Les méthodes agiles répondent aux besoins des organisations de raccourcir leurs périodes de développement de produits et services dans des contextes remplis d’incertitudes. Le produit minimum viable (ou MVP pour minimum viable product) peut aider à y arriver.

L’expression MVP a été popularisée en 2009 par Eric Ries, cofondateur d’IMVU et auteur de The Lean Startup1, et l’entrepreneur Steve Blank. Eric Ries définit le MVP comme la version d’un produit qui permet à une équipe de collecter la plus grande quantité d’informations validées des clients avec le moins d’efforts.

«Le MVP n’est pas une méthode agile, mais plutôt une pratique, explique Marc Messier, consultant en gestion de projet et intelligence d’affaires et chargé de cours à HEC Montréal. Ce n’est jamais obligatoire ni en Scrum, ni en Kanban, ni dans d’autres méthodes agiles, mais ça peut en faire partie.»

L’utilisateur au centre du développement

Les projets de développement sont traditionnellement longs. Or, l’incertitude et les changements rapides marquent notre environnement actuel. Les partisans de l’agile utilisent pour illustrer cela le concept VICA (Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté) élaboré par l’armée américaine dans les années 1990.

Dans un tel contexte, un projet de développement qui s’étire peut échouer, parce qu’en cours de route, le marché ou les besoins et attentes des clients ont trop évolué ou que le produit n’y répondait pas vraiment dès le départ. Des périodes plus courtes assurent de livrer plus rapidement une première version du produit. C’est ce que le MVP permet d’accomplir.

«Il offre l’opportunité de valider ses hypothèses auprès des utilisateurs beaucoup plus vite et de revenir vers eux plus souvent avec de nouvelles versions, ce qui aide à s’adapter plus facilement et à réduire les risques», souligne Bernard Gagnon, président du Groupe Bernard Gagnon, expert en gestion du changement et gestion de projets.

Un grand incompris

Le MVP n’a pas toujours eu bonne presse dans les entreprises. Certains pensent qu’il amène à «tourner les coins ronds». «Le MVP, ce n’est pas du tout livrer un produit de mauvaise qualité juste pour aller vite, corrige Marc Messier. Le produit doit être de qualité, mais sa première version peut cependant comporter moins de fonctionnalités. Les commentaires des usagers aideront à savoir plus précisément quelles fonctionnalités conserver, améliorer ou ajouter.»

Il s’agit là d’une application de la loi de Pareto (80/20). Une entreprise a l’idée de créer un produit truffé de fonctionnalités qu’elle juge intéressantes. Plutôt que de le développer entièrement d’un coup, elle génère une première version qui comprend environ 20 % des fonctions et le met sur le marché, entre les mains des usagers. Cela aide à éviter de lancer un produit rempli d’outils que personne n’utilise, un problème courant dans l’industrie des TI.

Bernard Gagnon croit que les entreprises qui dédaignent le MVP succombent à un vieux réflexe. «Elles croient qu’elles peuvent répondre à toutes les interrogations en début de projet, grâce par exemple à un plan d’affaires exhaustif ou une longue étude de marché, mais en fait, ce n’est qu’en laissant les clients utiliser le produit qu’on peut vraiment vérifier nos hypothèses», prévient-il.

Selon lui, il arrive fréquemment que les clients posent des questions ou émettent des suggestions auxquelles personne dans l’organisation n’avait pensé pendant le développement. Observer comment les usagers emploient réellement un produit est aussi plus efficace que de leur demander en amont comment ils estiment qu’ils s’en serviraient.

Il précise toutefois que pour que ça fonctionne, l’information doit circuler dans l’organisation. Ceux qui recueillent ces données auprès des usagers doivent les faire remonter vers les dirigeants. À leur tour, ceux-ci doivent en tenir compte dans leurs décisions et s’assurer que leurs nouvelles consignes redescendent vers les équipes de travail.

Réduire les risques

Le MVP devient alors la pièce maîtresse d’une stratégie d’expérimentation. L’équipe de développement travaille sur la base d’une hypothèse des besoins des clients et de la manière dont le produit répondra à ces attentes. L’équipe lance rapidement une première version du produit et recueille de l’information, qu’elle utilisera ensuite pour modifier, voire abandonner carrément un produit ou en stopper le développement.

«Le MVP aide à répondre aux besoins réels des clients sans trop investir ou surdévelopper, indique Bernard Gagnon. Si l’expérimentation montre que les clients sont satisfaits d’un produit, parfois cela signifie que c’est correct d’en arrêter le développement. On doit toujours s’aligner sur les attentes des clients.»

Bien employé, le MVP peut donc devenir très utile, notamment dans les projets d’innovation. «Il permet entre autres d’éviter l’erreur d’arriver sur le marché avec un excellent produit dont personne ne veut», soutient Marc Messier. 


Note

1 Ries, Eric. The Lean Startup : How Today’s Entrepreneurs Use Continuous Innovation to Create Radically Successful Businesses, New York, Knopf Doubleday Publishing Group, 2011, 336 p.