En 1976, Jean-Marie Toulouse et Robert Poupart écrivaient un article sur « la jungle des théories de la motivation au travail ». Les auteurs y effectuaient une synthèse des éléments essentiels des principales théories développées. Près d’un demi-siècle plus tard, que dit maintenant la recherche sur le sujet?

L’analyse des deux professeurs dans les années 1970 a conduit à identifier quatre éléments composant la motivation au travail : 1- un état motivant (origine ou source du processus de motivation); 2- une impulsion à agir; 3- des comportements résultant de l’impulsion à agir; 4- une rétroaction mettant en relation le comportement ainsi que l’impulsion à agir et l’état motivationnel.

En utilisant ce canevas, les auteurs illustraient ensuite les théories de la motivation dominantes élaborées dans les années 1950 et 1960, soit celles de Maslow1, McClelland2, Rogers3, Lewin4, Vroom5, Adams6 et Herzberg7. Que reste-t-il de ces théories aujourd’hui? Comment la motivation au travail est-elle vue de nos jours? Quelles théories ont émergé depuis plus de 50 ans?

Des théories en évolution

La première évolution notable est que le terme de motivation lui-même s’est progressivement estompé dans la littérature de gestion pour faire place à des notions comme l’engagement au travail (job/work engagement en anglais), l’habilitation psychologique (psychological empowerment), ou l’autodétermination.

Ces concepts, qui reposent sur des théories psychologiques, ont progressivement remplacé celui de motivation au travail. Pourtant, ces différentes idées renvoient toutes à des degrés divers à la motivation au travail, soit « un ensemble de forces énergétiques […] qui initie un comportement au travail, et détermine sa forme, sa direction, son intensité et sa durée8 ». Cette conception partagée de la motivation dans les différentes théories actuellement dominantes met l’accent sur l’aspect énergétique sous-jacent à la motivation. Les auteurs utilisent donc aujourd’hui des concepts motivationnels ayant comme point commun l’énergie mise au service du travail comme caractéristique fondamentale de la motivation. Cette notion est notamment présente dans la théorie de l’engagement au travail9 et dans la théorie de l’autodétermination10.

La deuxième évolution au sein des théories actuelles qui portent sur le processus de motivation concerne les liens étroits entre motivation, bien-être et performance. Les chercheurs qui se sont intéressés à la question ces dernières années s’accordent pour affirmer que la motivation contribue autant au bien-être de l’individu qu’à sa performance au travail. Par exemple, certains suggèrent qu’une motivation autonome, basée sur le plaisir même de réaliser une activité, permet à l’individu de croître par le biais de la réalisation de ses besoins de relations, de compétences et d’autonomie, et ainsi d’atteindre des niveaux élevés de bien-être et de performance au travail. Toute stratégie de motivation reposant sur la théorie de l’autodétermination vise à créer les conditions qui permettent aux individus d’exercer librement les tâches liées à leur rôle de travail, de sorte que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits.

On trouve la même logique dans la théorie de l’engagement au travail11 dans laquelle les dimensions de l’engagement (vigueur, dévouement, absorption) sont vues comme opposées aux dimensions du burnout (épuisement, cynisme et inefficacité professionnelle), révélant ainsi que l’engagement est l’inverse du burnout et contribue donc au bien-être.

Le troisième élément sur lequel les approches contemporaines de la motivation au travail se distinguent concerne le lien avec l’identité des individus. Par exemple, la théorie de l’engagement au travail proposée par William Kahn définit l’engagement comme l’immersion complète de soi dans le rôle et les tâches de travail. Cette immersion de soi se révèle à travers des composantes physiques, émotionnelles et cognitives. Dans cette conception, la motivation présente un caractère énergétique, mais également identitaire, car il s’agit d’un investissement complet de l’identité de l’individu, de sorte que la connexion au travail est fusionnelle. En cela, cette vision rejoint fortement l’approche de l’autodétermination, dans laquelle la motivation intrinsèque est source de plaisir et de vitalité. La motivation intrinsèque, selon ces approches, engage l’individu dans sa globalité.

Enfin, un dernier élément domine les approches contemporaines de la motivation au travail, soit la capacité d’influence. On retrouve cette notion dans la théorie de l’habilitation psychologique. L’habilitation psychologique a été définie comme une version moderne de la motivation intrinsèque12. Le chercheur Gretchen M. Spreitzer, qui a développé l’outil de mesure le plus utilisé de ce concept, spécifie que l’habilitation psychologique correspond à un ensemble de quatre cognitions, soit le sens de compétence, le sens de l’autodétermination, le sentiment de signification au travail et le sentiment d’impact sur autrui13. Un employé habilité est donc un individu qui a confiance en sa compétence, qui a le pouvoir d’organiser son travail, qui occupe un emploi qui a du sens et qui exerce une influence sur les décisions prises par ses gestionnaires.

En somme, selon les approches contemporaines, la motivation au travail se conçoit maintenant sous l’angle de l’intensité de l’énergie déployée par l’individu, ce qui contribue à développer le bien-être tout autant que la performance. Les tâches effectuées par la personne ont une portée identitaire, reflétant ainsi sa capacité d’influence sur l’environnement. Ces approches consacrent plus que jamais l’individu comme acteur de son travail, de sa vie, de ses choix et de ses résultats professionnels. Ces approches privilégient une vision de l’employé comme un agent proactif qui construit son travail, son bien-être et son environnement.  

 

Notes 


[1] Maslow, A., Motivation and Personality, New York, Harper, 1954.

[2] McClelland, D., The Achievement Motive, New York, Appleton Century Crafts, 1961. 

[3] Rogers, C. R., On Becoming a Person: A Therapist’s View of Psychotherapy, Boston, Houghton Mifflin, 1961.

[4] Lewin, K., Psychologie dynamique, Paris, Presses universitaires de France, 1967.

[5] Vroom, W., Work and Motivation, New York, Wiley, 1964.

[6] Adams, J., « Toward an understanding of inequity », Journal of Abnormal and Social Psychology, vol. 67, 1963, p. 422-436. 

[7] Herzberg, F., « One more time: How do you motivate employees? », Harvard Business Review, vol. 81, 1968, p. 87-96.

[8] Pinder, C. C., Work Motivation in Organizational Behavior, Upper Saddle River, Prentice Hall, 1998.

[9] Voir notamment : Kahn, W. A., « Psychological conditions of personal engagement and disengagement at work », Academy of Management Journal, vol. 33, 1990, p. 692-724; Rich, B. L., LePine, J. A., et Crawford, E. R., « Job engagement: Antecedents and effects on job performance », Academy of Management Journal, vol. 53, 2010, p. 617-635; Schaufeli, W. B., et Bakker, A. B., « Job demands, job resources and their relationship with burnout and engagement: A multi-sample study », Journal of Organizational Behavior, vol. 25, 2004, p. 293–315.

[10] Ryan, R. M., et Deci, E. L., « Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being », American Psychologist, vol. 55, 2000, p. 68–78.

[11] Schaufeli, W. B., Salanova, M., González-Romá, V., et Bakker, A. B., « The measurement of engagement and burnout: A two sample confirmatory factor analytic approach », Journal of Happiness Studies, vol. 3, no 1, 2002, p. 71-92.  

[12] Thomas, K. W., et Velthouse, B. A., « Cognitive elements of empowerment: An interpretive model of intrinsic task motivation », Academy of Management Review, vol. 15, 2010, p. 666-681.

[13] Spreitzer, G. M., « Psychological empowerment in the workplace: Dimensions, measurement, and validation », Academy of Management Journal, vol. 38, 1995, p. 1442-1465.