Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion

Peut-on relever les défis du développement organisationnel et personnel en favorisant une plus grande autonomie des employés au travail ? Oui, mais de quelle manière ? Une étude suisse tente de répondre à cette question.

Depuis quelques années, on entend de plus en plus parler d’« holacratie1 », de « sociocratie2 », d’entreprise « libérée3 », d’organisation « opale4 » et de partage du pouvoir avec les employés. Ces nouveaux modèles de gouvernance sont tous fondés sur l’autonomie laissée aux travailleurs.

Ils visent à donner plus de pouvoir de décision aux gens, parfois même à supprimer les postes de chef. L’autogestion des équipes et l’autonomie au travail ne sont pas des concepts nouveaux : ils découlent en particulier de la théorie Y5 ou du concept des équipes autorégulées6. Alors, pourquoi émergent-ils aujourd’hui ?

Adaptation et quête de sens

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, nous vivons dans un monde changeant et incertain, qui demande aux organisations de réagir vite en faisant preuve d’agilité. Par ailleurs, la technologie rend désormais l’information accessible à tous. Il n’est donc plus indispensable d’avoir un chef qui centralise et redistribue les informations. Dernier point : les gens accordent de plus en plus d’importance au sens de leur travail. Les laisser s’impliquer davantage dans leurs missions professionnelles semble donc légitime.

Afin de donner plus d’autonomie aux employés, les organisations peuvent choisir d’adopter des méthodes déjà éprouvées ou de forger leurs propres outils. Elles peuvent par ailleurs se lancer dans l’aventure grâce à des projets pilotes ou à des projets de plus grande envergure impliquant l’ensemble du personnel. Mais ces approches constituent-elles vraiment une panacée ? Nous avons voulu répondre à cette question en allant interroger des personnes, hommes et femmes, qui travaillent de façon autonome en entreprise.


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Des expériences probantes

Les trois principaux avantages et inconvénients du modèle holacratique

Avantages Inconvénients
  • Valorisant, gratifiant et bon pour l’estime de soi
  • Meilleure communication
  • Engagement et motivation
  • Forte charge de travail et surengagement
  • Stress et pression
  • Trop grandes responsabilités

Peu d’organisations fonctionnent selon le principe de l’autonomie du personnel en Suisse francophone. Toutefois, nous en avons retenu huit, de taille différente et dans des secteurs d’activité variés. Elles offrent de l’autonomie à une partie ou à l’ensemble de leurs équipes, selon des méthodes maison ou en appliquant de manière plus ou moins fidèle un modèle holacratique. Après avoir mené près de 60 entretiens individuels, nous avons cherché à distinguer les avantages et les inconvénients liés à la décentralisation des décisions au sein de ces organisations.

Les réponses à nos questions se sont avérées similaires, quels que soient l’âge, le métier ou l’entreprise d’appartenance des personnes interrogées. Sur le plan des avantages, l’autonomie au travail donne aux employés le sentiment selon lequel l’organisation leur fait confiance et les responsabilise, ce qui est valorisant et gratifiant pour eux. En conséquence, les gens sont plus engagés dans leur travail. N’ayant plus besoin d’attendre la décision d’un chef, ils travaillent plus rapidement, parce qu’ils prennent eux-mêmes les décisions. L’organisation devient donc plus agile.

Par ailleurs, les employés qui ont à trouver eux-mêmes des solutions aux nouveaux problèmes auxquels ils doivent faire face deviennent plus créatifs, ce qui les pousse à acquérir de nouvelles compétences. Ainsi, les gens évoluent plus vite. La dynamique d’équipe s’améliore également : communication plus facile, collaboration, entraide et solidarité rehaussées, meilleure ambiance et cohésion plus forte au sein du groupe renforcent l’efficacité des équipes.

Cependant, l’autonomie au travail présente aussi des inconvénients, principalement en ce qui concerne le surengagement au travail. Il y a en effet un risque que la responsabilisation ne convienne pas à tout le monde : certaines personnes ont tendance à prendre leur rôle trop à coeur, ce qui peut mener à plus de stress et nuire à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. À plus long terme, cela peut même conduire à des problèmes de santé (insomnie, fatigue chronique, maladies, épuisement professionnel, etc.). Par ailleurs, certaines personnes nous ont rapporté avoir trop de responsabilités par rapport à leur rémunération ou à leur statut au sein de leur organisation.

De plus, un autre inconvénient de l’équipe autonome est la longueur du processus décisionnel : les décisions se prennent de manière plus participative et plus consensuelle, ce qui demande du temps. S’ajoute enfin le temps nécessaire pour initier les membres de l’équipe aux valeurs et aux principes du système autonome.

Pour qu’un système basé sur l’autonomie au travail fonctionne bien, il faut que les gens se montrent responsables, motivés et ouverts d’esprit par rapport à l’autonomie qu’on leur donne. Quant à l’équipe, elle doit favoriser une communication fluide et une bonne entente entre ses membres, de même que le partage d’une vision commune. Prise dans son ensemble, l’organisation doit offrir un environnement de travail où l’autonomie et la confiance règnent véritablement. À ce titre, le droit à l’erreur est capital pour les employés : la confiance qu’il suppose permettra à coup sûr à l’équipe de parvenir à communiquer et à s’entendre sans encombre.

Une gestion bienveillante semble donc être un préalable essentiel pour que l’autonomie au travail puisse véritablement se développer. Par ailleurs, les employés autonomes interagissent constamment lorsqu’ils ont à prendre des décisions, ce qui renforce leur entente.

Quant aux gestionnaires, la façon dont ils jouent leur rôle doit évoluer. Ils ne peuvent plus se contenter de chapeauter leurs équipes : ils doivent se mettre à leur service en tant que coachs. Or, ce changement de posture peut s’avérer difficile pour certains. Plusieurs chefs d’équipe ont avoué avoir eu de la difficulté à « lâcher prise ». Leur rôle est toutefois déterminant, notamment lorsqu’il faut régler des conflits et prendre des décisions importantes. Par conséquent, il s’agit non pas de supprimer le poste de gestionnaire mais plutôt de le redéfinir.

Une question de dosage

Les conditions du succès

Certaines qualités individuelles, groupales et organisationnelles sont requises pour assurer le bon fonctionnement d’une méthode de gestion autonome. Les qualités retenues par les personnes qui ont pris part à notre étude sont classées par ordre d’importance ci-dessous.

Individu Groupe Organisation
  • Être responsable
  • Être motivé
  • Être autonome
  • Faire preuve d’ouverture d’esprit
  • Avoir confiance en soi
  • Assurer une bonne communication
  • Faire preuve d’esprit d’équipe
  • Partager une vision commune
  • Permettre une véritable autonomie
  • Faire confiance à ses employés
  • Redéfinir le rôle  du gestionnaire
  • Procéder par étapes avec flexibilité
  • Établir un cadre, des règles et des procédures
  • Former les équipes à l’autogestion
  • Impliquer tous les employés

Nos entretiens ont également révélé que, pour être couronnée de succès, la transition vers l’autonomie doit procéder par étapes et impliquer l’ensemble du personnel. Une gestion prudente du changement est de mise, quitte à revenir en arrière, à redéfinir les pratiques, voire à retarder leur mise en œuvre au besoin. Dans tous les cas, le choix d’une méthode préexistante ne s’avère pas productif.

Il est tout aussi crucial de donner un cadre clair aux employés, tant sur le plan des missions de l’organisation qu’en ce qui concerne sa stratégie et ses valeurs. Celles-ci doivent se vivre au quotidien et reposer sur le respect et sur la confiance envers les employés. Cet exercice peut être difficile, en particulier si l’organisation est de grande taille, car il impose de définir les possibilités et les limites du rôle de chacun, de même que les manières de prendre les décisions. L’autonomie au travail ne signifie donc pas qu’il n’y a plus de règles, bien au contraire.

La confiance au cœur de la gestion autonome

Les nouveaux modèles de gouvernance comme l’holacratie, l’entreprise libérée et l’organisation opale offrent des solutions aux organisations pour répondre aux défis de leur temps. Ces modèles favorisent l’agilité, rendent les gens créatifs et leur permettent d’acquérir de nouvelles compétences. Ils favorisent aussi l’intelligence collective en assurant une bonne communication et une bonne entente au sein des équipes.


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Cependant, ces solutions présentent un risque de surengagement et de stress. Par ailleurs, certaines personnes peuvent estimer devoir assumer trop de responsabilités au regard de leur rémunération ou de leur définition de tâches.

C’est pourquoi les organisations doivent veiller à ce que les conditions d’emploi correspondent toujours aux responsabilités de leurs employés.

Pour réussir dans cette voie, toute organisation doit vraiment faire confiance à ses employés. À cet égard, les traiter avec bienveillance et leur accorder le droit à l’erreur semblent être des conditions clés. Une organisation gagnera ainsi à communiquer des règles de fonctionnement claires pour tous : le défi consiste à bien les définir pour que chacun se sente à l’aise dans sa nouvelle autonomie.


Notes

1 L’holacratie est une organisation structurée en cercles de travail dans lesquels chaque membre du personnel a le même pouvoir et doit remplir un ou plusieurs rôles selon les besoins.

2 La sociocratie (elle-même à l’origine de l’holacratie) est un mode de gouvernance en vertu duquel la prise de décision requiert le consentement de tous les membres concernés. (Source : Office québécois de la langue française)

3 Une entreprise devient libérée lorsqu’elle s’affranchit des divers contrôles et règlements auxquels elle était soumise, ceux qui font sachant fort bien ce qu’ils ont à faire.

4 Dans une entreprise dite opale, les gestionnaires et les employés considèrent que leur organisation est un être vivant qui doit réagir à son environnement et qui doit favoriser l’autogestion et l’épanouissement de tout le personnel.

5 La théorie X présuppose que l’être humain n’aime pas travailler et qu’il faut donc le contrôler et le sanctionner pour qu’il le fasse. La théorie Y affirme le contraire : puisque l’être humain peut être motivé au travail, le laisser s’organiser lui-même est une bonne chose. Les théories X et Y ont été proposées en 1960 par le psychologue social américain Douglas McGregor dans son ouvrage intitulé The Human Side of Enterprise.

6 Les équipes qui peuvent établir elles-mêmes leurs échéanciers, leur budget et leur programme d’activités sont plus performantes que les autres et mènent généralement à une plus grande satisfaction pour leurs membres.