De grands chefs d'orchestre, et autant de grandes figures immortalisées au panthéon de la musique classique. Incarnations d'une époque, ils ont été la figure de proue des orchestres qu'ils ont dirigés pendant des années, voire même des décennies, avec ce que cela suppose en termes de gestion artistique et parfois, ne l'oublions pas, de gestion administrative. Ce qui nous amène à nous interroger sur l'essence même du métier de chef d'orchestre. Que font-ils réellement?

C'est sur cette intrigante question que la journaliste Clemency Burton-Hill s'est penchée dans son article « What does a conductor actually do? », paru sur le site Internet de la BBC. Cette dernière accole au chef d'orchestre quelques rôles spécifiques qui, on le verra, ne sont pas bien éloignés du rôle de gestionnaire, à bien y penser.

  1. Le chef d'orchestre bat la mesure. Pas de surprise de ce côté. C'est la facette la plus visible de son métier. L'idée est ici de réguler la performance de la centaine de musiciens devant lui, afin que tous aillent dans la même direction, et surtout au même rythme. Le professeur Henry Mintzberg, grand penseur du management organisationnel, y verrait là le rôle de régulateur1 endossé par le gestionnaire, toujours à l'affût d'une fausse note au sein de l'organisation;
  2. Il interprète la partition. « The conductor is there to bring a musical score to life, communicating their own highly refined sense of the work through an individual language of gestures », nous dit Clemency Burton-Hill. Le gestionnaire fait-il autrement, lui qui doit se saisir de la mission et des objectifs de son organisation (la partition), les décliner en ses propres mots et, surtout, les incarner auprès de ses employés?
  3. Le chef écoute. Les meilleurs dirigeants, et certes les plus appréciés, sont ceux qui sont, dans un premier temps, capables de prendre le pouls de l'organisation et de ses gens, bref d'écouter, pour mieux intervenir dans un second temps;
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  4. Le maestro mène. « You have to impose your will – not with a hammer, but you have to be able to convince people of your point of view » disait le chef français Pierre Boulez, cité dans l'article de Clemency Burton-Hill. Les orchestres, tout comme les organisations, ne sont ni des dictatures, ni des démocraties. La direction des individus demeure cruciale, mais celle-ci doit se faire, autant que faire se peut, sur le mode de la conviction, et non de l'imposition;
  5. Il est un point focal. « He or she is a vital visual connection: the bridge between our eyes and the sense of what is happening in the music. », nous souligne la journaliste britannique. Ce rôle se rapproche étrangement du rôle de symbole que fait endosser Henry Mintzberg au gestionnaire, lui qui représente à l'extérieur son organisation, son service ou son équipe;
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  6. Le chef est un travailleur acharné. « You have to know the culture, to know the score, and to project what you want to hear » affirme Pierre Boulez. Idem pour le gestionnaire, qui mettra beaucoup d'heures et d'efforts à bien comprendre la culture interne et externe de son organisation, et les procédés et les processus de cette dernière (« the score », la partition) afin d'en arriver au résultat espéré;
  7. Il récolte les lauriers de la gloire. Seule note dissonante dans cet exercice de comparaison? Certes, le chef d'orchestre est souvent l'emblème de son organisation, et aussi souvent c'est par la figure de ce dernier que se vendent les abonnements. Cela dit, il devient aussi le paratonnerre que visent les critiques quand la performance n'est pas à la hauteur. Diriger un orchestre et mener un service impliquent tous deux d'endosser une grande part de responsabilité dont il est difficile de se dessaisir par la suite;
  8. Le chef d'orchestre est un leader, un rôle que le gestionnaire devrait aussi adopter, selon Henry Mintzberg. Faire preuve de leadership, c'est aller au-delà de la simple exécution du PODC (planifier, organiser, diriger, contrôler) et faire adhérer ses gens à quelque chose de plus grand que soi. Le jeune et charismatique chef du Los Angeles Philharmonic, le Vénézuélien Gustavo Dudamel, incarne cette philosophie, lui qui s'implique activement avec l'Orchestre symphonique Simon Bolivar, fleuron du système national d'éducation musicale de son pays natal.

Somme toute, le modèle du chef d'orchestre peut s'avérer bien inspirant pour faire de nos organisations des endroits plus harmonieux et mélodieux!


Note

1. Lire l'article fondateur de Henry Mintzberg (1971) sur les rôles du gestionnaire, « Managerial Work: Analysis from Observation », Management Science, 18(2), pp. B97-B110.