Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

La négociation raisonnée est une méthode de résolution des conflits souvent utilisée en cas de litige. Elle trouve aussi des applications en milieu de travail et constitue un précieux outil pour les gestionnaires qui savent l'employer à bon escient.

En entreprise, les gestionnaires négocient constamment : conventions collectives, contrats d’embauche, cessation du lien d’emploi, etc. Le modèle traditionnel de la négociation est fondé sur le rapport de force et sur l’affrontement.

Chacune des parties fait valoir sa position en exprimant ce qu’elle souhaite obtenir et en présentant des arguments stratégiques pour tenter de convaincre l’autre. Résultat : on campe sur ses positions, parfois même au détriment de ses propres intérêts, des conflits naissent et les ententes négociées dans un tel contexte se traduisent bien souvent par un échec.


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C’est là que la négociation raisonnée peut faire toute la différence. Elle trouve sa source dans les théories élaborées par Mary Parker Follett, une conseillère en management américaine du début du 20e siècle considérée comme une pionnière du domaine.

Selon elle, les comportements des individus sont justifiés par les besoins et par les intérêts qui les sous-tendent, lesquels peuvent être purement instinctifs ou inconscients. Afin de résoudre les différends, la meilleure méthode consisterait donc à sortir du rapport de force et de l’exercice de la contrainte pour chercher à comprendre les véritables intérêts des parties.

Mary Parker Follett a ainsi proposé le concept d’une négociation dans laquelle on intègre les différences afin d’explorer des pistes de solution créatives.

L’exemple fréquemment utilisé pour illustrer ce principe est celui de trois personnes qui veulent partager une orange mais qui ne parviennent pas à trouver un accord. En les interrogeant, on constate que leurs motivations sont différentes : l’une souhaite obtenir le jus, l’autre veut l’écorce et la troisième la pulpe. Une fois les besoins clairement définis, il est facile de donner à chacune de ces personnes ce qu’elle désire vraiment. C’est là toute la beauté de la négociation raisonnée!

Définir et analyser

Bien menée, la négociation raisonnée aide à dégager des solutions à la fois originales et efficaces, tout simplement parce qu’elles tiennent compte des besoins et des intérêts de chacun. Mais comment reconnaître ceux-ci?

En vertu de cette approche, on peut les distinguer selon quatre types. Ainsi, l’intérêt de substance prévaut lorsqu’une partie veut obtenir un bien, une somme d’argent, une propriété, etc.

On parle plutôt d’intérêt psychologique lorsque le conflit porte sur des attentes issues d’un sentiment (reconnaissance, respect, etc.) ou lorsqu’une des parties souhaite être entendue par l’autre. À cet égard, il est pertinent de mentionner que les excuses sont souvent banalisées malgré leur efficacité avérée. En s’excusant auprès de quelqu’un, on reconnaît la légitimité de ses sentiments, ce qui répond à un besoin psychologique qui ne pourrait pas être comblé par un simple montant d’argent.

Il est ensuite question du besoin de procédure lorsqu’une personne veut démontrer qu’une convention, une règle ou une directive est injuste ou discriminatoire. Pour la satisfaire, il faudra alors changer les façons de faire et modifier la procédure. Enfin, il y a l’intérêt de principe.

Propre à chacun et incontournable indépendamment des conséquences, cette position peut amener un individu à accepter de tout perdre pour agir conformément à ses principes. Pour trouver un terrain d’entente, il sera donc primordial de reconnaître ces valeurs et de s’engager à les respecter au lieu d’en faire fi ou de les contester.

Cet exercice de compréhension des motivations est essentiel, car il permet aussi d’évaluer si les points de vue des parties peuvent se rejoindre à certains égards. En changeant la dynamique relationnelle, c’est-à-dire en optant pour la collaboration au lieu de l’affrontement, il sera alors possible de dégager une ébauche de solution.

Il faut se rappeler que le but de l’exercice consiste à trouver un accord qui sera à la satisfaction de tous et non pas un compromis qui ne plaira à personne. En effet, pour obtenir ce qu’on veut dans une négociation, on doit offrir quelque chose en retour. Autrement dit, combler ses propres besoins implique également de répondre à ceux de l’autre.

Prenons l’exemple d’un employeur qui a l’intention de mettre un terme à un lien d’emploi. De son côté, le travailleur veut se sentir respecté et reconnu tout en quittant l’entreprise en bonne posture financière.

Quant à lui, le gestionnaire souhaite se départir de cet employé. Il pourrait donc lui offrir une formation complémentaire pour l’aider à trouver un nouvel emploi plus facilement ou lui remettre une lettre de référence élogieuse.

Les étapes à suivre

Concrètement, la négociation raisonnée passe par plusieurs étapes. La première étape consiste à se livrer à une réflexion approfondie pour déterminer les intérêts et les besoins de tous. Attention : les enjeux peuvent être très variés et ne sont pas uniquement d’ordre économique.

En effet, le volet relationnel est tout aussi important, une partie pouvant faire certaines concessions si elle désire maintenir une bonne relation avec l’autre partie.

Dans un deuxième temps, il faut examiner toutes les options possibles, même celles qui nous semblent les plus farfelues. C’est souvent en pensant « en dehors de la boîte » qu’on parvient à trouver des idées judicieuses.

On peut aussi se tourner vers des solutions normatives, par exemple distribuer une somme d’argent selon un prorata calculé en vertu d’une logique mathématique (50 % + 1, loi du marché, règle de l’art dans le domaine, norme établie par la loi, etc.) pour compenser une partie qui s’estime lésée par certaines dispositions d’une entente commerciale, par exemple.

Troisième étape : il est primordial de bien connaître les gens présents autour de la table. Ainsi, lors d’une négociation internationale, certaines questions d’ordre culturel peuvent se poser (jours fériés spécifiques, rapports hommes-femmes, différences hiérarchiques, etc.), sans parler de la difficulté à mener une négociation dans une autre langue et du risque d’erreurs d’interprétation.

Enfin, la dernière étape et non la moindre consiste à réfléchir aux options envisageables si on ne parvient à aucune entente. Il faut penser à ce qu’il adviendrait si la négociation ne permettait pas de régler le différend : poursuite judiciaire, rupture de contrat, mauvaise réputation professionnelle, etc.

Lorsque les choix qui s’offrent à nous en cas d’échec sont malgré tout très avantageux – et lorsque les conséquences d’une défaite sont loin d’être néfastes –, il y a de bonnes chances qu’on se montre plus rigide durant la négociation, et vice-versa.

Des obstacles

La négociation raisonnée n’est pas naturelle chez l’individu, car l’être humain a tendance à s’inscrire instinctivement dans un rapport de force ou à adopter une approche hybride. Chez les gens d’affaires – lesquels ont souvent une personnalité forte –, le défi consiste à transformer ce trait de caractère en leadership positif, notamment en cherchant à combler les besoins et les intérêts des employés au lieu de leur donner des ordres sans appel. Soulignons qu’une entreprise ne peut pas reposer sur un seul individu, même s’il s’agit du grand patron !

Par conséquent, les gestionnaires ont tout intérêt à suivre une formation en négociation raisonnée afin de développer leurs habiletés et à commencer à utiliser cet outil dans leurs tâches quotidiennes. Ils doivent garder à l’esprit qu’une bonne négociation doit se conclure par la meilleure solution pour les parties, pas obligatoirement par une entente qui pourrait de toute façon s’avérer insatisfaisante.


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Si la négociation raisonnée comporte ses défis, elle a aussi ses forces, notamment le fait qu’elle constitue un processus flexible et dynamique. De ce fait, il est toujours possible de revenir en arrière pour corriger le tir et de trouver une solution qui corresponde davantage aux objectifs des parties.

Mary Parker Follet mentionnait d’ailleurs que lorsqu’une négociation est bien menée, un conflit est évité. Mais quand bien même celui-ci surviendrait, il offrirait l’occasion de faire mieux…

Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste


Pour aller plus loin

Ury, W., Fisher, R., et Patton, B., Comment réussir une négociation, Paris, Seuil, 2006, 286 pages.

Follett, M. P., Creative experience, New York, Longmans, Green and Co., 1924, 330 pages.