Jean-Guy Côté est directeur associé à l’Institut du Québec.


Il était de bon ton, à une certaine époque, de dénigrer Montréal. Avec sa croissance économique famélique et ses perspectives de développement limitées, la métropole québécoise n’était pas à son avantage lorsqu’on la comparait aux autres villes nord-américaines de taille similaire.

Lorsque j’y ai déménagé en provenance du Bas-Saint-Laurent, en 2000, Montréal se relevait encore péniblement des sombres années 1980. Déjà, il y avait de l’espoir : cette ville avait un côté créatif, artistique et d’avant-garde qui la rendait séduisante. Mais personne n’aurait osé la caractériser de locomotive économique.

Je le fais aujourd’hui.

En 20 ans, Montréal s’est donc transformé. Et les chiffres ne mentent pas : l’institut du Québec a fait paraître à l’été 2019 son tableau de bord annuel, Comparer Montréal, qui situe la métropole par rapport à 14 autres villes nord- américaines. Résultat des courses : Montréal ne s’en sort pas si mal.

Si, au chapitre de l’activité économique absolue, il n’est pas possible de comparer Montréal à Toronto ou à des villes comme Minneapolis–St Paul, les données de croissance indiquent que la métropole se développe beaucoup plus rapidement que plusieurs municipalités équivalentes.

En matière d’innovation et de qualité de la main-d’œuvre, Montréal a fait des pas de géant depuis la première version du tableau de bord, publiée en 2015. Le choix de secteurs d’activité stratégiques est un des facteurs qui expliquent ce changement. Au-delà des discours et des arguments de vente, les décideurs économiques des décennies passées ont choisi de miser sur les services et sur la technologie, des domaines qui, aujourd’hui, nourrissent cette renaissance.

L’aspect attrayant de la folie créative montréalaise est maintenant un moteur de développement : les trottoirs remplis de gens dans le Mile end en font foi.

Si Montréal croît rapidement – hausse du nombre d’emplois, de la population et du PIB –, le reste du Québec ne suit malheureusement plus. Entre 2016 et 2019, il s’est créé plus de 167 000 emplois dans la région métropolitaine, contre moins de 82 000 dans le reste du Québec. Alors que, dans la plupart des régions, le taux de chômage est à un creux historique et que l’expression « pénurie de main- d’œuvre » est de plus en plus employée, la situation est beaucoup moins alarmante qu’auparavant à Montréal.

Depuis 2011, la population active est en augmentation dans la métropole alors qu’elle est stable ailleurs au Québec. La province connaît actuellement deux réalités économiques distinctes : l’une à Montréal, l’autre dans les régions.

Aujourd’hui, la contribution de la région de Montréal au PIB du Québec, au nombre d’emplois et aux revenus des gouvernements est proportionnellement supérieure au poids de sa population. La métropole est devenue le principal moteur économique de la province.

Cette situation risque de creuser davantage le fossé entre Montréal et le reste du Québec, et ce fossé continuera de s’approfondir tant et aussi longtemps que l’immigration se concentrera dans la région montréalaise. C’est notamment grâce à l’immigration qu’il y a eu augmentation du nombre de travailleurs dans la région de Montréal ; sans leur apport, on imagine difficilement la renaissance des dernières années.

Il y a donc un risque de voir Montréal se retrouver de plus en plus seul sur son île. Résultat ? Un Québec vieillissant, avec une métropole distincte qui continue de croître.

Ce fossé pourrait entraîner des frictions politiques et économiques dommageables, surtout quand on sait que le succès de la métropole est tributaire du succès du reste du Québec, et vice-versa. Comme je l’écrivais dans Comparer Montréal, « la métropole est le défi de tout le Québec. Comme c’est une des locomotives de l’économie québécoise, sa vitalité doit préoccuper tous les décideurs ».

L’évolution qu’a connue Montréal au cours des dernières années ne doit toutefois pas occulter les défis qui demeurent. De toutes les villes comparées dans notre tableau de bord, Montréal est parmi les moins productives. La croissance de sa productivité n’est pas suffisante pour ramener les entreprises montréalaises dans le peloton de tête des villes nord-américaines. La métropole est aussi freinée par un boulet : des taux de diplomation qui demeurent inférieurs à ceux des villes les plus innovantes du continent. Il y a là un chantier potentiel majeur.


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Le développement économique des dernières années n’a pas non plus permis d’éliminer les poches de pauvreté dans certains quartiers de Montréal, qui demeure une des villes les plus égalitaires parmi ses équivalentes en Amérique du Nord.

Et n’oublions pas qu’une proportion considérable de ses citoyens n’ont même pas le strict nécessaire pour mener une vie tout juste confortable. Ces défis, comme bien d’autres, sont ceux de l’ensemble des Québécois.