L’approche du moindre effort pourrait-elle être la clé d’une meilleure performance pour les organisations? Parlons peut-être plutôt de déployer le «juste effort» en ne perdant jamais de vue le résultat recherché…

La plupart des gens préfèrent les personnes qui travaillent dur pour obtenir des résultats. Il y aurait même lieu de dire que cette valorisation de l’effort fait partie intégrante de notre culture du travail. Jared B. Celniker et cinq autres chercheurs de l’American Psychological Association confirment d’ailleurs ce constat dans une étude publiée récemment («The moralization of effort», 2023). Nous avons tendance à valoriser l’énergie dépensée plutôt que le résultat obtenu… alors que cela se révèle contre-intuitif et contre-productif.

Bien sûr, personne ne songe vraiment à encourager les partisans du moindre effort, mais la recherche du juste effort devrait être un élément clé de la stratégie des organisations qui désirent se transformer pour devenir plus performantes.

Après tout, une entreprise est un corps en mouvement permanent, composé de femmes et d’hommes qui, chaque jour, viennent investir une certaine quantité d’énergie et de temps pour réaliser la mission qui leur a été confiée. Cela concerne aussi bien les membres d’un comité de direction que les conseillers au service à la clientèle ou encore les responsables du recrutement.

Quelle est alors la valeur de l’énergie dépensée? Cette dernière l’est-elle sur les bonnes choses, et de la bonne manière? Dans ce que nous réalisons au quotidien, quelle est la part d’activités à forte valeur ajoutée? Et qui a une incidence directe ou indirecte sur l’atteinte des grands objectifs poursuivis?

À l’inverse, posons-nous aussi les questions suivantes : combien d’heures passons-nous sur des tâches que nous aurions pu éviter, ou qui seraient rapidement oubliées si nous cessions de les réaliser? Combien de temps consacrons-nous à repasser derrière ce que les autres ont fait? Et quelles sont les pertes liées à tous ces rapports d’activité dont les données ne sont pas réellement discutées?

Dans un environnement où l’effort est plus célébré que le résultat, le principe du «c’est comme ça ici qu’on a toujours fait» prend rapidement le dessus. L’absence de valeur ajoutée n’est plus un problème, mais une réalité dont nous nous accommodons trop facilement. Or ce type de posture entraîne des coûts pour les organisations. Elle diminue l’engagement des équipes – qui sont les premières à en identifier les faiblesses ­– et affecte ultimement le niveau de satisfaction des clients.

Comment pouvons-nous alors mettre en place les conditions idéales pour permettre aux équipes de s’interroger sur ce qu’elles font et sur la manière dont elles y arrivent, tout en nous assurant que les initiatives qui en découlent demeurent alignées sur la vision de l’organisation et améliorent sa performance?

1. Savoir où nous allons : proposer aux équipes une vision et des objectifs précis à partir desquels elles peuvent identifier leurs priorités et prendre les bonnes décisions au quotidien

«Être le leader de l’industrie agroalimentaire», «satisfaire nos clients internes», «accompagner leur transformation numérique» : voilà des objectifs qui peuvent être attribués à n’importe quelle entreprise ou direction. En revanche, ils ne s’avèrent d’aucune utilité pour aider les équipes sur le terrain à faire des choix pertinents. Le risque est que chacun ait sa propre interprétation, menant à des visions en opposition qui auront tôt fait de rendre tout important et urgent.

L’une des options à envisager consiste à nous interroger sur l’ambition poursuivie par l’organisation en vue de préciser comment elle peut se définir à la lumière de la réalité vécue par les équipes. Un exemple précis : il est possible que l’équipe des ventes, à l’œuvre sur le terrain, ait de la difficulté à comprendre comment la transformation numérique l’aidera à satisfaire des clients à l’interne. Il s’agit alors de faire remonter ces questions opérationnelles au comité de gestion. Celui-ci pourrait, dans ce cas, expliquer à l’équipe des ventes quelle sera l’incidence de l’instauration d’un système d’inventaire en temps réel sur ses activités quotidiennes.

Une autre voie à suivre : chercher à établir une meilleure unité d’action quant aux attentes et à la réalité vécue par le client. Celui-ci devient donc le point de référence à partir duquel est arbitrée l’efficacité de nos processus internes. Le but est alors d’éviter que les équipes travaillent en silos, une source potentielle de frictions à l’interne et de frustrations chez le client. Dépenser le juste effort pour l’organisation résidera ainsi dans la capacité de ses équipes à travailler ensemble, à faire œuvre commune, plutôt qu’à se confiner chacune d’entre elles à son propre terrain de jeu.

Pour réussir à recentrer ses énergies sur des activités à valeur ajoutée, l’organisation doit impérativement favoriser une compréhension commune de la vision et des objectifs. Le défi est de proposer aux équipes un ancrage suffisamment engageant et précis pour leur permettre d’en déduire les pratiques et les modes de fonctionnement idéaux vers lesquels s’orienter.  

2. Créer des espaces d’expression aptes à générer les bonnes discussions

Les équipes sur le terrain sont les mieux placées qui soient pour identifier ce qui fonctionne bien et, à l’opposé, moins bien. Il s’avère donc essentiel de leur allouer l’espace nécessaire pour discuter de leur réalité quotidienne, de leurs priorités et de leurs modes de fonctionnement. En renforçant ainsi le sentiment d’appartenance au collectif, l’émergence de mécanismes d’échange et d’entraide qui vont de pair avec des économies d’énergie s’en trouve favorisée.

Une certaine forme d’accompagnement se révèle souvent indispensable dans le cadre de ces discussions. L’évaluation de la pertinence des indicateurs de performance est, par exemple, une tâche qui peut bénéficier d’un encadrement plus soutenu. Il s’agit d’un sujet délicat pour lequel les échanges se transforment parfois en moments anxiogènes et en pertes d’heures supplémentaires. Il n’en demeure pas moins que les personnes qui sont à l’œuvre sur le terrain sont les mieux placées pour statuer sur ces questions; cela peut sembler une évidence, mais cette approche demeure trop rarement appliquée.

L’essentiel ici est de ne pas perdre de vue l’intention de départ, soit celle qui consiste à prendre les bonnes décisions afin d’optimiser la dépense d’énergie nécessaire à l’atteinte des résultats souhaités. De ces discussions – dont la fréquence doit être adaptée au rythme des opérations – émergeront naturellement des exemples de bonnes pratiques à creuser et à transmettre, tout comme des dysfonctionnements collectifs ou individuels à aborder. Rappelons que ce type de démarche requiert temps et patience…

3. Susciter la réflexion en continu pour stimuler l’intelligence collective

Pour assurer la continuité du processus de transformation, il faut insister sur l’importance de ritualiser les moments de réflexion et de discussion. Les équipes qui bénéficient d’un temps réservé à leur propre évolution sont plus en mesure que d’autres de recentrer progressivement leur quotidien sur des activités à valeur ajoutée. En l’absence de cadres structurés pour autoévaluer leurs modes de fonctionnement, elles ont tendance à le faire au mauvais moment et incorrectement (ce qui est contre-productif et source de frustrations), d’où l’importance d’instaurer des rituels précis. Ces derniers peuvent prendre de multiples formes et se dérouler à différentes fréquences, selon les impératifs d’opération ou la nature des tâches assumées par les équipes concernées. Toutes les options sont possibles et, là encore, le bon sens est à privilégier.

Enfin, ne cherchons surtout pas à transformer tous les membres des équipes en experts méthodologiques de la transformation ou en ceintures noires de l’amélioration continue. À trop vouloir en faire, il y a le risque, parfois, de tuer la productivité! Quelques outils très simples à utiliser et un cadre adéquat permettent de libérer l’intelligence collective pour résoudre efficacement les problèmes, transmettre les bonnes pratiques et réajuster les façons de faire… tout en prenant du plaisir à le faire.

4. Célébrer les succès… et recommencer

Quand c’est bien, il faut le dire, mais encore une fois, tout est dans la manière. Ainsi, il ne s’agit pas uniquement de valorisation et de renforcement positif. Célébrer les succès et les bons comportements permet d’encourager les équipes à pérenniser ce qu’elles ont mis en place. L’effet s’en trouvera renforcé si la célébration s’appuie sur des faits, c’est-à-dire une mesure de l’incidence des actions réalisées qui confirme le succès et le rend visible.

L’idée à garder en tête, c’est que prendre le temps de comprendre ce qui a permis d’atteindre le succès permet à la fois d’identifier ce qui doit être reproduit et de donner envie de recommencer… un petit pas après l’autre.

Parvenir au «juste effort» exige un mélange de doigté et d’intelligence collective

Pour être en mesure d’en arriver à une véritable transformation des pratiques et des comportements, les différentes approches ici mentionnées doivent être assorties d’un coaching opérationnel à tous les niveaux de l’organisation. À la différence de celui en leadership, qui s’attarde à la posture de gestion, le coaching opérationnel se fait en immersion dans la réalité quotidienne d’une organisation, au cœur de l’action. Il consiste à accompagner les équipes, sans toutefois les diriger, en vue de faire évoluer par petites touches ce qu’elles font et la manière dont elles y arrivent.

En gardant toujours le cap sur la vision d’ensemble poursuivie par l’organisation, l’effort est mis sur les clés requises à fournir au collectif pour qu’il puisse l’atteindre de manière autonome. Ainsi, les gestionnaires assument leur rôle de leader en étant en quelque sorte les gardiens du sens auprès de leurs équipes. Cela requiert une approche axée sur l’ouverture et la sensibilité. Petit à petit, de façon organique, il y a ainsi moyen d’atteindre cet équilibre qu’est le juste effort; celui par lequel un maximum d’énergie déployé se retrouve concentré dans les gestes à valeur ajoutée.