Article publié dans l’édition Hiver 2022 de Gestion

Comment des enfants-rois habitués à donner libre cours à leurs désirs pulsionnels pourront-ils devenir des travailleurs épanouis? Accepteront-ils les règles, les contraintes et les limites du monde du travail? Faire prévaloir la raison sur les désirs immédiats : c’est tout l’enjeu de cette lutte contre la toute-puissance du cerveau reptilien. Avis d’un psychologue.

«Je n’en ai pas envie» n’est pas vraiment un argument. Pourtant, dans son cabinet de consultation, le psychologue français Didier Pleux observe une impuissance croissante à accepter les frustrations ordinaires. «Combien de patients ai-je rencontrés qui n’ont plus de recul sur leur existence? Combien de fois les ai-je incités à mieux raisonner alors qu’ils n’attendent que des conseils pour ne plus souffrir du principe de réalité?» Le cerveau reptilien est-il toujours en cause?

Moi, moi, moi!

«Nous pouvons avancer l’idée qu’aujourd’hui l’homme devient l’objet de son cerveau reptilien. Il n’est plus maître à bord, il est devenu victime de son principe de plaisir et ne sait penser sa vie.» Aux yeux de l’auteur, aucune sphère de l’existence n’est épargnée par les ravages de cette volonté de jouissance immédiate. Corrélé avec une hypertrophie de l’ego, ce penchant pour l’assouvissement de ses désirs donne carte blanche au cerveau émotionnel archaïque. Problème: l’individu contemporain est une girouette. Il n’est plus que réponses à des stimuli et veut toujours ressentir davantage de plaisir. «Plus aucune limite n’inhibe ni ne freine l’ego.»

Des frustrations supportables

Au-delà des différences de personnalité, les esprits reptiliens se reconnaissent à leur faible tolérance aux frustrations. Leur inclination à céder au principe du plaisir les rend vulnérables au principe de réalité. Y compris au travail, ils peinent à gérer le réel. Leur cerveau résiste à réguler les comportements. Le décervelage de l’humain, c’est la prégnance du striatum (le centre du plaisir de notre cerveau) sur le cortex (la capacité de réflexion). Il y a donc urgence non pas à éliminer les frustrations mais à relever le seuil de tolérance des individus.

«Être humain, c’est harmoniser le pulsionnel et le libre arbitre», affirme l’auteur. Et si, au lieu d’avoir recours aux méthodes destinées à procurer un soulagement immédiat, on privilégiait la force intérieure, la conscience morale et la lucidité pour «s’empêcher»?

Loin de prôner une philosophie de l’abstinence, Didier Pleux recommande un équilibre de vie entre plaisir et réalité, fondé sur un bon dosage «plaisant-déplaisant», un va-et-vient entre jouissance et frustration. Sans verser dans le «tout ou rien», chaque personne reprend les commandes de sa vie quand elle réfléchit à ses actions et se projette à long terme, faisant ainsi de son cortex le moteur de sa volonté et de sa pensée. Échapper à la domination de son cerveau reptilien, c’est aussi prendre le temps de s’informer et faire l’effort de confronter, de renoncer et de questionner.


Note

Pleux, D., Comment échapper à la dictature du cerveau reptilien, Paris, Éditions Odile Jacob, 2021, 192 pages.