Alors que notre monde ne cesse de s’endetter, que faut-il craindre pour notre système économique? Quelle est l’ampleur de cette dérive financière? Quelles en sont les principaux facteurs de vulnérabilité? Ce livre donne des pistes de réflexion pour sortir du piège de la financiarisation.

À 93 ans, Jacques de Larosière, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et ex-gouverneur de la Banque de France, pose un regard critique sur les excès de la finance et sur les politiques des banques centrales. Dans son plus récent ouvrage, il dénonce l’illusion financière, qui consiste à croire que la création monétaire équivaut à une création de ressources. Cette augmentation de la masse monétaire «aboutit à une distorsion entre la valeur des actifs financiers et celle des biens créés, et favorise les privilégiés au détriment des salariés», écrit-il. Dans l’intérêt de l’avenir de notre société, il plaide pour réanimer l’investissement productif et libérer les forces de l’épargne.

En finir avec le règne de l'illusion financière

De Larosière, J., En finir avec le règne de l’illusion financière – Pour une croissance réelle, Paris, Odile Jacob, 2022, 146 pages.

Dérèglements actuels

Au-delà de la forte inflation et de la gravité de la situation en Ukraine, il y a cette dérive d’ordre structurel qui est d’autant plus inquiétante. «Il faut surtout comprendre comment notre monde a changé subrepticement de modèle. […] L’essentiel de l’activité économique se traduit désormais par la hausse des valorisations d’actifs financiers au détriment de la croissance des revenus salariaux et de l’investissement productif.» Résultat : depuis deux décennies, l’évolution du système économique entraîne une perte de compétitivité et de productivité, ainsi qu’un accroissement des inégalités sociales, estime l’auteur. Surfant sur un investissement massif, les décideurs agissent tel un ingénieur qui, chargé de surveiller un barrage, ne se préoccuperait pas de la montée des eaux ou des risques potentiels!

La spirale des emprunts

«Nous en sommes arrivés à un point où ce qui devrait être un complément – c’est-à-dire le recours à l’emprunt au-delà de l’autofinancement – est devenu la norme, et où la fiction financière domine la réalité économique», observe l’auteur. Au lieu de s’appuyer sur les véritables ressorts de la croissance économique, le réflexe consiste à s’endetter et à recourir toujours plus au crédit et à des subterfuges monétaires.

D’après l’Institut de la finance internationale, 300 trillions de dollars représente le chiffre et le record historique de notre dette globale, qui équivaut à 360% du PIB mondial. Il y a urgence à réaliser que la poursuite de l’endettement public engage l’économie dans une impasse, sans aborder les problèmes de front. Opter pour la lucidité, c’est accepter que la stimulation par l’endettement a des limites. «En principe, on ne devrait s’endetter que si l’activité nouvelle rendue possible par l’emprunt est susceptible de générer des ressources additionnelles qui permettent, à leur tour, de rembourser les emprunts en question. Mais si l’endettement n’a servi qu’à financer des déficits – et non des investissements –, aucune activité nouvelle génératrice de revenus futurs n’aura été créée.»

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion