Article publié dans l’édition Hiver 2022 de Gestion

De Walmart à Ikea, de Microsoft à Apple, de Huawei à Airbus, les géants mondiaux et les titans numériques n’ont jamais été aussi puissants. Alors que ces entreprises dominent l’économie planétaire, la riposte de certains gouvernements se profile à l’horizon…

«Ces entreprises hyperpuissantes ne sont pas seulement gigantesques et globales, ce sont également des superstars», déclare l’auteur François Lévêque, professeur d’économie à Mines ParisTech – Université PSL. Ce sont des firmes qui ont connu une réussite spectaculaire et qui creusent l’écart avec le reste du peloton. «Comme si les plus fortes et les plus riches devenaient toujours plus fortes et plus riches», souligne-t-il. Pourquoi dominent-elles l’économie planétaire? Et cette expansion peut-elle encore durer? Leur gigantisme intrigue. L’auteur décrit ces firmes globales comme des «entreprises monstrueuses aux cent bras, à l’image des Hécatonchires, ces premiers dieux de la mythologie grecque dotés d’une taille et d’une force hors du commun». Les titans numériques – ces plateformes numériques mondiales – se distinguent des géants à la fois par l’emprise de leur monopole fondé sur l’effet de réseau et par le caractère maintenant indispensable de leurs produits et services.

Ces entreprises s’infiltrent dans tous les aspects de nos vies quotidiennes. Elles profitent de l’économie de réseau : plus il y a de consommateurs, plus le service est attractif. Avec l’augmentation de leur pouvoir de marché (concentration économique et extension des marchés) croît leur influence sur le pouvoir politique.

Trop puissants?

Problème : les géants et les titans sont désormais perçus comme étant trop puissants. Ils aggravent les inégalités sociales, exercent des pressions sur les choix des consommateurs et des citoyens, possèdent un pouvoir d’influence étendu sur les décisions à caractère public. Sans oublier leur habileté à délocaliser les profits dans des pays à plus faible taxation pour échapper au fisc afin de payer moins d’impôts. «Au rythme de la croissance de leurs affaires, ne vont-[ils] pas devenir indétrônables? Les titans et les autres géants semblent devenus invincibles, protégés par d’immenses barrières technologiques, financières et commerciales, qui se dressent devant ceux qui voudraient disputer leur hégémonie.»

Qui sont les maîtres du jeu?

 Un exemple d’influence contestable? On pense évidemment au lobbying et aux paiements occultes versés à des élus ou à de futurs élus. Facebook, par exemple, a dépensé environ 40 millions de dollars de 2018 à 2019 pour réduire la portée de projets de loi sur la régulation de la publicité en ligne et sur la protection des données personnelles. Sur le plan opérationnel, ces firmes sont gouvernées comme de véritables États : leur «politique étrangère» leur permet de définir leurs intérêts, de collecter une masse énorme d’informations, d’influer sur les enjeux de l’heure et sur les rapports de force à l’œuvre, de nouer des relations de confiance avec les gens de pouvoir et de contrôler leur image ou leur réputation à l’échelle internationale. Mais leur gigantisme peut-il aller jusqu’à menacer les fondements de la démocratie?


Note

Lévêque, F,. Les Entreprises hyperpuissantes – Géants et Titans, la fin du modèle global?, Paris, Éditions Odile Jacob, 2021, 240 pages.