Mon ancien professeur William Baumol est décédé au début de mai après une carrière universitaire de 65 ans. Il a eu une production prolifique avec la publication dans différents domaines d’au moins 45 livres et plus de 500 articles dans des revues spécialisées et des journaux. Il avait la capacité d’analyser d’importantes questions avec une présentation accessible, en somme d’écrire en pensant au lecteur. Son nom est attaché à la loi de Baumol ou à la maladie des coûts croissants.

Baumol a consacré une bonne partie de sa carrière à étudier un domaine crucial, mais malheureusement négligé par les économistes, l’entrepreneuriat. Il s’agit ici de reprendre sa publication de 1990 sur la répartition de l’entrepreneuriat selon les incitations véhiculées par les règles du jeu en vigueur dans la société et d’essayer d’en faire l’application au monde actuel. On ne se trompe pas sur l’importance de ce texte puisqu’il a été cité 4.955 fois.

Baumol applique l’approche simple de la science économique dans la répartition des activités entre trois types d’entrepreneuriat : productif, non productif et destructeur. La répartition dépend en bonne partie des incitations. Son résumé donne l’essentiel du modèle :

L’hypothèse fondamentale est que, bien que l’offre totale d’entrepreneuriat varie selon les sociétés, la contribution productive d’activités entrepreneuriales de la société varie beaucoup plus en raison de leur répartition entre des activités productives comme l’innovation et des activités dans une large mesure improductives telle la recherche de rentes ou le crime organisé. Cette allocation est fortement influencée par les gains relatifs que la société offre à ces activités. Cela implique que la politique peut influencer plus efficacement l’allocation de l’entrepreneuriat qu’elle ne peut influencer son offre. 


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En s’appuyant sur de nombreuses références historiques, Baumol cherche à confirmer ses trois propositions suivantes :

  1. Les règles du jeu qui déterminent les gains relatifs à différentes activités entrepreneuriales changent radicalement avec le temps et d’un endroit à l’autre.
  2. Le comportement entrepreneurial change la direction d’une économie à une autre d’une manière qui correspond aux variations des règles du jeu.
  3. L’attribution de l’esprit d’entreprise entre les activités productives et improductives, mais non la seule influence pertinente, peut avoir un effet profond sur la capacité d’innovation de l’économie et sur le degré de diffusion de ses découvertes technologiques.

Un exemple d’entrepreneuriat où l’incitation privée apparaît fort différente du produit social se trouve dans le monde des fiscalistes. Les taux élevés de la taxation ont favorisé le marché des fiscalistes, personnes d’une intelligence supérieure à la moyenne dont le travail consiste à réduire les paiements à l’État. Même si ces personnes obtiennent de bonnes rémunérations, faut-il déduire que leurs activités créent un produit social très élevé et favoriser leur pouvoir créateur tout en multipliant leur nombre?

Des règles du jeu tournées vers la sécurité

Les règles du jeu ou les incitations qu’affronte l’entrepreneuriat changent avec le temps. Quelle direction prennent-elles dans le monde d’aujourd’hui? C’est la voie qui privilégie la sécurité. Si vous êtes le moindrement âgé, vous n’avez qu’à comparer les conditions de votre enfance avec celles d’aujourd’hui où des parents appliquent à profusion le principe de précaution.

Le dernier siècle a été marqué par la croissance de l’État dans l’économie. Il devient un assureur généralisé. La réglementation gouvernementale est omniprésente dans le monde d’aujourd’hui. En voici une illustration : aux États-Unis, « en 2015, 114 lois furent votées par le Congrès durant l’année de calendrier tandis que 3 410 règlements furent émis par les agences. C’est trente règlements pour chaque loi promulguée l’an dernier. » (Crews, 2016 : 2)

Pour un exemple québécois, il y a la publication Annuaire des subventions au Québec « incluant plus de 1.800 sources de financement et programmes gouvernementaux de toutes sortes. »

Selon Edmund Phelps, prix Nobel d’économie 2006, l’omniprésence gouvernementale défavorise la destruction créatrice:Aujourd’hui, le système capitaliste a été corrompu.

L’État gestionnaire se charge de tout et décide de tout […] Néanmoins, l’actuel système ne répond pas à la définition du capitalisme, mais relève d’un ordre économique différent […] le corporatisme.

De bien des façons, le corporatisme brise la dynamique qui rend le travail attrayant, dope la croissance, ouvre à chacun de multiples possibilités. Il entretient des firmes léthargiques, gaspilleuses, improductives, bien introduites dans les cercles du pouvoir, aux dépens d’outsiders et de nouveaux arrivants plus dynamiques. Il privilégie de grands objectifs d’« industrialisation », de « développement économique » ou de « rayonnement du pays » au détriment de la liberté et de la responsabilité des agents économiques […] Cet effacement du pouvoir des propriétaires et des innovateurs au profit de celui des politiques et des fonctionnaires constitue l’antithèse du capitalisme. (Phelps et Ammous, 2012)