinventer mon rôle pour suivre l’évolution de Lightspeed. J’ai donc pour tâche de déléguer davantage tout en maintenant un chaos organisé. Il faut savoir s’adapter rapidement. Les gens qui travaillent ici doivent être à l’aise avec ce mouvement. »

À l’évidence, Dax Dasilva n’a pas l’intention de freiner quoi que ce soit. « Nous avons 50 000 clients, mais il y a littéralement des millions de commerces de détail et de restaurants qui peuvent utiliser nos logiciels. Jusqu’à maintenant, nous avons à peine frôlé la surface de cet incroyable potentiel. »

Au service du commerce de détail

Bureaux de Lightspeed

Lightspeed, dont le siège social est situé dans édifice patrimonial de Montréal, fournit aux petits commerçants des outils technologiques pour rivaliser avec des géants comme Amazon. Elle sert aujourd'hui 50 000 entreprises dans plus de 100 pays.

Le fondateur de Lightspeed a raison de se fier à ses ambitions de croissance. Ses clients sont satisfaits. « Ils voient en moyenne une augmentation de 20 % de leurs ventes après une première année d’utilisation des solutions Lightspeed. » la mission que s’est donnée Lightspeed depuis ses débuts permet aux petites boîtes indépendantes et aux entrepreneurs des secteurs du détail et de la restauration de tirer profit des mêmes avantages technologiques que les gros joueurs. « Les outils que nous créons donnent les moyens à ces petites entreprises de rivaliser à armes égales avec les Amazon de ce monde. » plus encore, ajoute Dax Dasilva, ses clients, affranchis des défis techniques essentiels au roulement d’un commerce, peuvent se concentrer sur ce qu’ils font de mieux et miser sur une entreprise plus humaine, à l’instar de Lightspeed. « Si vous avez une plateforme performante qui s’occupe de la logistique des commandes, de la production, de l’inventaire ou du commerce en ligne, si vous avez un système d’intelligence artificielle qui permet de personnaliser votre commerce, alors vous pouvez vous consacrer entièrement à vos clients, utiliser vos ressources pour peaufiner votre produit et déployer votre véritable potentiel. »


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Intarissable, l’homme d’affaires souligne les attentes d’un macrocosme commercial mondial qui n’existait pas il y a une décennie ou deux à peine : « Plus il y a d’aspects à développer pour une entreprise, mieux nous pouvons la soutenir avec notre technologie. Ces entrepreneurs peuvent alors en faire plus avec moins d’efforts et mener leurs projets encore plus loin. Je crois que les entreprises indépendantes qui adoptent les bonnes solutions technologiques se donnent les moyens de devenir les chaînes de magasins de l’avenir. »

La création d’agents de changement

Dax Dasilva / Crédits : Martin GirardPour autant, ce succès n’a rien de miraculeux. En tant qu’entrepreneur porteur de sa propre expérience, Dax Dasilva sait très bien que si les gratifications peuvent être considérables, le fardeau est largement sous-estimé par plusieurs. « Chaque jour, dix choses fonctionnent mal pour deux qui vont bien ! Et tous ces problèmes peuvent survenir en même temps », admet-il en riant. « En tant que leader, on doit faire rssortir l’aspect positif de chaque situation, être fort pour son équipe lors des moments difficiles. Il n’y a aucune journée où je peux me dire que tout est parfait : il y a constamment des défis », insiste-t-il.

Qui aurait pu prédire que ce garçon solitaire qui se baladait dans la cour d’école en rêvassant et en explorant le dédale de son imagination fertile deviendrait un leader doté d’un bon sens aussi solide ? « J’avais de bons amis et j’étais bien intégré dans cette école catholique pour garçons, mais je suivais ma propre trajectoire. Je passais beaucoup de temps à dessiner, j’étais premier de classe, j’étais respecté. » Un leader silencieux qui jouait déjà un rôle d’influence grâce à ce qu’il incarnait. Aujourd’hui, consciemment, le dirigeant considère de son devoir de créer du sens pour les gens qu’il côtoie en étant un modèle et en personnifiant un code de valeurs longuement mûri. « J’ai en quelque sorte pour mission personnelle de soutenir le développement d’autres leaders dans mon organisation, chez les entrepreneurs et dans la communauté culturelle, des leaders qui pourront à leur tour agir et transformer la société pour le mieux. » Lui-même s’est profondément inspiré de ses parents, dont il était très proche et qu’il décrit comme les êtres les plus spirituels et les plus engagés qu’il ait côtoyés. Impliqués dans leur communauté de plusieurs façons, notamment auprès des sans-abri de quartiers particulièrement défavorisés et de personnes atteintes du sida en inde, ils incarnaient une force bienveillante et agissaient selon leurs convictions profondes.


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Dax Dasilva a clairement saisi une chose essentielle : les gens sont en quête de sens. « Il s’agit certainement d’une période où il est difficile de croire en l’être humain. Tout ce progrès technologique entraîne aussi son lot de destruction. Mais si on n’aspire pas à mieux, si on perd tout espoir, alors il ne reste plus rien. Apprenons plutôt à nous servir de ces nouveaux outils, développons une conscience globale afin d’aborder les problèmes sous un autre angle. Et la seule manière d’y arriver, c’est en donnant à chacun la possibilité de constater qu’il a le pouvoir, d’une manière ou d’une autre, de transformer la société. Parce qu’on ne peut pas changer le monde seul. »

La culture comme progrès social

Never Apart

Dax Dasilva a fondé Never Apart, un organisme culturel qui a pour objectif de promouvoir les changements sociaux et une conscience spirituelle. Installé dans les ancieux locaux de Lightspeed, le centre accueille notamment une dizaine d'expositions chaque saison.

Une vision d’un monde meilleur : voilà ce qui a mené Dax Dasilva à créer l’organisme Never Apart en 2015. « Il y a toujours eu, quelque part en moi, ce désir d’un projet qui saurait combiner la culture et le progrès social. » Lorsque Lightspeed a emménagé dans le majestueux édifice de la gare Viger, l’entreprise a laissé vacant le bâtiment qu’elle avait occupé dans le Mile-Ex. « J’aurais pu le vendre, il y aurait eu de nouveaux condos… Mais est-ce que Montréal a besoin de davantage de condos ? Ou alors je pouvais m’engager concrètement dans un projet porteur d’humanité. »

Never Apart est une galerie d’art qui n’en est pas une. Enfin, pas au sens habituel du terme. Aux yeux de son fondateur, c’est un centre culturel qui déploie activités sociales, expositions et rencontres avec des artistes d’horizons différents qui ont un message à partager. « Grâce à leurs œuvres, ils communiquent leurs préoccupations et leurs combats, ils parlent de leurs origines, de leur culture, de leur identité de genre, de leur solitude. En trois ans d’activité, c’est incroyable tous les sujets que nous avons pu aborder », s’enthousiasme Dax Dasilva.

Ce centre qui fait plus de 1 100 mètres carrés accueille une dizaine d’expositions chaque saison. « En se côtoyant, ces perspectives singulières invitent les visiteurs à explorer des univers pour lesquels ils ne se seraient peut-être pas déplacés dans une galerie traditionnelle. » Cette capacité de Never Apart à réunir une foule éclectique de tous les genres et de tous les âges, cette force d’attraction qui élargit sans cesse son rayon d’action et de reconnaissance, constitue une source de grande ferté pour l’homme d’affaires. « En nous comprenant mieux les uns les autres, nous multiplions le potentiel d’unité et d’harmonie. »

Récemment, Dax Dasilva s’est rendu compte que les missions de Lightspeed et de Never Apart convergent en une seule, tant pour les entrepreneurs que pour les artistes : leur fournir les outils nécessaires pour qu’ils transforment le monde. « Partager ces outils, c’est décupler le pouvoir de l’humanité en permettant l’émergence des forces de chacun. On déclenche alors un effet d’entraînement insoupçonnable, une ondulation qui module l’avenir d’une manière qu’on n’aurait jamais pu concevoir. Il s’agit seulement d’y mettre les meilleures intentions et d’espérer. »

Never Apart en quelques chiffres

Longtemps, l’homme d’affaires a cru que s’il mettait Never Apart sur pied, il devrait éventuellement renoncer à Lightspeed. « Je me trompais ! Ces projets sont tous deux profondément ancrés dans ce que je suis. Ceux qui croient qu’il y a une distinction entre le travail et la passion n’ont pas compris que s’ils consacraient toute leur énergie à une seule passion, ils passeraient à côté de ce qui, dans leur travail, leur permet de développer ce qu’ils font de mieux. »

Dax Dasilva n’est pas un homme impulsif. C’est un homme de réflexion qui fait montre d’une persévérance indéfectible. Lorsqu’il a fondé Never Apart, il a mis sa vision par écrit dans un manifeste qu’il retravaille actuellement pour en développer l’essence dans un livre plus complet. Non pas exclusivement pour l’ouverture d’autres établissements du genre – quoique ce projet aille de soi aux yeux de son instigateur, qui envisage actuellement Los Angeles comme lieu probable d’un second centre culturel – mais plutôt pour livrer plus largement sa conception du leadership, de la diversité, de la culture, de l’environnement et de la spiritualité.

Cet entrepreneur créatif, humain et visionnaire n’aurait pas su prédire il y a une décennie où serait Lightspeed aujourd’hui. En ce qui concerne Never Apart, il ne peut qu’imaginer un devenir prometteur et ambitieux, animé par le devoir de veiller à son rayonnement. « J’ai énormément bénéficié du dynamisme culturel de Montréal avant et pendant la construction de Lightspeed. Puisque j’ai aujourd’hui les moyens de contribuer à la vitalité de Montréal, j’y investis avec conviction. J’adore cette ville », affirme Dax Dasilva, qui s’est récemment fait bâtir une maison à Westmount. « Je me consacre à échafauder et à soutenir des projets qui incluront davantage de gens et dont les effets seront bénéfiques d’un point de vue social et économique. Oui, c’est ce que je vais continuer à faire. »

Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion


Note

1- Toutes les citations de Dax Dasilva ont été traduites de l’anglais par l’auteure.