Les discours sur la prise du pouvoir par les robots l’insupportent. Les fantasmes sur l’avenir de l’intelligence artificielle l’horripilent. Et parce qu’il juge qu’on dit tout et n’importe quoi sur la haute technologie, Luc Julia – expert de l’interface homme-machine et vice-président à l’innovation chez Samsung – remet les pendules à l’heure dans un ouvrage choc.

IA pour « intelligence augmentée »

Le titre de l’ouvrage annonce d’emblée la position de l’expert. Luc Julia conteste l’appellation communément admise de l’intelligence artificielle, attribuée au mathématicien John McCarthy, qui l’a utilisée pour la première fois au cours de la conférence de Dartmouth (1956) sur la théorie des automates. « Tout est parti d’un immense malentendu », affirme M. Julia. Les scientifiques « se sont mis à penser qu’ils pouvaient recréer dans des machines les mécanismes du cerveau humain ». Luc Julia dénonce « une vaste fumisterie ».

« Les résultats du groupe de travail ont été bien loin des ambitions affichées, [...] ils n’ont en rien déterminé les étapes pour simuler l’intelligence », estime-t-il. D’ailleurs, il préfère l’expression « intelligence augmentée ».

Portée et limites de l’IA

Les mythes sur les êtres artificiels dotés d’intelligence, tels des robots qui remplaceraient les humains au travail ou des créatures qui se retourneraient contre leurs créateurs, sont tenaces.

Luc Julia rappelle qu’Internet a permis d’enregistrer des gains de performance énormes en ouvrant la porte à de nouvelles  formes d’apprentissage, comme l’apprentissage profond. Il reste que la prétendue omnipotence de l’IA colporte aussi son lot de promesses irréalistes. « [S]oit par peur, soit par dépit, nous risquons de voir les recherches et les avancées en [apprentissage machine] ou en [apprentissage profond] être stoppées en plein élan », craint l’expert.

Plus de robots, moins de pénibilité


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Les robots vont-ils remplacer les travailleurs ? « Les pays les plus robotisés sont ceux où il y a le moins de chômage », souligne Luc Julia, qui estime que les métiers vont changer, que la pénibilité du travail va diminuer et que de nouvelles perspectives vont apparaître. « Est-ce que ceux qui travaillent dans la Silicon Valley et qui maîtrisent et créent la technologie vont s’enrichir et les autres stagner, ou est-ce que ces richesses produites vont au contraire être mieux distribuées? » demande-t-il.

Nouvelles possibilités, nouveaux risques

Le problème est moins celui des risques technologiques que celui de l’accès aux services. Or, les possibilités de collecte de données par la connectivité des objets sont immenses. Ainsi, « [l’apprentissage machine] se prête très bien à l’analyse de notre génome, qui, en soi, est du big data, et permet déjà de mettre au point des médicaments très ciblés et personnalisés et de développer la médecine prédictive », avance Luc Julia. Quant à l’imagerie médicale, les bases de données permettent de répertorier les cas les plus rares, ce qui favorise un meilleur dépistage.

L’identité numérique pourrait être appelée à devenir le bien le plus précieux des citoyens. « Nous assisterons dès lors à une prolifération d’entreprises qui répondront aux préoccupations en matière de protection de la vie privée et de la réputation et peut-être même à l’émergence d’un nouveau marché noir, où les gens pourront acheter des identités réelles ou inventées », prédit Luc Julia.

Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion


Note

Julia, L., L’intelligence artificielle n’existe pas, Paris, Éditions First, 2019, 200 pages.