Intelligences connectées, services ubérisés, commerces virtualisés, réalité augmentée, personne améliorée par l’intelligence artificielle et la génomique... Voilà quelques facettes – convergentes – du tsunami numérique qui s’annonce dans le monde de l’entreprise. Avec quelles conséquences et quels effets ? Pierre Beretti et Alain Bloch mènent l’enquête dans l’ouvrage Homo numericus au travail1. Visions et interrogations autour de la révolution numérique.

Innover pour survivre ou vivre en innovant ?

Deux visions, deux générations de travailleurs, pense Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, selon qui on assiste à l’émergence de toute une génération de nouveaux entrepreneurs. En rupture avec le modèle schumpétérien de compétition-innovation des grandes entreprises, ces derniers se montrent résolument darwiniens. Traduction : « Ils se lancent, créent, échouent ou réussissent, manifestant ainsi le principe de variation-sélection au cœur de la capacité d’adaptation et d’évolution décrite par Darwin. » Autre trait distinctif : leur façon de travailler sous forme de coévolution, jouant de toutes les coopérations possibles, surfant sur les forces d’innovation. Désormais, révolution numérique et coévolution entrepreneuriale ne feraient qu’un !

La fin de la main-d’œuvre

« Dans le numérique, il n’y a plus de main-d’œuvre mais du cerveau-d’œuvre ! », déclare Daniel Krob, professeur à l’École polytechnique de France et président du Centre d’excellence sur l’architecture, le management et l’économie des systèmes (CESAMES). Alors que la fabrication d’objets enchaînait l’ouvrier à l’outil de production, le travailleur peut aujourd’hui créer, inventer, travailler de n’importe où et quand il veut. Toute une régulation par les réseaux et les interfaces ! Et, sur cette toile de fond, des liens d’interdépendance en lieu et place des rapports de subordination. Le chercheur prédit une même évolution du côté de la relation client. Un exemple ? « Des “fintech”, ces startups spécialisées dans les technologies financières, imaginent des solutions qui vont sans doute remplacer à terme l’utilisation des cartes bancaires par le téléphone. »

L’entreprise comme un réseau social

Les « geeks entrepreneurs » ne sont pas les seuls à fonctionner en réseau. Les grandes entreprises ont elles-mêmes tendance à s’entourer d’un écosystème d’entreprises en démarrage. Avec quels effets ? Pour Pierre-Yves Gomez, professeur de management stratégique à l’École de management de Lyon (EM Lyon) et directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises, « nous assistons au déclin du travail salarié et à la montée en puissance de grandes entreprises plateformes qui, parfois avec seulement une centaine de salariés, permettent une création de valeur en dehors du circuit marchand classique ». Un changement en entraîne un autre : « C’est la multitude des usagers qui fixe les règles du jeu de chaque usager. »

Sommes-nous préparés ?

Finalement, la technologie est-elle au service de la personne ou l’inverse ? « Dans un monde où les machines apprendraient seules, l’humain risquerait d’être considéré comme un frein à la productivité. » Ce n’est pas le cas, précise Thomas Philippon, professeur d’économie à l’université de New York et à l’École d’économie de Paris. « Finalement, le problème, ce ne sont pas les robots mais nous et notre capacité à faire évoluer nos cadres mentaux », estime Fabienne Goux-Baudiment, présidente de la Société française de prospective. Alors, le problème pourrait bien être la reconversion des « inadaptés au numérique » !

Notes

1 Beretti, P., et Bloch, A., Homo numericus au travail, Paris, Éditions Économica, 2016, 192 p.