Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion

Chaque histoire de migration raconte une épreuve et un triomphe personnels. L’enjeu des migrations – tant pour les pays d’origine que pour les sociétés d’accueil – est un sujet bien plus complexe. Alors que la question de l’accueil d’un plus grand nombre d’immigrants échauffe les esprits en Occident, Paul Collier entend fournir les bases d’un débat dépassionné.

Pour Paul Collier, professeur d’économie à Oxford et ancien directeur de recherche en développement à la Banque mondiale, la question migratoire doit s’affranchir des associations idéologiques toxiques qui en font un sujet tabou et polarisant.

Ainsi, il contextualise le phénomène migratoire et son accélération au cours du XXIe siècle : « Dans les années 1960, la plupart des gens vivaient dans le pays où ils étaient nés. Mais durant ce demi-siècle d’immobilité, il s’est produit un changement de taille dans l’économie mondiale : un fossé s’est creusé entre les niveaux de revenu des différents pays », explique-t-il.

Les immigrants des pays pauvres sont motivés par l’amélioration de leur niveau de vie. Ils souhaitent s’intégrer à un « modèle social à revenu élevé », ajoute-t-il. M. Collier défend ainsi l’idée selon laquelle la nécessité d’émigrer diminuera si l’enrichissement collectif profite aussi aux pays pauvres.


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Les migrations vues des pays d’accueil

Paul Collier analyse l’incidence économique des migrations sur les pays d’accueil hors de tout raisonnement utilitariste. L’économiste constate en outre que les retombées sont plutôt modérées : « L’immigration a [donc] accru les possibilités de recrutement des entreprises dans les régions dynamiques, mais elle a contribué à amoindrir la mobilité interne de la force de travail non migrante, déclenchant un mécanisme supplémentaire de perte de revenu », explique-t-il.

Diversité culturelle et confiance mutuelle

« Les immigrés comptent parmi les individus qui affichent les plus fortes ambitions pour eux-mêmes et pour leurs enfants », observe Paul Collier. « Leur aptitude à saisir les occasions tend à faire d’eux des travailleurs performants. » Le revers de la médaille : ces conduites dites opportunistes peuvent nuire au respect mutuel qui constitue une des assises de la solidarité sociale. Lorsque ces comportements sont sanctionnés, ils peuvent être perçus par les migrants comme de la discrimination.

Or, si le système d’accueil leur inspire une confiance limitée, cela risque de compromettre la dynamique de coopération sociale fondée sur des sentiments de loyauté et de solidarité entre les membres d’une société.

« Les immigrants et leurs descendants intégreront-ils la norme de confiance de leur pays d’accueil ? Les deux communautés, d’origine étrangère et autochtone, en viendront-elles à se considérer comme les membres d’une même société ? » demande l’économiste.


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Une bonne chose pour les retraites ?

L’immigration servira-t-elle à payer les retraites des citoyens originaires du lieu ? Selon Paul Collier, « un afflux d’immigrants en âge de travailler ne procure à une société qu’un ballon d’oxygène fiscal momentané, alors que la croissance de l’espérance de vie constitue un processus ininterrompu ».

Ce calcul ne tient pas compte du fait que les travailleurs immigrants ont généralement plus d’enfants et peuvent à leur tour faire migrer leurs parents dépendants grâce aux politiques de regroupement familial. M. Collier suggère de mieux fixer l’âge de la retraite pour sauvegarder le système de prestations sociales.


Source

Collier, P., Exodus – Immigration et multiculturalisme au XXIe siècle, Paris, Éditions du Toucan, 2019, 416 pages.