C’est à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), qu’elle a dirigée pendant une douzaine d’années, que Nathalie Tremblay a passé la majeure partie de sa carrière. La jeune retraitée, qui a toujours fait l’unanimité par sa réputation irréprochable et sa capacité à générer des résultats, partage son expérience du secteur public.

Dans un café tranquille de Québec, cette ville où elle a grandi et tout vécu, Nathalie Tremblay se raconte avec générosité. De son père, qu’elle a récemment accompagné dans ses derniers moments, elle garde un leitmotiv essentiel, profondément ancré, qui guidera toutes ses décisions : faire partie de la parade. En effet, selon ce qu’il aimait répéter, il existe trois types d’individus dans la vie : ceux qui regardent passer la parade, ceux qui y participent et ceux qui ne savent même pas qu’elle existe. «Chez nous, on choisit d’être dans la parade», déclare-t-elle en souriant.

Tout au long de son parcours, Nathalie Tremblay n’hésitera jamais à sauter dans le train et à saisir les occasions qui se présenteront à elle, curieuse de connaître et de rencontrer des gens, et animée d’un désir ardent de participer à transformer son environnement.

La petite fille bavarde apprend à écouter

«Être dans la parade » a été un formidable incitatif à s’impliquer pour la petite fille dont l’énergie était ainsi canalisée. Parfaitement assumée, Nathalie Tremblay confie qu’on a tenté en vain de dompter son caractère bavard, le naturel ne se laissant guère soumettre. «J’en ai fait des devoirs supplémentaires où je devais recopier des centaines de fois : “Je dois me taire”. On m’a tellement dit à l’école que je devais arrêter de parler!» se rappelle-t-elle en riant.

La parole toujours aussi facile et fluide, elle a par ailleurs appris à écouter. Non pas à la suite de punitions, mais plutôt grâce à la musique. C’est aussi la musique qui a porté la motivation de l’adolescente, qui travaillait avec ardeur pour obtenir de bons résultats scolaires. Elle jouera avec bonheur de la clarinette dans l’harmonie de son école. «Après le secondaire, toutefois, il n’était plus possible de continuer avec l’orchestre. Alors, avec quelques camarades, soutenus par notre directeur musical, nous avons fondé l’Harmonie des Cascades de Beauport. Et ça existe encore aujourd’hui!» Depuis cette époque, la musique, une passion encore vive, contribuera immanquablement à son équilibre.

Fait notable, le chef d’orchestre de l’Harmonie sera son premier modèle de leadership. «En l’observant diriger notre groupe d’une soixantaine de musiciens, j’ai appris le “nous” : une erreur dans ta partition a des incidences sur tout le groupe, sur toute la pièce à interpréter. Il faut écouter. C’est ensemble, par l’écoute, que nous allons plus loin. Ce passage formateur a teinté tout le reste de mon parcours.» Plus tard, au début de sa carrière dans un cabinet comptable, la jeune vérificatrice saura écouter les clients et discerner leurs besoins.

La comptabilité, un cadre infaillible

Après avoir sérieusement envisagé une carrière en droit, c’est son amour des chiffres qui mène la jeune Nathalie Tremblay à étudier en comptabilité. Celle qui n’aime pas le chaos trouvera là ordre et méthode. Comme elle l’explique, la profession de comptable agréé a été un atout précieux, puisque cette formation permet de distinguer l’essentiel de l’accessoire et de créer de la valeur. «Cela m’a aidé à cadrer mon intensité, à éviter de m’éparpiller. La comptabilité donne une méthode de travail, une manière d’organiser sa pensée et son énergie grâce à un cadre serré. Le métier de vérificateur est à la fois structuré et structurant.»

Et c’est ce métier qu’elle exercera au sortir de l’université, chez Samson Bélair Deloitte & Touche, accumulant des années incontournables d’apprentissage, notamment en ce qui concerne le service aux clients. Puis, par un concours de circonstances, sa curiosité la mène du côté du secteur public. En 1989, elle obtient un poste au Bureau du Vérificateur général. La jeune comptable découvre alors les rouages de l’État, un passage instructif, quoique difficile. «Je dirais même souffrant! Parce que là, il n’y avait qu’une entité vérifiée, l’Assemblée nationale, même pas un client en chair et en os», lance en riant celle qui se nourrit de relations humaines.

«Mais bon, voilà, je me suis familiarisée avec l’État, qui est tellement complexe, et j’ai appris sur moi-même, sur le fait que je carbure à la relation avec le client.» Elle ajoute au passage que son travail consistait à faire ressortir ce qui n’allait pas, une tâche propre à la fonction et qui permet d’éclairer les choix à faire dans un contexte de ressources limitées. «Je ne me sentais pas à mon aise, car, en parallèle de ce qui doit être amélioré, j’aime mettre en évidence les forces sur lesquelles s’appuyer et qui doivent tout autant être mises en lumière, à mon avis.»

Véritable bourreau de travail, la jeune femme, en plus de ses longues journées, assume des charges de cours à l’université, le soir et la fin de semaine ; elle y enseignera pendant une dizaine d’années. Elle ajoute que pendant ce temps, à son insu, elle apprend à bien communiquer. «Bien communiquer, c’est d’abord être clair quant à son intention. Quel est le message? Que veut-on transmettre? Qu’on donne un cours de trois heures, une conférence devant 300 personnes ou qu’on anime une réunion, que veut-on que les gens retiennent en sortant de la salle? Ce n’est pas de l’improvisation, on doit y réfléchir. Personnellement, derrière mes communications, il y a un processus de création que je structure avant de les partager.»

Le chemin de la SAAQ

Nathalie Tremblay n’a jamais eu de plan de carrière, mais quand un train passe, elle saute dedans. Ainsi, lorsqu’un directeur des finances de la SAAQ propose à l’agente du Vérificateur général de se joindre à l’organisation, elle n’hésite pas. Les «j’aurais dû», très peu pour elle : elle n’a aucun regret.

Responsable de l’équipe des comptes à payer à la SAAQ, elle constate qu’une lourde part du travail pourrait être simplifiée par l’implantation d’un nouveau mode de fonctionnement.

Devant la forte résistance au changement, elle reste à l’écoute, patiente et persévérante. «À travers cette première expérience à la SAAQ, j’ai surtout compris à quel point le défi de trouver des chemins de traverse me stimule. Je me qualifie d’entrepreneure en rénovation! J’aime les redressements, j’aime lorsqu’il y a quelque chose à construire.» C’est ainsi qu’elle gravira les échelons de la société d’État.

Le parcours de Nathalie Tremblay

Avant de prendre sa retraite en 2022, Nathalie Tremblay a été membre du conseil d’administration et PDG de la Société d’assurance automobile du Québec pendant 12 ans.

Embauchée à la SAAQ en 1995 en tant que chef du Service de la comptabilité, elle a occupé différents postes, à la direction de la vérification interne et des enquêtes et à la vice-présidence aux opérations du Fonds d’assurance automobile.

Entre 1999 et 2005, elle a été sous-ministre adjointe et contrôleuse des finances au ministère des Finances, secrétaire adjointe au Conseil du trésor et sous-ministre adjointe aux Services gouvernementaux.

Elle a commencé sa carrière en tant que vérificatrice chez Samson, Bélair, Deloitte & Touche, avant d’être recrutée au Bureau du Vérificateur général en 1989.

Lorsqu’elle prend les rênes de la SAAQ, en 2010, Nathalie Tremblay se fixe trois objectifs : redresser le régime d’assurance automobile – qui est en piteux état –, améliorer la culture organisationnelle et entreprendre la transformation des services qui émettent les permis et les immatriculations, une étape ambitieuse qui passe incontestablement par un virage technologique de taille. Pour cet ultime projet, la dirigeante aura besoin de courage et de détermination. Mais elle sait y faire. «Je me suis fait dire, plus d’une fois : “Nathalie, n’embarque pas dans la technologie, tu vas y laisser ta carrière.” On a cherché à me décourager, à m’effrayer. J’ai mis beaucoup de temps à bâtir le projet et mon ancrage a été de le concevoir minutieusement. Rien n’était improvisé.» Comme elle le rappelle, les services qui délivrent les permis et les plaques d’immatriculation, c’est 24 millions de transactions par année impliquant que les acheteurs et les vendeurs se rendent aux points de service de la SAAQ pour régler la transaction. « Alors, est-ce qu’on crée de la valeur avec ce virage numérique?» Poser la question, c’est y répondre. Il aura fallu près de 12 années pour développer ces services en ligne, offerts au début de 2023.

En 32 ans de métier au service de l’État, Nathalie Tremblay a appris la patience : elle comprend la complexité de cet immense paquebot. «Il ne faut pas croire qu’il va virer de bord à la vitesse grand V!» Aucunement désillusionnée, elle a vu bouger le mastodonte. «Et il y a actuellement une impulsion comme jamais pour réaliser des changements. Il faut absolument protéger cette volonté de transformer l’État.» Car certaines parties du paquebot grincent et manquent d’huile.

Les méandres de l’appareil étatique

C’est certainement lors de son passage au ministère des Finances que Nathalie Tremblay a pu explorer les recoins de l’État, en comprendre la profonde complexité et apprendre à naviguer à travers le politique. Cet intermède vaut d’être raconté. La jeune cadre à la SAAQ depuis quatre ans a alors 36 ans lorsqu’elle reçoit un appel. “Madame Tremblay, nous avons entendu parler de vous. — Ah bon, qui êtes-vous? — Le Bureau du ministre des Finances.” Le ministre des Finances! À l’époque, je n’avais absolument aucune connaissance de l’univers politique. On cherchait à pourvoir le poste de contrôleur des finances. Au ministère des Finances, les sous-ministres sont tous des économistes à l’exception d’un seul, qui est le comptable en chef du gouvernement. Et jusque-là, le candidat type avait toujours été un homme en fin de carrière», explique Nathalie Tremblay.

Le saut est énorme. «Je me suis dit “le train passe” et j’ai accepté l’entrevue. Je me souviens d’une anecdote qui m’a été rapportée. Lorsque les responsables sont allés faire approuver ma candidature au bureau du premier ministre en disant que j’avais tout ce qu’il fallait, ils ont néanmoins soulevé une préoccupation : j’étais très jeune. Mais le PM aurait répondu : “Depuis quand être jeune est un défaut? Nommez-la!”» Nathalie Tremblay quitte donc la SAAQ. Elle y retournera quelques années plus tard.

Désormais responsable des états financiers du gouvernement provincial, elle apprend à la dure sur le terrain, écoutant les gestionnaires et les employés. Au-delà de la tenue de livres, assise à la table du ministère des Finances, elle comprend aussi le positionnement stratégique associé à ses fonctions. «Ce poste a été mon premier grand job de transformation organisationnelle. Dans ces hautes sphères étatiques, j’étais au coeur même des décisions du ministère des Finances et du Conseil du trésor, en tête de la parade!»

Animée d’un grand respect pour ceux qui s’engagent en politique pour «contribuer au meilleur fonctionnement possible de l’État», Nathalie Tremblay a développé une manière de faire avancer le paquebot : petit à petit, avec une vision à long terme composée de multiples blocs d’actions adaptables que l’on déplace selon les personnes qui tiennent les rênes du pouvoir. «En douze ans de présidence à la SAAQ, j’ai connu quatre premiers ministres et autant de présidents de conseil d’administration. À mes yeux, avoir une vision à long terme est la responsabilité des hauts fonctionnaires. À eux de dessiner un plan clair décomposable qui permet d’avancer sans jamais perdre de vue les objectifs.»

La SAAQ, société d’État

La SAAQ est un organisme gouvernemental qui relève du ministre des Transports. Dirigée par un conseil d’administration, cette société d’État met en application la Loi sur l’assurance automobile et le Code de la sécurité routière du Québec. Elle compte près de 4 000 employés à travers le Québec.

Cette finesse de jeu s’appuie sur l’écoute, sur une sensibilité aux préoccupations de celui ou celle avec qui on doit collaborer et sur la capacité à mettre de l’avant ce qu’il y a de commun entre les parties. « Un leader dans le service public, c’est un jongleur sur un fil de fer qui ne doit pas regarder ses pieds lorsqu’il avance, qui ne doit jamais perdre de vue la destination et qui ne doit échapper aucune des balles qu’il a entre les mains.»

L’État, un cadre trop serré

Les défis sont de taille pour tout leader au service de l’État. Nathalie Tremblay éprouve beaucoup de respect pour le secteur public, mais est également lucide quant à ses limites. «Quand je regarde l’État aujourd’hui, si on ne veut pas éteindre la volonté actuelle de changement, il y a plusieurs pièges à surmonter. D’abord, j’ose le dire : il faut desserrer le cadre. Redonner de l’agilité à l’appareil étatique. On ne peut plus fonctionner dans un cadre aussi rigide. À mon avis, c’est paralysant. Bien sûr, la route pour y arriver est longue et difficile, mais elle existe.»

Ensuite, comme ailleurs, l’enjeu de la main d’œuvre dans la fonction publique demeure un casse-tête pour les gestionnaires qui cherchent à recruter. « On s’arrache tout le monde, tant au public qu’au privé. Aucune organisation n’y échappe! Au gouvernement, il faut aussi se demander si nos salaires sont concurrentiels. Il va falloir qu’ils le soient, si on veut que notre fonction publique profite des bons joueurs pour entreprendre et réaliser les changements nécessaires. Tout comme il faut faire preuve d’imagination pour se distinguer quant à notre environnement de travail», croit Nathalie Tremblay. Selon elle, l’opinion publique et le tribunal populaire freinent ces avancées. Les préjugés persistent.

C’est également à cause de cette sensibilité critique de la population et du cynisme ambiant que la peur, souvent, devient un réel handicap : les fonctionnaires et les dirigeants de l’État craignent les médias et ne veulent surtout pas égratigner leur image auprès de la population. «Pourtant, il faut cesser d’avoir peur si on veut avancer», insiste Nathalie Tremblay, faisant écho à l’audace dont elle a elle-même dû faire preuve, notamment pour mener le virage technologique à la SAAQ.

Pour attirer la relève, elle juge qu’il faut miser sur le goût de l’engagement pour dénicher les bons candidats. «C’est vrai en santé et en éducation, mais c’est aussi vrai dans les ministères et les sociétés d’État. Il y a des gens qui carburent au fait de mettre leurs talents au service de la communauté, pour améliorer la vie de leurs concitoyens, pour améliorer notre société.»

Nathalie Tremblay est surtout convaincue qu’il faut demeurer centré sur l’humain. Elle évoque le danger du virtuel, qui évacue le ressenti. «Ce que j’ai trouvé le plus difficile dans le télétravail, c’est qu’il me manquait 80% de l’information dont j’avais besoin. Comment faire pour sentir ce qui se passe quand on est isolé des autres par un écran ? Comment capter la chimie dans une salle, créer une dynamique qui va influer sur tout ce qui se passe lors d’une rencontre?» Les humains ont besoin d’autres humains et d’un leadership humain. «Au bout du compte, pour moi, que ce soit au public ou au privé, le leadership est une grande aventure humaine.»

Aînée d’une fratrie de quatre enfants, Nathalie Tremblay a grandi en se faisant répéter qu’elle devait donner l’exemple. C’est un principe qu’elle a ensuite intrinsèquement associé au leadership : les actions posées par un dirigeant doivent aller dans le sens de ce qu’il prêche. C’est aussi une manière d’inspirer les autres. «Pour moi, un leader, comme personne, comme humain, doit savoir insuffler des manières d’être, des idées, de la motivation.» Comme on l’observe, il a une responsabilité en ce sens. Ayant tracé sa route dans un univers masculin, elle souhaite davantage de modèles féminins pour les jeunes femmes d’aujourd’hui.

Elle rêve aussi que, dans ce monde qui va toujours plus vite, qui est toujours plus exigeant, on apprenne à prendre son temps. Pour réfléchir, se poser. Voilà qui peut sembler étonnant venant d’une femme qui s’est entièrement consacrée à sa carrière, ne comptant jamais les heures, véritable force de travail consciente de l’effort à fournir. « L’anxiété de performance fait partie de mon parcours depuis longtemps ; j’ai appris à composer avec ça, mais j’ai aussi eu tellement de plaisir!» Cependant, Nathalie Tremblay demeure convaincue qu’il importe de réfléchir à cette performance, de prendre le temps de la recadrer. Et, peut-être, de diminuer les attentes. «La barre est toujours tellement haute!»

Aujourd’hui, elle profite de l’espace que lui offre sa nouvelle retraite pour vivre pleinement. «Ce qui compte pour moi, c’est la famille, la musique et ma passion pour les animaux. Comme je n’ai jamais eu de plan, on verra bien.» Qui sait quel prochain train croisera la route de Nathalie Tremblay!

Les clés du leadership, selon Nathalie Tremblay

AIMER les gens, être fasciné par l’humain.

TRAVAILLER ensemble.

DÉVELOPPER le courage de passer à l’action.

ALLIER la tête et le coeur, entre la raison structurante et les émotions qui animent le rêve.

GARDER le cap sur la destination, ajuster les objectifs, mais toujours avoir le long terme en tête.

Article publié dans l'édition Printemps 2023 de Gestion