À l’automne 2022, les tablettes de nombreuses pharmacies du pays manquaient cruellement de médicaments pour enfant contenant de l’acétaminophène et de l'ibuprofène. Cette situation, qui demeure exceptionnelle, laisse dans l’ombre des défis d’approvisionnement de médicaments dans les réseaux de la santé en Amérique du Nord.

D’ailleurs, le nombre de produits pharmaceutiques faisant l’objet d’une pénurie au cours d’une année a connu une hausse significative depuis la fin des années 2000[1]. Cette situation touche particulièrement le marché des produits génériques, et plus spécifiquement les cas où il n’y aurait qu’un seul fournisseur[2]. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette contre-performance.

Du brevet au générique… à la pénurie

À la base, qu’est-ce qu’un produit pharmaceutique? Essentiellement, il s’agit d’une molécule qui se décline en des atomes unis par des liens chimiques. Dans une perspective d’achat, il devient donc très facile de définir le besoin qui ne laisse aucune marge pour des variations : le fournisseur offre ou non la molécule recherchée. Cette dernière peut être protégée par un brevet offrant alors un monopole sur le marché au développeur du produit, et cela, pour un certain nombre d’années. Il faut souligner que l’acheteur public qui veut acquérir un médicament breveté n’aura aucune marge de négociation avec le manufacturier.

Le médicament générique apparaîtra lorsque la période de protection du produit breveté sera expirée. Ainsi, un médicament générique se veut une copie d'un médicament de marque déposée. Le générique a donc toutes les caractéristiques d’une « commodité », un produit standardisé dont les spécifications sont clairement définies. Dans ce contexte, le prix devient la principale dimension concurrentielle qui départage les fournisseurs. Dans pareilles conditions aussi, ces mêmes fournisseurs organiseront leur appareil de production pour réduire les coûts; on se retrouvera alors avec un double mouvement de concurrence.

D’abord, il y a celle qui existe entre les grands industriels qui se disputeront les contrats des établissements de santé. Compte tenu de la nature très spécifique des besoins, les établissements tendent à consolider leurs volumes de consommation à l’intérieur d’un même appel d’offres en vue de profiter d’économies de volume. Or ce phénomène accentue la pression sur les prix.

Ensuite, il existe une concurrence à l’intérieur même des différents sites industriels d’un même groupe pharmaceutique afin d’obtenir l’autorisation de produire certaines gammes de médicaments. Ces mandats ont souvent un caractère continental et, parfois même, mondial. On peut donc parler d’une forme de spécialisation des unités de production laissant très peu de ces dernières à l’échelle d’un continent. Ainsi, lorsqu’une de ces usines rencontre des difficultés de production découlant de problèmes internes ou d’une catastrophe naturelle (comme cela s’est produit à Porto Rico avec l’ouragan Maria, en 2018), les impacts se font sentir auprès de nombreux clients et souvent sur plusieurs marchés simultanément. Certains pourraient argumenter qu’en cas de difficultés d’un fournisseur, les clients pourraient alors s’approvisionner auprès d’un concurrent. Cependant, la pression sur les coûts est telle pour les médicaments génériques qu’aucun manufacturier n’a intérêt à maintenir une capacité de production excédentaire qui viendrait inévitablement gonfler ses coûts, le rendant moins attractif pour obtenir des contrats.

Pour renverser cette situation, il n’y aura pas de miracle possible : les acheteurs publics devront accepter de payer un prix légèrement plus élevé en octroyant des contrats à plus d’un fournisseur, ce qui les amènera à scinder les volumes. Une autre option consiste à maintenir un stock de sécurité, mais cela aura aussi pour conséquence d’augmenter aussi les coûts.

Présenter ces solutions a toutefois ses limites. Pour des raisons de contrôle de coûts, de telles mesures ne pourraient être reproduites à l’ensemble des médicaments. Le rôle de l’acheteur sera de réaliser des analyses plus poussées afin de sélectionner les produits qui exigeront des mesures spécifiques de contrôle des risques.


Notes

[1] Shukar, S., Zahoor, F., Hayat, K., Saeed, A., Gillani, A. H., Omer, S., Hu, S., Babar Z. U.-D., Fang, Y. et Yang, C., «Drug Shortage: Causes, Impact, and Mitigation Strategies», Frontiers in Pharmacology, vol. 12, 2021.

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphar.2021.693426    

[2] Zhang, W., Guh, D. P., Sun, H., Lynd, L. D., Hollis, A., Grootendorst, P. et Anis, A. H., «Factors associated with drug shortages in Canada: a retrospective cohort study», CMAJ Open, vol. 8, no 3, 2020, p. E535-E544.